La mal nommée Charte des valeurs québécoises aura fait couler beaucoup d’encre. Comme bien des gens, elle me dérange, mais surtout parce qu’elle m’oblige à sortir de ma semi-retraite pour intervenir dans un débat public qui me semble bien mal engagé. Tout d’abord, il semble que tout le monde soit pour la laïcité mais pour le Parti libéral, il semble que ce soit à condition qu’elle ne soit pas appliquée.
Pour Charles Taylor et le Canada anglais, ce serait une nouvelle manifestation d’intolérance des nationalistes québécois.
Enfin pour Maria Mourani et les indépendantistes du manifeste anti-charte, ce serait une charte de l’exclusion ni plus ni moins.
On rejoint ici la position des chroniqueurs de La Presse qui lancent des cris d’orfraie à vous en déchirer les tympans.
Mais essentiellement, c’est aux indépendantistes anti-charte que j’aimerais répondre.
Personne ne contestera que la laïcité de l’État est un concept républicain qui dans l’histoire du monde a généralement été mis en œuvre par les régimes les plus progressistes et les plus modernes la plupart du temps pour sortir les peuples de l’obscurantisme.
On songe ici à la loi de l’instruction publique obligatoire initiée par Jules Ferry sous la troisième république en France et qui pose le principe de la laïcité absolue.
J’aimerais bien évoquer aussi la révolution du grand réformateur de la Turquie, le général Mustapha Kemal Atartuk qui non seulement a aboli le sultanat et instauré la république mais a réussi la séparation complète de l’Église et de l’État, en y mettant une exigence absolument audacieuse, celle de la laïcité complète des institutions de l’État.
On sait que dans ce pays très majoritairement musulman, tout signe religieux a été interdit au sein de l’État, y compris pour les élèves fréquentant les institutions scolaires. Bref, la laïcité, ça ne sert pas qu’à gérer les accommodements raisonnables mais c’est une exigence républicaine pour la construction d’un État national.
Je donne ces exemples pour montrer que le discours de l’exclusion qu’il soit porté par Québec Solidaire, par Maria Mourani ou les indépendantistes anti-charte est tout sauf un discours de gauche. Remarquez que tout ce monde est pour la laïcité mais comme celle du Parti libéral, il ne faut pas qu’elle soit appliquée. Curieuse position.
Quand on sait qu’il y a 4 millions deux cent mille emplois au Québec et que les employés de l’État québécois n’en représentent qu’une fraction inférieure à 1%, il reste tout de même 4 millions d’emplois qui ne sont pas couverts par l’exigence de laïcité. On voit aussi que la question de l’intégration n’est pas en cause non plus.
Comment les 55 000 immigrants qui s’installent à Montréal chaque année pourraient-ils compter s’insérer tout entier ou même en grande partie dans le bassin si réduit des travailleurs de l’État québécois. Bref, si l’on dénonce l’exclusion, on parle ici d’une exclusion symbolique donc qui n’est pas réelle.
J’en reviens à ceci que tout ce beau monde n’est pas contre le principe de laïcité mais probablement et uniquement celle qui serait initiée par les Québécois. Car les Québécois auraient semble-t-il une tare, une sorte de péché originel dans le sens catholique du terme qui les rend suspects de xénophobie congénitale.
Bref, le Québec profond, probablement victime de dégénérescence consanguine n’aurait pas la souplesse intellectuelle pour mettre en œuvre une politique de modernisation de l’État québécois. Il faut nécessairement qu’il y ait une mauvaise intention.
Le but serait de s’en prendre à l’immigrant, de faire du profilage racial, d’étiqueter les ethnies, et pourquoi pas, de chasser l’étranger. On dit que les Québécois ont peur mais ce serait dû à leur ignorance car en effet ils connaissent mal la réalité immigrante.
Il n’y a pas si longtemps on leur a envoyé deux intellectuels, Gérard Bouchard et Charles Taylor pour les sortir de leur repli sur soi, pour leur expliquer la tolérance et l’ouverture.
Peine perdue, les Québécois resteraient méchants, sournois, tentés par l’ostracisme selon les nouveaux chantres du multiculturalisme à la Trudeau.
À preuve, le phénomène Hérouxville, le point déclencheur de tout ce débat menant à la laïcité. Il faut bien se souvenir comment les gens de ce petit village qui n’avaient pas été invités à ce débat de haute voltige intellectuelle ont été tournés en bourrique par le tout Montréal branché. Par moments cela ressemblait à un freak show. Je me souviens que pendant que l’on riait à gorge déployée dans tous les médias montréalais, l’humble TVA Trois-Rivières faisait un sondage maison. Dans la ville de Trois-Rivières, 90% des gens appuyaient le code de vie de Hérouxville.
Alors oui, il s’est passé quelque chose. Et voici ce que c’est : ce sont les gens les plus religieux et les plus traditionnalistes du Québec qui ont initié le débat sur la laïcité. Un concept pourtant républicain et révolutionnaire. Des gens qui croient encore en Dieu pour la plupart qui font baptiser leurs enfants et se marient à l’église ont la générosité de concevoir un État laïque. Condition essentielle de l’ouverture à l’autre. Ils tournent définitivement la page sur le vieux concordat entre l’État québécois et l’Église catholique. Ce sont eux qui font les premiers pas, qui réfléchissent au vivre ensemble. L’État sera neutre, c’est le sacrifice que l’on fait pour favoriser l’harmonie, le respect mutuel.
Alors, où est le rejet? Et pourtant, oui, il y en a un rejet, c’est celui du Québec des régions, mais aussi celui des classes populaires, des cols bleus, bref ceux qu’on identifie au courant nationaliste, ceux qui ont porté au pouvoir René Lévesque, le peuple en fait. Ce fameux peuple qui fait si mal à ceux qui refusent les peuples.
Tout cela pour en revenir à la fameuse dénonciation des indépendantistes anti-charte qui la voient comme une mauvaise, très mauvaise stratégie. On braquerait contre nous les communautés culturelles et Montréal et ainsi l’on perdrait les prochains rendez-vous électoraux en livrant celles-ci aux libéraux.
Honnêtement, pour affirmer cela, il faut voir cette charte exactement comme les fédéralistes la présentent, donc, comme un instrument d’oppression.
Pourtant, partout où s’est effectuée la laïcisation ici ou ailleurs, ce sont des espaces de liberté qui ont été créés. C’est la liberté de penser, l’échange franc des cultures et des idées qui en sont surgies, bref, une politique inscrite dans le progrès. Ce n’est pas pour rien que cette réforme de l’État québécois est soutenue par un fort courant féministe, incarné on le sait par Lise Payette au Devoir. La libération des femmes des années 70 et 80 serait donc devenue un phénomène anti-démocratique tourné précisément contre les femmes?
Nous serions donc dans la novlangue de « 1984 » de Georges Orwell. L’ouverture conviée par la laïcité deviendrait la fermeture à l’autre, l’invitation à l’intégration deviendrait une séparation d’avec l’autre et la neutralité de l’État deviendrait prétexte à l’oppression religieuse. Bref, on inverse tout le sens des mots et l’on condamne sans appel.
J’ai trop vu de haine anti-Québec de mépris envers les miens pour adhérer à cette nouvelle opération d’auto-culpabilisation. D’autant plus (et malheureusement) que je n’ai jamais vu depuis 1960 d’engouement pour la question nationale de la part des communautés culturelles. C’est déjà le désert si l’on excepte la réussite personnelle de Maria Mourani dans Ahuntsic et une certaine frange des enfants de la loi 101. Désolé, mais c’est la réalité.
Aussi, il me semble plutôt qu’il est temps de montrer que l’État québécois existe et que la nation québécoise, ça existe aussi. La très large allégeance des communautés culturelles à l’État fédéral est déjà acquise et la seule façon de contrer ce phénomène c’est par une solide politique d’intégration. On n’en sort pas.
J’entends déjà, oui mais ce n’est pas en rejetant qu’on intègre. Alors là, je dis à nouveau : halte à la désinformation et la démagogie. On laïcise l’État québécois et il reste 4 millions d’emplois disponibles pour ceux qui refusent la laïcité. Comme dans le cas de la charte de la langue française, il y aura transition et pour peu qu’on y mette l’effort, personne n’en souffrira.
Il me reste à ajouter à l’intention de mes camarades indépendantistes qui se demandent si cela nous rapproche de l’indépendance. Je réponds absolument. Car pour peu que la laïcité soit inscrite dans notre corps de loi, il y a un choc formidable à prévoir entre Ottawa et le Québec.
Il restera que le Québec presque constitutionnellement laïc devra obligatoirement revoir son statut du fait que le chef de l’État québécois est le Roi ou la Reine d’Angleterre qui on le sait est en même temps chef de l’Église anglicane. Il faudra à nouveau que le Parti libéral nous explique pourquoi il défend ça.
Bref, il s’agit de creuser la faille qui nous sépare déjà du Canada anglais. Je vous laisse quand même vos doutes quand à la capacité du PQ de mobiliser vers l’indépendance, mais sur cette question de la laïcité de l’État québécois, je ne vois rien au contraire qui nous éloigne de notre objectif. Je suis d’accord toutefois avec ceux qui disent que cette charte mériterait d’être beaucoup plus claire et moins contorsionnée par des compromis dont seul le Parti Québécois possède le secret.
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