Des appels conservateurs illicites

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Des amendes pouvant aller jusqu'à 75 millions de dollars !


Les conservateurs d’Andrew Scheer risquent de lourdes amendes pour de mystérieux appels robotisés sur la Rive-Sud. Une compagnie de sondages par téléphone a contacté les électeurs sans dire pour qui elle travaillait, en violation des règles fédérales.


« J’ai reçu l'appel un peu avant 21h, dit un citoyen de la circonscription de La Prairie, qui a porté plainte, mais qui préfère rester anonyme. Le robot demandait pour qui on a l’intention de voter et nommait les chefs. »


Vérification faite, une petite entreprise inconnue du public, CH Analytique, a effectivement appelé 5000 personnes fin août en omettant de dire pour qui elle sondait, soit la candidate Isabelle Lapointe, dans La Prairie.


Les informations personnelles issues de ce « pointage » étaient envoyées à l’organisation locale, qui peut ensuite les intégrer directement dans le logiciel électoral des conservateurs.


Rien d’illicite ici... à condition de mentionner le parti pour lequel la firme travaille, ce que CH Analytique a omis de faire.


Cet accroc aux règles risque de coûter cher aux conservateurs. Les contrevenants s’exposent à des amendes pouvant atteindre 15 000 $ pour chaque appel, selon les règles du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).


En théorie, dans le cas des 5000 appels de CH Analytique, les pénalités pourraient donc atteindre la rondelette somme de... 75 millions $ !


À la qui la faute ?


L’organisation de Mme Lapointe rejette la faute sur l’entreprise.


« On nous avait dit que tout se ferait selon les règles, dit Maurice Brossard, codirecteur de la campagne locale. Si ça va plus loin, ça sera entre les mains de la compagnie, qui a fait une erreur. »


Mais selon les règles en vigueur, tant le parti que la firme sont susceptibles de payer des amendes.


« La pénalité peut être imposée au client du télévendeur, au télévendeur lui-même ou les deux », explique Patricia Valladao, porte-parole du CRTC.


Néanmoins, CH Analytique risque peu d’écoper de l’amende maximale, dit Pierre Trudel, spécialiste du droit des communications à l’Université de Montréal.


« Mais il faut que la sanction soit dissuasive. »


Il déplore d’ailleurs la faiblesse des règles canadiennes à ce sujet.


« Les citoyens qui répondent à des sondages devraient toujours être en mesure de savoir qui aura accès à leurs informations, pour quelles fonctions et combien de temps elles seront conservées », abonde Anne-Sophie Letellier, de Crypto.Québec, un site portant sur les enjeux de sécurité informatique et de vie privée.








En entrevue, l’un des deux propriétaires de CH Analytique, Pierre-Olivier Campagna, dit avoir commis une erreur de bonne foi.


« Un appel politique aurait eu le mauvais message de présentation. Le fichier audio de présentation n’aurait pas été correctement sélectionné. Nous allons redoubler de vigilance pour éviter que cela se produise », dit-il.


De la porno aux conservateurs


Spécialiste des moteurs de recherche en ligne, M. Campagna a fondé CH Analytique en 2017. À l’époque, il travaillait aussi chez le géant montréalais de la pornographie sur le web, MindGeek, qui diffuse des sites comme Pornhub.


Son associé, Yannis Harrouche, est un ancien « directeur des opérations pour le Québec » au Parti conservateur du Canada, selon son profil LinkedIn.


CH Analytique était aussi chargée des appels robotisés de Richard Martel, conservateur élu lors de l’élection partielle de 2018 dans Chicoutimi–Le Fjord.


La petite compagnie travaille toujours pour lui, en plus de quatre autres candidats conservateurs du Québec, selon le registre du CRTC.


« Nous avons été les fournisseurs principaux de la Coalition avenir Québec lors de la campagne de 2018 », mentionne par ailleurs l’offre de services de CH Analytique aux conservateurs, qu’a obtenue notre Bureau d’enquête.


Depuis 2017, l’entreprise a aussi travaillé pour le Parti libéral du Québec, pour Vrai Changement pour Montréal et pour un candidat défait à la mairie de Chambly.


D’autres cas


2014


Michael Sona, un employé conservateur, a été condamné à neuf mois de prison pour fraude électorale après avoir contacté 7000 électeurs par appel robotisé, afin de les diriger vers le mauvais bureau de scrutin, lors des élections de 2011.


2013


La firme Strategic Communications a écopé d’une amende de 10 000 $ pour avoir réalisé des appels automatisés pour le Nouveau Parti démocratique sans le mentionner.


2012


Le député néo-démocrate Paul Dewar a écopé d’une amende de 7000 $ pour avoir fait des appels automatisés aux membres du parti sans le déclarer.




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