Défendre le français... un jour par année

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Une défense mollassonne qui ressemble davantage à une démission





Pendant les années où Lucien Bouchard était premier ministre (1996-2001), une fois qu’il avait bien mis l’option souverainiste du PQ «en veilleuse» et pour longtemps, dans les médias, on s’est vite rendu compte que pour M. Bouchard, «parler de souveraineté» en public se limitait plus ou moins aux conseils nationaux de son propre parti...


Pour Philippe Couillard, on pourrait dire aussi que pour le premier ministre, défendre en public l’importance de la langue française se limite plus ou moins à son message annuel aux Québécois pour la Fête nationale.


Comme Lucien Bouchard aux conseils nationaux du PQ, c’est un genre de rituel qui, dans les faits, est passablement vide de sens.


Donc, pour ce 24 juin, le message officiel du premier ministre Couillard commençait en ces mots traditionnels :


«Notre Fête nationale est un moment où nous pouvons , ensemble, célébrer notre fierté et notre attachement à la langue française ainsi qu’aux valeurs de solidarité, d’égalité et d’inclusion qui nous ont permis de nous hisser parmi les nations les plus progressistes et innovantes au monde.»


Bon, passons sur la référence plutôt étonnante au progressisme...


De toute évidence, la rédactrice ou le rédacteur de ce message semble tout ignorer des politiques d’austérité budgétaire du gouvernement. Lesquelles sont aux antipodes de tout progressisme concret.


Revenons plutôt au message sur la langue française.


Le mot qui, comment dire, est peut-être le plus révélateur dans ce court paragraphe est «moment». Oui, pendant un «moment», le 24 juin à chaque année, vive la «fierté» et l’«attachement» à la langue officielle du Québec.


Pour les autres «moments» de l’année, par contre, c’est une autre histoire...


***


 


Un autre des nombreux «moments» d’indifférence à la protection du français nous est arrivé hier – trois jours seulement après le «moment» béni de la Fête nationale...


Le Devoir rapportait ceci :


«Même si le gouvernement Couillard s’est engagé à réinvestir 500 millions pour les services aux élèves, les coupes imposées en 2015-2016 à la francisation des enfants d’immigrants dans les écoles primaires et secondaires risquent d’être reconduites l’an prochain.


Comme le révèlent les documents déposés lors de l’étude des crédits du ministère de l’Éducation ce printemps, les sommes allouées à l’accueil et à la francisation des élèves non francophones ont subi une « réduction budgétaire » arbitraire de 13,6 millions pour l’année scolaire qui vient de se terminer, soit 26 % d’une enveloppe de 51,4 millions consentie aux commissions scolaires à cette fin. Or le projet de règles budgétaires auxquelles seront soumises les commissions scolaires en 2016-2017 ne prévoit globalement aucune hausse de l’allocation pour l’accueil et la francisation des enfants d’immigrants.


Le Conseil du trésor doit confirmer sous peu les règles budgétaires qui s’appliqueront lors de la rentrée scolaire de septembre.


(...)


Selon les données de la CSDM, plus de 3000 élèves fréquentent les classes spéciales destinées aux élèves non francophones. Réduire l’accès à ces classes pourrait entraîner des conséquences néfastes pour ces enfants d’immigrants, craint la chef syndicale (Catherine Renaud, présidente de l'Alliance des professeures et professeurs de Montréal) . «Quand on ne maîtrise pas bien la langue française et qu’on n’a pas les services nécessaires, on accumule les retards. Donc, on parle peut-être d’élèves qui pourraient développer des difficultés d’apprentissage, qui pourraient être référés dans des classes spécialisées, qui auraient besoin d’autres services d’enseignants orthopédagogues ou autres. C’est sans fin. »»


Pour l’opposition officielle, c’est une «aberration complète de la part du gouvernement. C’est irresponsable


En effet. Mais cela n’a malheureusement rien de très nouveau.


La francisation de ceux et celles qui, parmi les nouveaux arrivants, ne maîtrisent pas le français, est en fait devenu le parent pauvre des timides mesures d’intégration au Québec.


Et ce, tenez donc, depuis que Lucien Bouchard, alors premier ministre et chef du Parti québécois, a lui-même aboli les fameux COFI (Centres d’orientation et de formation des immigrants).


Et ce, tenez donc encore, lui aussi sous prétexte d’austérité budgétaire – à l’époque, on appelait ça la chasse au «déficit-zéro».


Ce fut, bien entendu, une grave erreur parmi tant d’autres.


Une décision qui, à l’époque, avait été appliquée par un certain André Boisclair, alors ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration et futur chef éphémère du Parti québécois.


En 2005, en pleine course à la chefferie, M. Boisclair, lui-même candidat à la succession de Bernard Landry, avait même lancé cette perle inoubliable sur la fermeture des COFI:


«Je suis fier d'avoir appuyé Lucien Bouchard. Le déficit était un cancer».


À elle seule, cette phrase mérite qu’on lui oppose l’observation contraire qu’en faisait Jacques Parizeau en 2013 :


«Le déficit zéro bousille tout. À partir du moment où vous fixez l’objectif zéro pour une date butoir et que ça devient une religion, vous cessez de réfléchir. On coupe partout, on ne se pose pas de questions


En effet...


***


Donc, comment se surprendre de voir Philippe Couillard, tout comme Lucien Bouchard l’avait fait avant lui, «couper» dans la francisation des nouveaux arrivants au nom du même dogme du déficit-zéro ?


Même idéologie, même combats d’arrière-garde en éducation, en santé et services sociaux. Incluant même, s’il le faut, en affaiblissant des programmes de francisation.


Et attention. Au fil des ans, ces reculs irresponsables dans la francisation ont frappé toutes les catégories d’âge chez les nouveaux arrivants.


Car si le gouvernement Couillard coupe dans la francisation des enfants d’immigrants dans les écoles primaires et secondaires, les COFI, eux, avaient comme mission de franciser les immigrants adultes – lesquels, on l'oublie souvent, forment les trois-quarts des nouveaux arrivants.


Voici en quels termes le Conseil supérieur de la langue française décrivait jadis la mission spécifique des COFI :


«Les COFI accueillent principalement les immigrants adultes. Cette clientèle présente des traits caractéristiques :


a. Les immigrants sont d'origines fort diverses et parlent en conséquence un grand nombre de langues, fort différentes entre elles et plus ou moins éloignées de la famille des langues à laquelle appartient le français.


Les difficultés qu'ils ont pour apprendre le français varient donc considérablement selon la distance entre leurs propres systèmes linguistiques et celui du français : un Italien a moins de problèmes qu'un Vietnamien, par exemple. Pourtant, l'un et l'autre ont le même besoin de connaître le français pour vivre au Québec.


b. Le niveau de scolarité au moment de l'arrivée couvre toute l'échelle entre l'illettré et le diplômé d'université. Les COFI doivent donc tout autant se préoccuper d'alphabétiser des illettrés que d'enseigner l'alphabet latin à des gens d'autres écritures (cyrillique, syllabique, idéographique, etc.) ou enseigner le français à des gens de métier ou de profession qui s'apprêtent à réintégrer le marché du travail dans leur spécialité.


c. L'âge des adultes va de 18 à 60 ans.


d. À l'arrivée, la plupart des adultes ne connaissent rien du français : 85 % de la clientèle des COFI est (en fait, était) de niveau débutant complet.


e. Pour un adulte immigrant au Québec, apprendre le français n'est pas un exercice gratuit répondant à une exigence académique; cela fait partie d'un besoin primordial, celui de communiquer dans un monde nouveau où il devra trouver sa place.


L'apprentissage du français est une nécessité pour pouvoir fonctionner au Québec, tant au plan professionnel (le besoin de trouver un travail étant le plus important et le plus immédiatement ressenti par les adultes) qu'au plan social (adaptation à la vie au Québec, ses institutions, l'assurance-maladie, les écoles, etc.) et au plan psychosocial (relations avec les voisins, amis, compagnons de travail).»


***


Ah.... mais, heureusement qu’il y a encore la Fête nationale - ce «moment», bref et passager, où nos premiers ministres peuvent se vanter haut et fort d’être «fier» de défendre et protéger la langue officielle du Québec...


Pour les gestes plus concrets, il faudra toutefois attendre la semaine des quatre jeudis...



 




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