De Bush à oreille

Géopolitique — Proche-Orient


New York - La bouche pleine, George W. Bush a proféré hier une grossièreté qui en dit long sur sa politique étrangère.
Les médias les plus sérieux aux États-Unis ont dû censurer le mot vulgaire, qui a fait le tour de la planète en moins de temps qu'il n'en faut pour le prononcer en anglais.
N'empêche: la petite histoire retiendra que le président américain a dit le mot "shit" à l'oreille de son plus fidèle allié international, Tony Blair, qu'il avait auparavant interpellé ainsi:"Yo, Blair!"
Bien sûr, le président américain ne savait pas que les caméras et les micros du G8 étaient encore en marche. La gaffe n'en est que plus révélatrice de sa vision et de son caractère. "Ce qu'ils doivent faire, c'est amener la Syrie à faire en sorte que le Hezbollah cesse de semer la merde, et ce sera fini", a-t-il dit au premier ministre britannique lors d'un déjeuner des dirigeants du G8 à Saint-Pétersbourg.
Si elles n'avaient pas censuré le gros mot, les chaînes de télévision américaines auraient été passibles d'une amende.
Depuis le scandale du sein dévoilé de Janet Jackson, le FCC, l'Agence fédérale des communications, ne laisse plus passer aucune grossièreté ou image indécente.
Dans son échange avec Tony Blair, le président américain ne précise pas qui il entend par "ils". Selon toute probabilité, il fait allusion aux membres de la Ligue arabe, qui se sont réunis samedi au Caire pour condamner "l'agression israélienne" et réclamer l'intervention du Conseil de sécurité de l'ONU. Ainsi, selon le président Bush, la crise au Liban prendrait fin si les États arabes forçaient la Syrie à mettre au pas le Hezbollah.
Après avoir évoqué cette thèse, George W. Bush a reconnu que sa secrétaire d'État, Condoleezza Rice, pourrait jouer un plus grand rôle dans la quête d'une solution. "Je crois que Condi va y aller assez rapidement", a-t-il dit à Blair.
Le voyage de Condi Rice a été confirmé plus tard dans la journée par le département d'État. Cependant, avant de partir, la chef de la diplomatie américaine devrait attendre le retour à New York, à la fin de semaine, de la délégation envoyée au Liban par le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan.
Frustration
Dans son dialogue avec Tony Blair, le président Bush a exprimé sa frustration à propos de l'action du secrétaire général de l'ONU.
"J'ai eu envie de dire à Kofi d'appeler (le président syrien Bachar) Al-Assad au téléphone, pour qu'il se passe quelque chose", a-t-il dit.
Malgré cet aveu d'impuissance, c'est le gros mot du président qui a dominé les ondes, les blogues et les conversations. "Sur le plan de la rhétorique, c'est une erreur très grave", a déclaré à La Presse Robert Thompson, directeur du Centre d'études de la télévision populaire à l'Université de Syracuse.
"Pour certains Américains, ce sera peut-être la goutte qui fera déborder le vase. Ils ont peut-être avalé le fait qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive en Irak, mais ils n'accepteront pas que leur président dise des gros mots à l'étranger!" a-t-il estimé.
Surtout quand ce président vient du parti qui mène le combat contre les propos indécents et profanes entre 6h et 22h à la télévision.
Hier, les animateurs de talk-shows de fin de soirée ont dû s'en donner à coeur joie. Mais l'affaire n'est pas vraiment drôle.
"Le Moyen-Orient est au bord du gouffre, et le président des États-Unis est réduit au rôle de spectateur, ruminant piteusement sur ce que les autres devraient faire pour trouver une solution", a écrit la commentatrice Ariana Huffington sur son blogue, où les visiteurs pouvaient revoir un clip de l'échange entre Bush et Blair.
Cela ne devait évidemment pas se passer ainsi. Le 26 août 2002, le vice-président américain Dick Cheney prédisait des lendemains qui chantent au Proche-Orient.
"Un changement de régime en Irak bénéficierait à toute la région, disait-il. Les extrémistes seraient obligés à repenser leur stratégie du jihad. Les modérés prendraient courage, et notre capacité à faire progresser le processus de paix israélo-palestinien s'en trouverait renforcée."


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