Crainte d'un «retour de la collusion»

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Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets

Comme au temps des compteurs d'eau, où une firme de génie-conseil orchestrait le dossier dans ses moindres détails au nom de Montréal, installée dans les bureaux municipaux, la Ville ouvre de nouveau la porte à un rapprochement avec le secteur privé pour la planification stratégique de ses projets d'infrastructure. La situation fait dire au syndicat des ingénieurs que «tout est encore en place pour un retour en force de la collusion et de la corruption».
«Malgré les récents événements, les autorités municipales et la nouvelle administration Coderre ne semblent pas avoir tiré des leçons et posé des gestes pour protéger les contribuables montréalais», soutient André Émond, vice-président du Syndicat professionnel des scientifiques à pratique exclusive de Montréal (SPSPEM). On retrouve la déclaration de M. Émond dans un communiqué de presse que La Presse a obtenu avant sa diffusion, prévue aujourd'hui.
M. Émond pointe notamment un mandat pour la planification stratégique du Plan de transport.
En juin dernier, le conseil d'agglomération de Montréal a approuvé la conclusion d'une entente-cadre de 1,7 million avec Les Consultants SM. Cela signifie que la métropole pourra accorder des contrats à cette firme au cours des deux prochaines années pour un total n'excédant pas ce montant, et ce, sans retourner en appel d'offres public.
Mais il y a plus. La firme aura accès au «carnet des programmations intégrées», c'est-à-dire au répertoire de tous les projets d'infrastructure prévus par Montréal jusqu'en 2019. Ces dossiers sont souvent liés aux projets menés par d'autres organismes, entreprises ou sociétés d'État, comme Hydro‑Québec, Bell, Vidéotron ou Gaz Métro, puisque lorsque la Ville ouvre le sous-sol d'un tronçon de rue, par exemple, tous sont invités à profiter de la situation pour effectuer des travaux.
Le carnet des programmations intégrées est un document qui n'est pas public à cause de sa teneur hautement stratégique. En effet, celui qui saurait ce que Montréal prévoit, dans le détail et selon quelle estimation, bénéficierait d'un avantage sur la concurrence.
Selon les documents en appui de la décision des élus de Montréal (sommaire décisionnel), Les Consultants SM assumeront la coordination des grands chantiers avec les «partenaires en transport». Ainsi, la firme sera branchée directement sur les sources d'information: Transports Canada pour le projet de reconstruction du pont Champlain, le ministère des Transports pour le complexe Turcot, la Société de transport de Montréal (STM) pour la mise en place «des mesures prioritaires pour bus et IBUS» ainsi que l'Agence métropolitaine de transport (AMT) pour l'implantation du Service rapide par bus (SRB) Pie-IX et du système léger sur rail (SLR).
Ces chantiers majeurs correspondent à des investissements publics de plusieurs milliards de dollars.
Des sources au sein de la haute fonction publique montréalaise dénoncent le risque que la Ville remette «les clés de ses fonctions stratégiques» entre les mains du privé; l'établissement des besoins de Montréal, leur planification et la coordination des projets sont autant de prérogatives des autorités municipales, rappellent ces personnes qui ont demandé à ne pas être identifiées. «C'est le retour du gros train avec le même monde à bord et une façon de faire que l'on jugeait inacceptable il n'y a pas si longtemps», a lancé l'une d'elles.
Inquiétude syndicale
Le SPSPEM, qui regroupe notamment les ingénieurs, considère qu'il y a «une proximité inquiétante entre la Ville et les firmes de génie-conseil».
«Permettre aux firmes de génie-conseil d'avoir accès à ce document de planification stratégique, c'est planifier le retour de la collusion», estime le vice-président du syndicat, André Émond, dans le communiqué de presse.
M. Émond est invité aujourd'hui à témoigner à la commission Charbonneau. Il présentera le mémoire du syndicat. Il entend y rappeler que la «vulnérabilité de la Ville face aux grandes firmes de génie-conseil est l'une des composantes importantes qui ont contribué à la création d'un climat propice à la corruption et à la collusion».
Confidentialité
Dans l'immédiat, Les Consultants SM ont obtenu un premier mandant de 172 000$, comme le prévoit l'entente-cadre. C'est la Division de la planification intégrée qui a fait appel à l'expertise de SM. Deux ingénieurs de cette firme sont installés dans les bureaux de la Ville. Ils s'ajoutent aux quatre fonctionnaires déjà en poste.
De plus, ils ont accès au système informatique interne de la Ville. La Presse a pris connaissance d'échanges de courriels qui le démontrent. Les ingénieurs peuvent également prendre connaissance des données du GDD, soit le système décisionnel de la municipalité. C'est là que se trouvent les sommaires décisionnels qui donnent les explications, les justifications et les estimations financières des différents projets.
Vendredi en début de soirée, la Ville a expliqué qu'elle conservait la «maîtrise d'oeuvre» de ses travaux et que les ingénieurs de Consultants SM avaient signé «un avis de confidentialité». On a également soutenu que l'expertise interne n'est pas suffisante.
Rappelons que dans la foulée du scandale des compteurs d'eau - un contrat annulé, mais qui fait l'objet d'une enquête criminelle de la part de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) -, la Ville de Montréal avait annoncé son intention de regarnir ses rangs en ingénierie afin de consolider son expertise dans plusieurs domaines névralgiques. Depuis cette annonce, les travaux de la commission Charbonneau ont démontré qu'en s'en remettant aux experts-conseils privés, les municipalités, dont Montréal, se sont mises à risque. Avec l'information qu'elles détenaient de la Ville de Montréal, des firmes de génie-conseil ont reconnu s'être partagé les contrats et avoir fixé les prix pendant de nombreuses années.
Le contrat à SM
L'entente-cadre de services professionnels d'une durée de deux ans a été accordée à Les Consultants SM à la suite d'un appel d'offres public. Quinze firmes s'étaient procuré le cahier des charges et sept d'entre elles ont déposé une soumission (une firme a même fait deux propositions avec des équipes différentes, ce qui est permis).
L'estimation municipale du coût de ce contrat était de 2 498 482,06$, alors que le gagnant a remporté la mise avec une soumission moins élevée de 700 000$ (1 789 719,00 $). Selon la Ville, le taux horaire payé aux ingénieurs (intermédiaires et juniors) pourrait expliquer cet écart de 28,37%.
Par ailleurs, Montréal estime que la firme de génie n'a pas besoin d'avoir l'attestation de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en vertu de la Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics (loi 1). La firme Les Consultants SM a toutefois fait une demande à l'AMF, indiquent les documents de la Ville.


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