Condamné, il ne peut voir son fils

Tribune libre

Il y aura toujours des gens pour refuser l’évidence. Prenez la reconnaissance de la condition masculine, par exemple. Aux yeux de certains esprits chagrins, le constat en progression de cette réalité, pourtant incontournable, et des revendications touchant les problématiques qu’elle implique, relève du scandale, de l’hérésie. Si les « fatiguants » qui militent en vue de la reconnaissance du droit des pères, d’un meilleur encadrement scolaire des garçons, d’un financement équitable des soins de santé et de services sociaux ou de la lutte à la misandrie dans les médias pouvaient se la fermer, la léthargie de leurs opposants mais surtout, de leurs détractrices, n’en serait que plus douce, profonde et durable. Qu’il est suave de s’enliser dans la béatitude d’une pensée unique quand aucun fauteur de trouble ne vient vous indisposer…

Ainsi, Hélène Palma, l’une de ces militantes importunées, qui aurait pu titrer son texte récent « Vers une meilleure compréhension de la condition masculine occidentale », a plutôt choisi « La percée de la mouvance masculiniste en Occident ». « Mouvance » fait plus louche, davantage retors, que « mouvement » tandis que « masculiniste » demeure un qualificatif péjoratif, voire injurieux. L’auteure ne peut ignorer ce fait puisqu’elle cite d’entrée de jeu la définition du substantif « masculinisme », créé par Michèle Le Doeuff : « Pour nommer ce particularisme, qui non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d’une affirmation (il n’y a qu’eux qui comptent et leur point de vue), j’ai forgé le terme de masculinisme ». À un mot près, « hommes », que l’on pourrait remplacer par « femmes », Mme Le Doeuff donne ici une définition acceptable quoique sommaire du féminisme radical.

Mme Palma, de son côté, en rajoute : « En fait, le groupe le plus privilégié (les pères, apparemment) de notre société patriarcale prétend être gravement lésé et s’exprime dans ce sens depuis une quarantaine d’années. Ces hommes dénoncent le plus souvent le féminisme comme la cause première de leur mal-être et souhaitent ouvertement un retour en arrière. » L’a-t-on assez entendu ce refrain-là ! Ne manque plus que le rapprochement douteux avec le Tea Party pour que le pastiche des pères croulants soit complet. Si l’on se tuait à répéter à cette dame que c’est la faction radicale du féminisme, cet État dans l’État, qui est mise sur la sellette (ce que cette militante ne peut ignorer), elle nous laisserait mourir. Bien sûr, le féminisme dominant serait inopérant sans la flasque complicité de nos dirigeants et l’indolence des médias. Mais laissons ici la rhétorique : il n’y a rien de tel qu’un exemple concret pour exposer le double standard qui afflige les pères au Québec.

Parlez-moi donc de privilèges…

Il y a quelques jours, Lise Bilodeau, présidente-fondatrice de l’Association des nouvelles conjointes et des nouveaux conjoints du Québec (ANCQ) me révélait l’histoire troublante de l’un de ses membres, sans doute un « privilégié » qui ne connaît pas sa chance. Jeune père dans la quarantaine, ancien cadre d’entreprise, Raynald a commis l'indélicatesse de se réveiller un jour atteint d’un cancer dégénératif. Condamné, il a tout perdu: son emploi, sa femme qui, n’acceptant pas sa maladie, a obtenu le divorce, et son fils, que sa mère a tellement réussi à éloigner de son père qu’il a perdu tout contact avec lui.

L’homme vit désormais dans une misérable garçonnière d’une seule pièce dont il est devenu l’otage; il y reçoit ses perfusions, données par des infirmières. Lourdement médicamenté, il se déplace difficilement avec des béquilles adaptées. Bien que son ex-conjointe gagne très confortablement sa vie, Raynald, qui vit pauvrement d’une rente d’invalidité, doit malgré tout lui verser 80 $ chaque mois. Précisons que certains médicaments contre le cancer ne sont pas couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec et qu’en fait comme en principe, ce serait à Madame, vu ses possibilités salariales, de soutenir son ex dans le dénuement. Au lieu de cela, elle fait partie des 95 % de prestataires de pension à en obtenir une d’un homme.

L’avocat de Raynald ne cherche même pas à présenter à cette femme de demande pour provision de frais. Doute-t-il de l’équité du système envers un homme ? Quant à elle, le fait de savoir son ex dans une situation aussi criante d’abandon ne semble pas l’émouvoir. Pourquoi devrait-elle s’inquiéter puisqu’il fait partie du « groupe le plus privilégié de notre société patriarcale » ? Une révision de pension demanderait au bas mot 2 000 $. L’Aide juridique, à laquelle Raynald est admissible, vu son état et des finances, ne lui en accorde que 600.

Devant les tracas occasionnés par l’interférence maternelle, Raynald tente vainement de revoir son fils, bien qu'un jugement de cour lui accorde un droit de visite d’une fin de semaine sur deux. Son avocat tentera de ramener la mère à de meilleurs sentiments par l’envoi d’une lettre afin qu’elle permette à son ex de voir le jeune adolescent, quelques heures aux 15 jours. Il semble cependant que ce soit déjà trop demander. Aux dires de la dame, une telle démarche serait trop compliquée. Après quelques années, pendant lesquelles elle a espacé les visites, la mère affirme que le gamin ne s’intéresse plus à son père. Il serait même gêné de le rencontrer. Raynald n’a cependant que cette version de l’histoire. C’est à cette croisée des chemins que le voilà rendu.

« Je suis toujours en contact avec, m’écrit Lise Bilodeau. Je suis sans doute l’une des seules personnes qu’il rencontre, avec l’infirmière, pour ses perfusions. Il m’a fait rire, car il a pensé me faire parvenir un « petit poisson d’avril ». Force est de constater qu’il tient encore à la vie. Vois-tu, c’est cela l’ANCQ, c’est le bout du filet, là où les gens ne seront pas rejoints avec notre beau système. »

Quelques questions…

J’ai quelques questions pour les Hélène Palma et autres émules de Michèle Le Doeuff, persuadées, du moins en apparence, que les pères demeurent le « groupe le plus privilégié de notre société patriarcale »… Quelle mauvaise plaisanterie ! Croyez-vous un seul instant, Mesdames et, éventuellement, Messieurs, qu’une société occidentale, dotée d’un féminisme d’État assez puissant pour influencer les lois, autoriserait son système judiciaire à commettre envers une femme des injustices aussi grossières que celles infligées à Raynald ? Pouvez-vous me citer des cas comparables ?

Une telle société tolèrerait-elle un seul moment qu’une femme, mortellement atteinte d’un cancer, vivant dans la pauvreté, soit de plus contrainte à payer une pension à un homme bien nanti ? Trouverait-elle normal de ne pas lui donner les moyens d’en exiger plutôt une ? Et cette communauté, admettrait-elle qu’une mère soit privée de tout contact avec son unique enfant, au seul motif que d’organiser de telles rencontres serait « trop compliqué » ? Bien sûr que non.

Pourquoi alors accuser faussement des hommes, et aussi des femmes, qui veulent corriger des injustices aussi criantes envers les pères, de souhaiter « ouvertement un retour en arrière » ? L’injustice qui frappe Raynald est un exemple parmi une pléthore d’autres. J’invite particulièrement Mme Palma à méditer sur cette phrase laconique et déplacée dont elle est l’auteure : « Des hommes, des pères, donc, qui se lamentent sur la prétendue précarité de leur condition. » Voilà un commentaire dur à battre, tant au plan de la mauvaise foi que de la faute de goût.


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1 commentaire

  • Olivier Kaestlé Répondre

    6 avril 2011

    Voici l'hyperlien menant à l'article si éclairant d'Hélène Palma : http://www.cahiersdusocialisme.org/2010/09/05/la-percee-de-la-mouvance-masculiniste-en-occident/