Commission Bastarache: un pari risqué

Commission Bastarache




Le début des travaux de la commission Bastarache a été assombri par les propos de Marc Bellemare remettant en question la crédibilité du processus mis sur pied pour enquêter sur la nomination des juges. Tout laisse croire que l'ex-ministre de la Justice a choisi de politiser les travaux de la commission pour s'assurer que ses allégations concernant l'intervention inappropriée du premier ministre Charest dans la nomination des magistrats soient jugées devant le tribunal de l'opinion publique plutôt que par le juge Bastarache.
C'est une stratégie qui se comprend, à un moment où le gouvernement est au plus bas dans les sondages, alors que flotte au-dessus de sa tête un lourd nuage de soupçons de corruption et de scandales.
Les partis de l'opposition seront aussi probablement tentés de suivre cette voie et de transformer la commission Bastarache en commission d'enquête sur le financement du Parti libéral et l'industrie de la construction qu'ils ont été incapables d'obtenir jusqu'à présent. En refusant la création d'une telle commission, mais en acceptant d'en établir une autre sur la nomination des juges, le gouvernement a cru qu'il pourrait séparer les deux enjeux.
Mais il s'agit là d'un pari risqué, car les commissions d'enquête produisent des effets souvent non anticipés par ceux qui les ont créées au départ. Car entre une commission d'enquête sur la nomination des juges et une autre sur l'industrie de la construction, il y a le Parti libéral du Québec et son financement. C'est cet enjeu qui, plus que tout, risque de jouer le rôle de vase communicant ou de lien entre la commission qui existe et celle qui n'existe pas. Les fortes pressions politiques exercées pour la création de la commission d'enquête qui n'existe pas sont ainsi susceptibles de déborder dans le cadre des discussions de la commission qui existe.
On voudra alors s'attaquer au PLQ et mettre en évidence ses liens étroits avec le milieu juridique. On soulignera, comme le fait Marc Bellemare, que le PLQ entretient des relations privilégiées avec les grands cabinets d'avocats qui, d'un côté, agissent comme financiers du parti, et de l'autre, empochent de lucratifs contrats publics. On dira qu'il existe un système de «portes tournantes» (revolving doors) entre le gouvernement et les avocats et que les chefs de cabinet et le personnel ministériel proviennent largement du monde juridique. Et on aura probablement raison.
Mais c'est une observation qui vaut autant pour le PLQ que le PQ et la plupart des autres partis. Dans toutes les grandes démocraties du monde, les avocats sont toujours la profession la plus fortement représentée dans le processus politique. Déjà au XIXe siècle, en Angleterre et aux États-Unis on estimait que près du tiers des députés et ministres étaient issus du monde des juristes.
En démocratie, la politique et les décisions qui en découle s'expriment par le droit. Bien plus que pour des questions d'intérêt et d'opportunisme, c'est d'abord et avant tout pour cette raison que ceux et celles formés dans son interprétation sont systématiquement surreprésentés dans le processus politique.
On dit souvent qu'il y a «six degrés de séparation» pour décrire la possibilité que toute personne sur le globe puisse être reliée à n'importe quelle autre, par le biais d'une chaîne de relations individuelles comprenant au plus cinq autres maillons. Dans une société plus petite comme la nôtre, où les réseaux d'élite sont plus étroitement tissés, il y a peut-être deux ou trois degrés de séparation.
Dans ces circonstances, il n'est pas difficile de retracer des liens entre individus ayant fréquenté les mêmes écoles et travaillé dans les mêmes organisations. Or, tracer des liens sociaux entre individus est une chose. On peut bien démontrer que tel ou tel avocat est le beau-frère du cousin qui est allé à la même école que le voisin du conseiller du ministre de la Justice. Mais imputer à ces liens une relation de cause à effet donnant lieu à des avantages indus constitue une tout autre affaire.
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Denis Saint-Martin
L'auteur est professeur de science politique à l'Université de Montréal.
La Presse


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