Citizen Malenfant

Quand le biographique s'empare du réel

Livres-revues-arts 2011

Le conflit du Manoir Richelieu constitue l’un des plus importants affrontements de travail des 25 dernières années au Québec. La série Malenfant diffusée à Série Plus, avec Luc Picard dans le rôle-titre, nous amène à nous poser certaines questions en rapport avec notre étude récente à ce sujet (Ce n’était pas le temps d’une paix. L’histoire du conflit du Manoir Richelieu. La Malbaie, Éditions Charlevoix, 2010. 154 p.)
Citizen Malenfant ou quand le biographique s’empare du réel.
La biographie et les enjeux sociaux
Perspicace, le journaliste Stéphane Baillargeon dans Le Devoir du 19 février 2011 pose carrément la question : « est-ce la première série adéquiste? » Pourquoi donc? Car, implicitement, un réalisateur choisit un personnage toujours ou presque par empathie avec l’homme et ses positions. Tout le monde n’est pas Orson Welles qui compose dans son chef-d’œuvre Citizen Kane un portrait croisé et corrosif de Charles Foster Kane librement inspiré de la vie de l’homme d’affaires William Randolph Hearst; bien des auteurs plus talentueux se sont cassés la figure à ce type de contre-biographie. On ne s’attendait vraiment à rien de ce genre. Ainsi donc, platement, on se contentera de placer quelques «zones d’ombres » qui ne permettront finalement que de mieux faire accepter Raymond Malenfant et ses œuvres. Procédé connu, on pourra ensuite compter sur l’identification immédiate du spectateur au « héros ». Le tout vient s’accroître avec l’imprimatur d’une personnalité aimée du public comme Luc Picard connue pour ses interprétations de Chevalier de Lorimier ou de Michel Chartrand. Dès lors, on en vient bientôt à épouser le seul point de vue du biographié en aboutissant littéralement à se mettre dans sa peau. Une recette qui génère des recettes...
Évidemment, la compréhension d’un événement tel qu’il soit, ne peut se résumer au seul regard d’un acteur intéressé. Voilà la limite de la biographie. De même, dans le cas de Raymond Malenfant, on ne traite pas d’une matière morte mais de questions qui sont encore des enjeux de la société actuelle dans la lutte pour l’imposition de la version « légitime » du conflit du Manoir Richelieu comme dirait Pierre Bourdieu. Faire un drame biographique de la vie de Raymond Malenfant, c’est mettre les deux pieds dans toutes ces questions, on ne peut en sortir. Le choix du « biographé » et de l’angle est, en soi, un choix politique qui ne peut se maquiller derrière une supposée neutralité de l’artiste. Il s’agit d’assumer ses choix comme plusieurs le font et prendre effet qu’ils laissent, dans l’angle mort, des réalités importantes dans une production cette fois-là diffusée devant plusieurs milliers de téléspectateurs qui ne donne pas de véritable contrepartie valable. Ce n’est pas rien.
Une expérience sociale
Le conflit du Manoir Richelieu ne fut, en fait, par-delà même Raymond Malenfant, une expérience sociale qui a laissé tout un milieu, Charlevoix, grand perdant. Comme toujours, une population régionale dont on oublie la souffrance. L’affrontement génère une contre-publicité monstre au Manoir Richelieu, une institution commençant à peine à trouver une nouvelle clientèle après la faillite de 1975 et qui se retrouve encore sans propriétaire après la faillite de Raymond Malenfant. La disparition du syndicat au Manoir Richelieu amène un recul substantiel des conditions des travailleurs de l’hôtel et les anciens travailleurs qui décident de maintenir les moyens de pression doivent subsister avec des prestations limitées et vivre une certaine forme d’ostracisme dans le milieu rendant difficile ou impossible de se trouver un nouvel emploi. Finalement, le conflit du Manoir Richelieu aura mené à une détérioration générale du climat social dans Charlevoix. Tout cela en bout de ligne pour en revenir à la situation d’avant 1986.
En 2011, le portrait ressemble à s’y méprendre à celui d’avant Raymond Malenfant : le gouvernement du Québec par le truchement d’une société d’État, Loto-Québec, est l’actionnaire majoritaire de l’hôtel et peut même, maintenant, compter sur une partie des revenus de l’État, ceux du Casino de Charlevoix, pour financer les activités du Manoir Richelieu. Le groupe Fairmont, actionnaire à 25%, joue un rôle similaire au système de concessionnaire adopté dans les années 1970 et 1980 pour assurer la gestion du Manoir Richelieu. Qui plus est, la CSN a fait un retour remarqué dans l’établissement à la fin 2004 en ralliant près de 40% des employés. Ainsi, la nécessité d’un minimum de stabilité à la tête de l’établissement a fait que, de fil en aiguille, les zélateurs du Salut par le secteur privé ont dû changer d’idée car le marché libre ne permettait pas de maintenir les opérations de l’hôtel à flot.
De tout cela, vous n’entendrez pas parler dans la série Malenfant. Toutes ces personnes flouées, ne sont pas comme la travailleuse de la factrie de Clémence Desrochers, « un sujet à chanson ».
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Christian Harvey, historien
Centre de recherche sur l’histoire et le patrimoine Charlevoix


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