Entretien avec Jacques Sapir

Chypre : le début de la fin de la zone euro…

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L'odeur fétide de la déroute

Entretien avec Jacques Sapir réalisé par Baudouin de Saxel.
Le répit accordé par le Fonds monétaire international à Chypre peut laisser présager une accalmie de la crise sur la petite île méditerranéenne. Pour l’économiste Jacques Sapir, il n’en est rien. Les accords trouvés porteraient même en leur sein la future dissolution de la zone euro.
Que faut-il retenir du plan d’aide concocté par la troïka et les autorités cypriotes ?
La crise cypriote, qui est loin d’être terminée par ailleurs, aura apporté des changements tout à fait significatifs à la doctrine européenne en matière de crise. Désormais, il est acquis que ce sont en partie les déposants des banques qui devront venir à la rescousse de leurs établissements si ces derniers sont menacés. Mais il y a pire ! Ou meilleur, si l’on préfère.
Cette crise a aussi montré que l’on pouvait pratiquer un contrôle des capitaux à l’intérieur même de la zone euro. Or, les concepteurs de ce genre de système ne se rendent pas compte qu’ils créent deux euros ; en l’occurrence un euro cypriote et un euro pour le reste de la zone. En réalité, ils commencent simplement à segmenter la zone euro, et indéniablement à la dissoudre.
Les détracteurs de la monnaie unique devraient se réjouir d’un euro à plusieurs vitesses…
L’idée d’un euro à plusieurs vitesses correspond en réalité à la négation même de la monnaie unique. De ce point de vue, il est extrêmement intéressant de voir que l’on a, en théorie, abouti à cette solution pour sauver l’euro et les banques cypriotes. En réalité, on constate que les mesures qui sont mises en œuvre pour résoudre cette crise portent en elles-mêmes la dissolution de la zone euro.
En contrepartie du prêt de 10 milliards d’euros conclu à Bruxelles, les autorités doivent trouver 5,8 milliards d’euros. Pour ce faire, les détenteurs de gros dépôts pourraient enregistrer des pertes très importantes. Les riches sont-ils les grands perdants de la crise ?
Dans cette crise chypriote, il y a deux moments essentiels. Le premier, c’est celui où la troïka a menacé d’imposer des taxes sur l’ensemble des comptes. Tout le monde aurait payé. Dans un deuxième temps, on a admis que l’on ne pouvait pas créer ce genre de taxe sans remettre en cause le principe de la garantie des dépôts qui a été acté au niveau de l’Union européenne. On a donc, d’une certaine manière, modifié la loi, mais les dommages étaient causés. Concrètement, au niveau des principales banques de l’île mises en cause, les déposants les plus riches ont déjà fait sortir leur argent. Ce n’est un mystère pour personne. En réalité, les seuls à être pénalisés seront les déposants de classe moyenne, ceux dont les dépôts sont tout juste supérieurs à 100.000 euros. Ceci introduit une injustice dans le traitement des personnes, injustice qui remet en cause le principe d’égalité établi par la troïka.
Quel rôle a joué la Russie dans cette crise ?
Un rôle relativement mineur. À travers la gestion de la crise chypriote s’est surtout jouée la confiance que la Russie pouvait avoir dans les institutions de la zone euro. Aujourd’hui, elle invite ses ressortissants à limiter drastiquement leur exposition aux risques au sein de la zone. C’est une décision qui aura des conséquences très importantes dans un proche avenir.
Jacques Sapir, le 5 avril 2013


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