Chine, Corées, Japon: l’Asie réarme tous azimuts

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La montée en puissance des Chinois ravive de vieilles tensions en Asie

DÉCRYPTAGE - Sur fond de rivalité géopolitique entre Pékin et Washington, de crise nucléaire avec Pyongyang et de brouille historique entre Séoul et Tokyo, les questions militaires occupent un espace croissant dans l’actualité asiatique.



Déclarations martiales, exercices militaires et achats d’armements témoignent souvent de la température géopolitique. Le continent asiatique n’échappe pas à ce principe alors que des tensions diverses, certaines locales, d’autres internationales, s’y entremêlent, voire s’attisent entre elles.


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À la crise nucléaire nord-coréenne s’ajoute le différend historique aujourd’hui ravivé entre la Corée du Sud et le Japon, tous les deux alliés des États-Unis dans leur rivalité avec la Chine, nouvelle superpuissance, qui, elle, exerce de tout son poids son influence à Taïwan, Hongkong ou en mer de Chine méridionale.


● La Corée du Nord joue avec les limites


Quelques semaines avant que Séoul et Washington organisent des exercices militaires communs, Pyongyang a procédé ce mardi au quatrième tir de «projectiles» depuis le 25 juillet. Il s’agirait de deux missiles balistiques qui auraient parcouru 450 km, selon le chef d’état-major sud-coréen. Ce serait donc encore des armes de courte portée, les missiles intermédiaires ayant une portée de 500 km à 5500 km. Au-delà, les missiles sont qualifiés d’intercontinentaux et sont réservés aux frappes stratégiques prévues dans le cadre de la dissuasion nucléaire. Pyongyang mesure donc son effet: de tels tirs sont illégaux au regard des sanctions votées par le Conseil de sécurité de l’ONU, mais ne franchissent pas la ligne rouge que représenterait le tir d’un missile de portée intermédiaire (qui pourrait atteindre l’île américaine de Guam dans le Pacifique) ou d’un missile intercontinental (qui pourrait atteindre en théorie l’ensemble des États-Unis). En revanche, le régime communiste rappelle qu’il peut frapper n’importe quel point de la Corée du Sud ou du Japon, ce qui était déjà le cas avant l’accession de Pyongyang au nucléaire.


Moins spectaculaire mais en réalité très significatif, Kim Jong-un a inspecté la semaine dernière la construction d’un sous-marin très particulier puisqu’il s’agirait d’un type «lanceur d’engins», autrement dit porteurs de missiles balistiques tirés sous la surface de l’eau. Sans ambiguïté, le dirigeant communiste montre aux États-Unis que son régime peut se doter rapidement d’une composante sous-marine de sa dissuasion nucléaire. C’est le Graal qui permet à un État atomique de garantir sa «capacité de seconde frappe» en étant capable de riposter même lorsqu’il a été touché par une première attaque nucléaire. Si la crise politique entre Pyongyang et Washington s’est apaisée depuis 2017, en revanche, du point de vue de la prolifération, elle a empiré puisque le régime nord-coréen poursuit son programme nucléaire, en quantité et en qualité. La «dénucléarisation de la péninsule coréenne» invoquée par Trump et Kim lors du sommet de Singapour en juin 2018 fait jusqu’à présent long feu.


● La Chine et les États-Unis se tiennent en joue


Ce mardi matin, les Chinois ont quant à eux mis en garde les Américains contre un déploiement de missiles terrestres de portée intermédiaire dans la région Asie-Pacifique. «La Chine ne restera pas les bras croisés», a averti un représentant du ministère chinois des Affaires étrangères. Une réplique aux déclarations du nouveau chef du Pentagone, Mark Esper, qui a annoncé samedi lors d’une tournée en Asie qu’il souhaitait le déploiement de telles armes «le plus tôt possible».


Ce duel fait suite au retrait américain, la semaine dernière, du traité INF. Signé en 1987 entre les États-Unis et l’URSS, il leur interdisait la fabrication, le déploiement et l’usage de missiles sol-sol d’une portée de 500 à 5500 km. Pour Washington, un tel retrait vise moins la Russie, qu’il accuse d’avoir violé le traité, que la Chine, qui n’est pas signataire. Ayant juridiquement les mains libres, Pékin développe une stratégie régionale de «déni d’accès» qui s’appuie sur plusieurs programmes de missiles balistiques à portée intermédiaire. Certains d’entre eux, spécifiquement conçus pour la lutte antinavire, inquiètent l’US Navy , dont les porte-avions sont le principal moyen de projection. En développant des missiles terrestres, les Américains pourraient tenter de rééquilibrer la balance alors que la Chine contrôle largement la mer de Chine méridionale, enjeu de nombreux litiges territoriaux avec les pays riverains, et qu’elle maintient une forte pression contre Taïwan.


● La Corée du Sud et le Japon ravivent des tensions historiques


Dans ce contexte de crise nord-coréenne et de montée en puissance de la Chine, la Corée du Sud a laissé entendre la semaine dernière qu’elle se doterait d’ici la fin des années 2020 de son premier porte-avions, équipé de F-35B, quelques mois après que le Japon a lui-même décidé de transformer ses porte-hélicoptères pour qu’ils puissent accueillir le chasseur américain. Cet intérêt croissant des Japonais et des Sud-Coréens pour les forces aéronavales ne s’explique pas seulement par les grandes ambitions de Pékin qui va mettre en service cette année son deuxième porte-avions et qui en construit deux autres, plus modernes. La réaction de Séoul illustre aussi le bras de fer qui l’oppose au Japon. La rivalité entre les deux puissances asiatiques est ancienne, remontant à la colonisation de la péninsule coréenne par le Japon impérial de 1910 à 1945. Malgré un traité de normalisation en 1965, les deux pays s’écharpent régulièrement, particulièrement depuis la fin de l’année 2018 et plus encore depuis quelques semaines. Alors que la crise se traduit surtout par des condamnations politiques et des sanctions commerciales, une dimension militaire latente demeure, rappelant que le conflit est aussi territorial, le Japon revendiquant la souveraineté des îles Dokdo contrôlées par la Corée du Sud.


Cette brouille ne peut qu’embarrasser les États-Unis qui, au-delà des exportations d’armements que cela peut engendrer, aimeraient pouvoir offrir à Pékin l’image d’un front uni avec ses deux alliés japonais et sud-coréen. D’autant que Pékin, de son côté, renforce ses liens stratégiques et militaires avec la Russie, mentionnée explicitement dans son dernier Livre blanc sur la défense. Il n’est pas anodin que, fin juillet, une patrouille aérienne russo-chinoise comprenant des bombardiers lourds ait donné lieu à un incident diplomatique et à des tirs de sommation après qu’un avion de guet russe a pénétré dans l’espace aérien sud-coréen. En Asie, les armes se font entendre chaque jour faiblement, mais distinctement.