Chantiers: un seul gros joueur tire les ficelles

Les enquêteurs auraient identifié le chef d'un réseau d'une trentaine d'entrepreneurs

Enquête publique - un PM complice?


Kathleen Lévesque - Le travail d'enquête de l'unité anticollusion du ministère des Transports et de l'opération Marteau aurait permis d'établir l'identité de la tête dirigeante d'un réseau de trente entrepreneurs qui ont la mainmise sur les contrats publics dans l'industrie de la construction, a appris Le Devoir.
Un seul gros joueur de la construction orchestrerait le partage des contrats aux ministères des Transports et des Affaires municipales ainsi que dans les municipalités de la grande région métropolitaine, incluant Montréal, Laval, Longueuil, les Laurentides et la Montérégie. Selon une source au coeur de l'enquête, cet important homme d'affaires au sommet du groupe de trente entrepreneurs répartirait à tour de rôle les contrats en déterminant qui sont les soumissionnaires.
Il agirait comme un arbitre pour assurer l'organisation des marchés publics: distribution des contrats, fixation des prix, trucage d'offres. Les rencontres seraient aussi fréquentes que le nécessite le lancement des contrats par les donneurs d'ouvrage.
Le programme triennal des immobilisations (PTI) que les municipalités dévoileront en même temps que le dépôt prochain de leur budget annuel de fonctionnement provoquera une planification importante des ressources.
«Ils ont droit de vie ou de mort sur tout un pan de la société. [...] Les gens ne réalisent pas encore à quoi on est confrontés», a-t-on confié au Devoir.
Cette personne souligne que «ça joue dur» pour conserver le contrôle des chantiers de construction et que l'on n'hésiterait pas à bousculer la concurrence qui oserait se présenter. Le groupe des trente entrepreneurs se coaliserait pour restreindre l'accès aux contrats. «Ils ont déjà tassé de petits entrepreneurs», souligne-t-on sans vouloir donner de détails. «Si certaines informations devaient sortir, il y aurait des corps qui flotteraient dans le Saint-Laurent», a ajouté cette source en se défendant de dramatiser à outrance.
«Fabulous fourteen» ou «thirty»?
Il y a plus d'un an, La Presse et Radio-Canada avaient révélé l'existence du «Fabulous fourteen», un cartel de firmes de construction dominé par des entrepreneurs d'origine italienne qui se concerteraient pour l'obtention des contrats dans la région de Montréal.
Il y a une dizaine de jours, l'inspecteur Denis Morin, grand patron de l'opération Marteau, confirmait sur les ondes de Radio-Canada que le phénomène de collusion dont les médias parlent depuis longtemps existe bel et bien. «Notre renseignement tend à démontrer qu'il y a une certaine collusion entre de grandes entreprises de construction afin de se partager les contrats», affirmait alors M. Morin. «On a à établir l'ampleur du phénomène. On est porté à croire qu'il y a des liens entre ces entreprises et la mafia», avait-il ajouté.
Selon une source du Devoir, les recherches récentes des enquêteurs laissent voir un cercle d'initiés plus étendu que les 14 entrepreneurs. «Ils sont 30 et ils relèvent d'un gros entrepreneur», a expliqué cette personne.
Ce «maître d'oeuvre» de la collusion dans la construction entretiendrait des liens étroits avec le secteur du génie-conseil, car ce sont les firmes d'ingénierie qui sont à l'avant-scène dans le processus d'octroi de contrats.
Les firmes de génie-conseil sont devenues un rouage incontournable dans la plupart des municipalités du Québec ainsi qu'au gouvernement, y compris Hydro-Québec, où les services d'ingénierie sont souvent réduits au strict minimum quand ils ne sont pas tout simplement inexistants. Les firmes privées planifient donc les projets en lieu et place des corps publics, elles préparent les plans et devis et participent activement à la sélection des entrepreneurs. Ce sont elles également qui estiment les coûts et autorisent les dépassements.
Hier, Le Devoir révélait que neuf firmes de génie-conseil sont sous la loupe des enquêteurs de l'unité anticollusion du ministère des Transports et de l'opération Marteau. Ces firmes formeraient le «club des neuf», qui se concerteraient pour se partager la tarte des services professionnels.
Trois firmes dirigeraient le système de collusion et mettraient ainsi la main sur des contrats atteignant des «chiffres astronomiques». «Une en particulier est très proche d'un gros entrepreneur», a-t-on souligné.
Explosion de plaintes
L'Ordre des ingénieurs fait face à une explosion du nombre de demandes d'enquête concernant ses membres, dont une importante proportion a trait à des questions d'éthique.
La présidente de l'Ordre, Maud Cohen, n'est donc nullement surprise dans ce contexte de voir que des soupçons de collusion pèsent sur des firmes d'ingénierie impliquées dans la construction d'ouvrages publics. Elle reconnaît toutefois que l'organisme a été pris de court lorsque les demandes d'enquête ont commencé à affluer.
L'Ordre a vu le nombre de demandes d'enquête adressées à son syndic quintupler, passant de 80 en 2008 à 400 en 2009. Depuis le début de 2010, ce nombre a atteint 300.
Pour ce qui est des questions de collusion entre firmes, l'Ordre n'a aucun pouvoir d'enquête. Seule la province de l'Alberta prévoit que les firmes de génie sont redevables devant l'ordre professionnel.
Mme Cohen réitère la demande de l'Ordre en faveur de la tenue d'une enquête publique sur l'industrie de la construction. Elle souligne que l'image de l'ensemble de la profession souffre des excès provenant d'un secteur somme toute restreint.
Le Réseau des ingénieurs du Québec abonde dans ce sens. L'organisme a mené en décembre dernier un sondage auprès de ses membres qui tend à démontrer que 95 % des ingénieurs sont profondément préoccupés par les allégations de collusion qui fusent depuis quelques mois et qui écorchent leur profession.
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Avec La Presse canadienne


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