Catatastrophe à Lac-Mégantic : Le principe de précaution… vu par le petit bout de la lorgnette

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Lac-Mégantic : une leçon transposable à plusieurs champs d'activité

Les images terrifiantes de l’incendie du Lac-Mégantic ont beaucoup circulé dans les médias. La grande majorité des commentaires du public traduisait l’horreur d’un centre-ville et de ses citoyens « atomisés » par un tragique accident de chemin de fer.
Mais était-ce vraiment un accident? De ma formation en santé et sécurité, j’ai retenu que ce qui s’appelle un « accident » est en réalité la goutte qui fait déborder un vase rempli d’une série de négligences ou d’omissions, indicatrices souvent d’une mauvaise culture d’entreprise. La catastrophe peut alors se produire dans une usine, un atelier, une plate- forme pétrolière ou quelque part… sur un réseau ferroviaire.
Je sais qu’il est facile de prédire l’avenir après la catastrophe mais essayons de dégager les diverses entorses qui ont été faites au principe de précaution, tels que rapportés par les médias; bien sûr, les enquêtes confirmeront (ou infirmeront) ces faits.
Tout d’abord, cette ligne de chemin de fer était considérée comme peu rentable par le Canadian Pacific (CP). Elle a été vendue pour une bouchée de pain à une petite compagnie, la Montreal, Maine and Atlantic(MMA). Mais si la ligne était déficitaire pour le CP, comment la MMA aurait-elle pu tirer son épingle du jeu? La réponse : en coupant brutalement les dépenses. J’ai entendu plusieurs commentateurs dans les médias qualifier la MMA de
« compagnie de broche à foin »; c’est une façon polie de dire les choses.
La première dépense à couper quand une entreprise est à court d’argent, c’est l’entretien des infrastructures : les médias nous disent, photos et témoignages à l’appui, que la voie ferrée était dans un tel état de décrépitude que les trains devaient y circuler à très basse vitesse, à peine plus vite que le pas d’un cheval de trait.
Les dirigeants de la MMA ont ensuite demandé s’il était possible de réduire la masse salariale en ayant seulement un opérateur/ingénieur dans les locomotives de ses convois. Deux personnes, c’est plus stimulant et plus sécuritaire qu’une seule mais les agences et leurs fonctionnaires, les ministères et leurs ministres sont très complaisants et ils tolèrent qu’il n’y ait qu’un seul opérateur à la tête d’un convoi.
Dans la série de raisons lointaines qui ont contribué grandement à la tragédie, il y a donc aussi les normes et la réglementation que les agences gouvernementales doivent faire respecter dans le monde du rail. La belle phrase que les gouvernants utilisent souvent à l’heure de la mondialisation des marchés pour eux-mêmes couper dans les dépenses, c’est
« l’industrie va s’auto-réglementer ». Ensuite, ils continuent à fermer les yeux lorsque la MMA se met à transporter du pétrole en grande quantité. Plutôt que d’exiger que la voie ferrée et le matériel roulant soient améliorés avant de transporter ces charges lourdes et dangereuses, les acteurs préfèrent le laisser-faire. Cette complaisance est-elle acceptable?
Sans sombrer dans la paranoïa, est-il responsable de laisser une locomotive couplée à une cargaison de produits explosifs rouler au ralenti dans une gare déserte pendant des heures, sans aucune surveillance? Est-ce un accident en devenir?
Enfin, arrive « la goutte qui fait déborder le vase », ce petit incident mineur qui déclenche toute une cascade d’événements qui produiront cette catastrophe. Un feu dans la locomotive a été éteint, les pompiers ont coupé le moteur, les freins pneumatiques ont relâché graduellement la pression et le convoi s’est mis en branle, d’abord très lentement, puis a accéléré inexorablement dans la pente pour aller exploser devant le Musi-café.
Est-ce que le conducteur du train est fautif comme l’affirme le Président de la MMA ou est-il plutôt le bouc-émissaire de la compagnie?
Au Québec, des pétrolières veulent forer en Gaspésie et à l’Ile d’Anticosti. Est-ce que le principe de précaution y sera appliqué, aussi bien par les compagnies que par les divers ministères? Ou est-ce que l’industrie va être invitée, encore une fois, à «s’auto-discipliner» avec le risque de catastrophe que cela implique? Le présent est inquiétant…
Par exemple, le projet de règlement pour la protection de l’eau potable du MDDEFP prévoit seulement 300 mètres de distance entre un forage pétrolier et un puits d’eau potable ou seulement 400 mètres sous un aquifère. Avec la fracturation hydraulique, lorsque qu’une fente ou une faille est créé dans la roche, c’est pour l’éternité. La fracturation hydraulique libère moins de 5% du pétrole présent dans la roche; donc, le pétrole non économiquement rentable va se libérer très lentement et polluer la nappe phréatique pour très, très longtemps. Alors, est-ce que ce règlement respecte le principe de précaution ou est-il trop complaisant pour l’industrie? Est-ce que ce projet de notre ministère de l’environnement est une préparation pour une tragédie à venir? Même avec une probabilité de une chance sur cent que ce genre d’incident se produise, est-ce qu’on peut prendre ce pari? Quelles étaient les probabilités que des personnes se prélassant dans un café près d’une voie ferrée par un beau vendredi soir soient tuées par un train sans conducteur?
Un accident comme celui de Lac-Mégantic, ça se préparait depuis longtemps. C’est arrivé à cet endroit mais les mêmes causes auraient pu le produire ailleurs. Pétrole hautement inflammable, négligence chronique dans l’entretien du réseau, mépris du principe de précaution pour des raisons économiques, complicité des agences gouvernementales qui ferment les yeux à cause de l’influence d’un lobby puissant : on retrouve tout ça dans cette tragédie.
Écoutons le cri du cœur d’une victime, M. Raymond Lafontaine, un citoyen de Lac-Mégantic qui a perdu un fils et deux belle-filles dans cette hécatombe: «… Si je sors un camion d’ici qui n’est pas conforme, je me fais arrêter par la SAAQ; si un camionneur d’ici fait un accident aux États-Unis, ils l’amènent au poste de police. Mais eux, ils sont où? C’est pas un accident, c’est un crime. Laisses-tu ton char sans mettre les freins? Eux autres, ils transportent 73 wagons de 100 000 litres d’essence, sacramant!…». «On va-tu les laisser brûler le Québec au complet pour faire plus d’argent? Pas moi!…Écris-le que c’est criminel. Non, écris-le pas. Crie-le!...» (1)
Amen!
Gérard Montpetit

La Présentation, Québec, le 19 juillet 2013
1) Chronique de Yves Boisvert, La Presse du 10 juillet 2013, p A6

Lettre d’opinion envoyée par le Comité Réplique du Regroupement interrégional gaz de schiste de la Vallée du St-Laurent


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