Le deuil d'un grand pays

Bloc Québécois et avenir du Québec

Texte écrit au lendemain de l'élection de 2015 mais enfin d'actualité je dirais.

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Tribune libre

 


Chercher à ‘com-prendre’ : qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire au fond ? ‘Com-prendre’ : prendre ensemble; saisir un réel partagé. J’ai besoin de’ com-prendre’. Si je ne comprends plus alors je ne partage plus et ce cul-de-sac existentiel, partagé par plusieurs autres de mes concitoyens et concitoyennes, ne saurait se maintenir indéfiniment. L’absence de lumière appelle la lumière elle-même : non ? Donc, j’ai  cherché ma plume pour écrire un mot parce que ma chandelle est morte et que je n’ai plus de feu.


J’ai besoin de me réconcilier avec mon identité québécoise; avec le hasard qui m’a fait venir au monde francophone en Amérique. Je veux sortir de l’angoisse et de la colère de ce que nous ne sommes plus, de ce que nous sommes et de ce que nous ne sommes pas. Je veux trouver les mots qui disent; les mots justes pour exprimer à mes enfants ce que je sais; ce que je crois que nous sommes; ce que nous portons de précieux comme culture; comme collectivité. Mais qui sommes-nous ? Je ne le sais même plus.


 Même après m’être reconnue et vue dans le regard de nombreux Autres, même avec la conviction intime d’être, je n’ai toujours entendu nulle part le discours sur ce que nous sommes véritablement : au quotidien. J’en appelle à une auto-anthropologie; à une analyse symbolique de nos moindre gestes. Que fait le Québécois ? Que fait le franco-canadien ? Comment donnent-ils la main ?


Disloqués de notre passé; niés sciemment par le Canada anglais, coupés de la lignée même car captifs de la ‘rat race’, ce chemin obligé de la vénération de nos idoles contemporaines : nous mourrons par oubli. La constante spirale des modes entraîne les valeurs et la permanence incarnée dans le symbole durable n’est plus. Les certitudes s’envolent pendant que les croyances ont changées mais, les idoles et les tabous restent plantés bien droits au milieu de l’autel pour ne pas dire au milieu de la place.


Dois-je enseigner à mes enfants l’importance de l’honnêteté lorsque partout autour ce sont les crapules qui récoltent et sont vénérés ? Dois-je leur inculquer l’amour de la nature alors que partout, on est prêt à vendre tout au plus offrant pour que le culte du dollar se maintienne ? Dois-je leur parler d’avenir alors que c’est l’hédonisme du moment et ses plaisirs grossiers qui animent notre époque ? Dois-je leur parler de solidarité alors que l’on se pile sur la tête pour garder la tête hors de l’eau ? Comme dans la chanson : j’ai peur un peu des fois mais des fois je n’ai pas peur du tout (Passe-Partout).


Puis, il y a le politique. Nous sommes en deuil d’un grand pays qui n’existera jamais. Le Canada bilingue, respectueux des Premières Nations : celui dont on a rêvé ‘coast to coast’ n’est et ne sera pas. Il sera en vérité pire que le melting-pot américain s’il en est car sa densité de population ne lui permet pas d’aussi bien intégrer ses nouveaux arrivants. Suivant le modèle anglais qui s’avère, quoi qu’on en dise, un échec : l’identité ‘canadian’ demeurera, paradoxalement, monolithique dans son fondement.  La courte-pointe de Trudeau prend soudain des allures de guenilles rapiécées.  Il est impératif que notre rêve canadien s’achève sinon, c’est assez simple : nous disparaîtrons. Je ne cherche pas à mettre le feu aux poudres, je dis vrai.


Il y a des étapes à un deuil selon Elizabeth Kübler-Ross et de nombreux autres spécialistes.  Nous sommes bloqués à l’avant-dernière phase : celle de l’acceptation. Ceci nous empêche de compléter la boucle du néant; de clore ce qui fut ouvert  par la dernière phase du deuil qui est, rappelons-le, celle de la reconstruction. Nous sommes donc doublement leurrés. Non seulement nous nous trompons sur l’origine de notre souffrance : nous sommes en deuil du Canada et non du Québec mais, en plus, nous sommes, pour plusieurs, dans le déni de l’existence même d’un processus de deuil.  Qu’est-ce qui nous cache ainsi la vu ? Je crois que l’orgueil y est pour beaucoup. Les  francophones ne digèrent pas que le Canada n’en ait que faire d’eux et balaie du revers de la main leurs revendications; leurs besoins; leurs réalités. Comble de l’insulte : leur existence nationale même est souvent niée. Il faut être niais ou nettement privilégié pour ne pas le comprendre.


Être rejetés par un grand pays que l’on a construit de nos mains d’un océan à l’autre, à la sueur de notre front comme on dit, c’est vrai que c’est insultant et c’est surtout triste mais, il faut le ‘com-prendre’ et l’accepter : il est trop tard. Canadian dream is gone.  Il faut accepter la mort de notre grand rêve et embrasser un rêve à notre mesure : celui d’un État Québécois complet et entier. Détrompez-vous cependant, ce n’est pas un second choix, c’est plutôt le seul avenir logique d’une nation comme la nôtre. Il faut accepter d’enterrer le canada pour que naisse le Québec. Il faut enterrer le Canada en ce 150 ième anniversaire parce le fondement même de ce pays est biaisé et érigé de mensonges.


Nous n’avons pas besoin des Canadiens. Nous avons besoin des Américains mais, pas des Canadiens. En tant que nation nordique, nous pouvons suivre de nombreux autres exemples dans le monde qui nous ressemblent bien davantage que le modèle canadien. Ce n’est pas le Canada qui est un boulet pour le Québec ou le Québec qui est un boulet pour le Canada. Le problème réside dans le fait que notre histoire d’amour n’a pas le même objet. Nous n’aimons pas et nous n’aimerons jamais le même Canada. Notre rêve canadien est à des années lumières l’un de l’autre.


Je cherche une brèche. Je cherche à ‘com-prendre’. Je sais que les Québécois ne veulent plus parler d’indépendance pour une raison très simple : ils ont peur de perdre. C’est comme si toutes ces batailles avaient eu raison de nous. C’est comme si on ne voulait plus jouer parce qu’on a trop perdu. Des gamins endeuillés à l’orgueil bafoué : voilà ce qui nous empêche d’avancer. C’est vrai que notre rêve est mort avant même d’avoir commencé : ça rend le deuil plus douloureux j’imagine mais, pourtant …


Si seulement nous pouvions voir qu’un rêve plus modeste peut nous amener tout aussi loin. Pourquoi rester bras pendants devant notre futur en idéalisant le futur des autres ? Mêlons nous donc de nos affaires. Que le Canada veuille un pipeline, c’est son problème, pas le nôtre. Nous avons nos propres chats à fouetter. Non ? Si seulement nous pouvions cesser de survivre mais vivre comme disait Pellerin, Vigneault et Leclerc avant eux. Si seulement nous pouvions cesser d’avoir peur de perdre, de tout et de rien. Si seulement nous pouvions cesser d’être émotivement affectés par le rejet que nous subissons. Si seulement nous pouvions cesser  de croire en un deuil opérant à Québec et que nous le transférions à Ottawa. Si seulement nous cessions de rester dans la phase de déni et de colère du deuil afin d’avancer, ensemble, sereins, acceptant notre réel pour mieux le construire à grand coup de décisions. Mais, comme il est dit : ce n’est pas avec des si que l’on va à Paris.


Une bulle mes amis que je veux bien souffler parmi vous. Excusez-la.


Au plaisir de ‘com-prendre’ ensemble de nouveau, un de ces quatre je l’espère,


 


Sacki Carignan Deschamps


Sociologue et maître en études internationales


Militante et conseillère du Bloc Québécois Saint-Maurice-Champlain


sackicarignan@hotmail.com


 



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1 commentaire

  • André Gignac Répondre

    6 mars 2018

    Bonjour 



    Je suis entièrement d'accord avec vos propos afin que nous puissions nous en sortir! Si vous avez quelques minutes, rendez-vous à l'article de M. Martin Vallières intitulé: "La patrie avant tout M.Aussant" et lisez mon commentaire qui suit ce texte si ça vous tente. Votre article fut fort intéressant à lire!



    André Gignac 6/3/18