Economie – Recherche confiance, désespérément

Banques, rigueur, Bourses, chômage : la rentrée n’est pas loin d’être pathétique

Crise mondiale — crise financière


HENRY LAURET – Pourquoi une telle tension après la rude correction boursière de l’été ? Parce qu’une immense majorité d’observateurs et d’acteurs est convaincue que l’économie mondiale n’en est qu’au début d’un enlisement durable et non pas au lendemain d’un gros trou d’air boursier. Parce que le cri d’alarme des deux grands banquiers centraux de la planète n’émeut pas les foules politiques. Parce qu’il n’y a aucune raison objective de se réjouir d’une ambiance oiseuse. Drôle d’époque, drôle de rentrée : le discours officiel, c’est que le risque de récession doit être écarté. Or il n’est question que de credit crunch et de rechute. Et personne ne semble en mesure de tenir les fils. Au moins ne pourra-t-on jamais reprocher à Jean-Claude Trichet et Ben Bernanke d’avoir fait la politique de l’autruche dans ce désert d’inconstance. Tenus par l’obligation de discrétion, les deux compères n’hésitent plus à exprimer leur lassitude face à la paralysie des dirigeants politiques, américains et européens. C’est dire s’ils sont préoccupés.
Le message du patron de la FED en fin de semaine dernière était à cet égard des plus explicites : ce n’est pas à la Banque centrale, a-t-il clamé en substance, de se substituer aux élus pour sortir l’économie de l’ornière. Et d’arbitrer entre la crédibilité budgétaire de long terme et le nécessaire soutien à l’activité. Jean-Claude Trichet en appelle lui aussi aux politiques. Le patron de la BCE se jette sur toutes les occasions pour dire qu’il n’en peut plus de jouer au pompier de service et que les gouvernements doivent impérativement mettre en musique les décisions promises aux marchés. Au premier chef, le Fonds de stabilité européen (FESF) qu’il faut doter des moyens annoncés le 21 juillet pour parer à une nouvelle surchauffe. Durant un mois d’août incandescent, Francfort s’est évertué à racheter du papier espagnol et italien pour refroidir le réacteur. Ces interventions font question mais elles se seront révélées déterminantes. Problème : la politique monétaire ne peut tenir lieu de politique tout court.
De part et d’autre de l’Atlantique, le tableau n’est pas loin d’être pathétique. Obama, selon les dires d’un ex de la Maison Blanche, se retrouve “pris en sandwich”. Bernanke a beau s’afficher optimiste, supputer que les fondamentaux ne sont pas durablement affectés, la réalité du moment est autre : la croissance se situait sur un rythme annuel de 1 % en début d’année. On l’espère au-delà de 2 % pour l’année. L’Amérique, plus que l’Europe, s’est lourdement endettée pour relancer sa machine. Or l’activité retombe dès que la FED débranche la pompe à dollars d’un moteur qui a tendance à gripper. Le premier plan Obama, basé sur les baisses d’impôts et transferts, a fait pschitt. La stratégie de la planche à billets a montré ses limites. Le 44e président des Etats-Unis a de bonnes chances de terminer son parcours sur un chômage excédant 8 %. On attend avec impatience son dernier banco sous forme d’ultime plan de relance.
En Europe, et malgré la succession de signaux alarmistes, les 27 et les 17 restent embourbés dans leurs différences. Même pas peur ou définitivement impuissants ? Paris et Berlin refont le coup de l’union sacrée devant les caméras mais bloquent la réforme de la gouvernance économique à base de sanctions lourdes. Chacun tente de tirer son épingle d’un drôle de jeu de dupes et on attend de voir ce que donnera le vote de la dotation du FESF par les 17 Parlements nationaux dans les prochaines semaines. Mauvaise surprise interdite.
Le FMI de Christine Lagarde rajoute à l’incertitude en ciblant les banques européennes auxquelles elle suggère une recapitalisation urgente, si possible en fonds privés. Quelle mouche a piqué la remplaçante de DSK ? Ministre de Sarkozy à Bercy, elle jurait il y a trois mois que le système bancaire européen tenait la route et que les banques françaises étaient des modèles de robustesse. Quelle Lagarde doit-on croire ? La crise de liquidités actuelle cache-t-elle un risque de solvabilité ? Si c’est le cas, la situation est grave. Les banquiers sont furieux, particulièrement en France et en Allemagne. Certains commentateurs n’hésitent pas à parler de propos irresponsables émanant d’une directrice du FMI déjà suspecte, selon eux, d’être passée sous influence de Washington. Ambiance ! Les banques sont de toute manière dans l’œil du cyclone, ce qui n’est pas la meilleure nouvelle de la rentrée.
Peut-être faudra-t-il recapitaliser – certains osent dire nationaliser – celles qui sont les plus clairement exposées à l’effet dettes souveraines et aux exigences de Bâle 3 en matière de fonds propres. A quoi donc servent les stress-tests dont on nous a rebattu les oreilles ? En toute hypothèse, il est absurde de loger le monde bancaire à une même enseigne de risques, sauf à dire que le système est définitivement miné. Est-ce le sens du message FMI ? Faut-il “seulement” l’interpréter comme un avertissement de même nature que les exhortations de Trichet et Bernanke à destination de la classe politique ? Quatre ans après la méga crise, la foire d’empoigne et la défiance sont du plus mauvais effet. Et l’appauvrissement gagne mécaniquement l’ensemble des économies occidentales, hors zone germanique à ce stade. Les dernières statistiques INSEE confirment que malgré son record de dépenses publiques (56,2 %), la France n’est évidemment plus épargnée : 8,2 millions de personnes à 954 euros mensuels.
L’Europe et les Etats-Unis menacés d’un syndrome à la japonaise, d’une stagnation longue, il est temps, écrit Nouriel Roubini, de se demander s’il ne faudra pas “abandonner à la fois le modèle anglo-saxon de laisser-faire et le modèle européen d’Etat-providence”. Parlons-en aux citoyens concernés… Il y a quelques mois encore, les dirigeants politiques semblaient pouvoir réactiver la reprise. Depuis, la rigueur freine la croissance en Europe où l’Italie et l’Espagne sont trop “grandes pour faire faillite et trop grandes pour bénéficier d’un (éventuel) plan de sauvetage”. Et l’Amérique, donc, patine toujours, bien que son papier reste prisé. Fataliste ou résignée, l’opinion occidentale semble devoir accepter l’échec d’une reprise qui n’était que mirage. A-t-elle pris conscience des conséquences sociales ? Les dirigeants sont désormais réputés n’avoir rien (ou si peu) appris de la crise de 2008.
Les réformes qu’imposait l’exigence de régulation, d’assainissement et de redressement sont globalement passées à l’as. On se dit que l’Europe et les Etats-Unis ne s’en sortiront certainement pas en se faisant la guéguerre mais que toute collusion de circonstance relève aujourd’hui de l’angélisme pur ! Refleurit au contraire la théorie du complot sur les deux rives, d’où on se lance amoureusement la vaisselle du soupçon à la figure. Wall Street, épicentre de la crise de 2008, tient l’Europe pour responsable du délitement général de la croissance. A Paris, Laurence Parisot accuse les Américains de vouloir piétiner les banques européennes et l’euro. Une découverte ? Affligeant.


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