Monsieur le Premier ministre

Arrêtez les matraques !

Les désaccords entre votre gouvernement et les associations étudiantes ne peuvent en aucun cas justifier un climat où la violence devient la norme.

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



Monsieur le Premier ministre,
Je sais que nous divergeons d’opinion sur un grand nombre de sujets. Mais je vous écris, après avoir écouté les journaux télévisés de jeudi soir, pour vous implorer de mettre immédiatement un terme aux affrontements qui ont cours entre les policiers et une partie de la jeunesse du Québec.
Rien, Monsieur le Premier ministre, ne peut justifier que de manière répétitive, sur plusieurs campus, depuis plusieurs jours, une force policière considérable soit déployée, causant des dommages physiques et psychologiques immédiats et creusant un fossé durable entre les forces de l’ordre et une partie de la relève québécoise.
Les policiers exécutent, du mieux qu’ils peuvent, les effets de la judiciarisation du conflit étudiant que votre ministre de l’Éducation a encouragée. Des injonctions ont été émises pour interdire les manifestations aux abords des établissements, pour permettre aux étudiants qui le désirent de suivre leurs cours alors même que des votes de reconduction de la grève — en plusieurs cas très serrés, ce qui atteste du bon fonctionnement de la démocratie étudiante — sont tenus.
Les désaccords entre votre gouvernement et les associations étudiantes ne peuvent en aucun cas justifier un climat où la violence devient la norme.
Monsieur le Premier ministre, il vous est possible, sans vous dédire sur le fond, de lever le climat délétère qui est en train de s’installer.
Mon université d’attache, l’Université de Montréal, après avoir d’abord suivi la piste de la judiciarisation, s’est rendue en48 heures à l’évidence que ce chemin pourrissait la situation. Elle a fait marche arrière. Lisez cet extrait du communiqué émis ce mercredi:

Devant le nombre croissant d’étudiants réclamant de pouvoir suivre leurs cours, l’Université a jugé la situation suffisamment urgente pour prendre toutes les mesures à sa disposition afin de satisfaire à leur requête. C’est pourquoi elle a demandé à ses enseignants de se présenter en classe et de donner leurs cours aux étudiants présents. Elle a également informé ses étudiants qu’à compter du lundi 16 avril, les cours et les évaluations qui seraient donnés, même devant un groupe partiel d’étudiants, ne seraient pas repris ultérieurement.
Force est de constater aujourd’hui [mercredi, deux jours plus tard] que, malgré les moyens déployés, la situation demeure difficile, et le climat peu propice à la tenue des activités académiques, tant pour les étudiants que pour les enseignants. Là où les étudiants maintiennent le mouvement de boycottage des cours, nous observons en effet des difficultés certaines à reprendre les classes dans un climat acceptable.
L’Université de Montréal est très soucieuse de maintenir les meilleures relations entre toutes les composantes de sa communauté. À la suite de discussions avec les instances syndicales des professeurs et des chargés de cours, il nous est apparu essentiel, devant l’état de la situation, de faire des gestes qui, non seulement assureront la sécurité de tous, mais nous permettront également de trouver une issue à la situation dans les plus brefs délais.
Dans cet esprit, l’Université annonce un moment de réflexion afin de déterminer, en collaboration avec ses enseignants et les directions d’unités, les conditions pédagogiques requises pour la reprise des cours soumis au boycottage.
En conséquence, jusqu’à nouvel ordre, les cours visés par le boycottage ne seront pas donnés. Les enseignants et les étudiants touchés par cette mesure n’ont donc plus à se présenter en classe.

Un moment de réflexion
Je vous conjure, Monsieur le Premier ministre, d’annoncer vous aussi, de toute urgence, un “moment de réflexion”. D’inciter ainsi tous les établissements qui ont suivi la voie de la judiciarisation à suivre l’exemple de l’Université de Montréal, afin que les forces policières ne soient plus tenues de les appliquer et de procéder aux arrestations, aux matraquages et à l’aspersion de gaz irritants qui, ces derniers jours, ont dépassé les bornes.
Autorisez également les établissements à affirmer qu’ils ne sont pas en mesure de respecter les injonctions réclamés individuellement par des étudiants, car ils se voient incapables de faire régner la sécurité de tous.
Le conflit étudiant doit trouver une issue, c’est certain. Le conflit peut se solder par une défaite des étudiants sur leur revendication centrale. Par la perte d’une session pour des dizaines de milliers d’entre eux. Elle peut se solder par l’ouverture d’une conversation sur la bonification du régime de prêts et de bourses ou sur des modalités de remboursement des prêts selon le revenu, une avenue que votre gouvernement a déjà envisagée dans le passé. La question peut être tranchée aussi à l’occasion d’un rendez-vous électoral que vous pourriez décider de convoquer.
Mais vous avez la responsabilité, Monsieur le Premier ministre, de faire en sorte que le conflit étudiant ne se solde pas en milliers d’arrestations, en centaines d’affrontements, en d’innombrables blessures. Vous avez la responsabilité de faire en sorte que ce mouvement étudiant laisse la trace d’une grande mobilisation, certes, d’une défaite étudiante, peut-être, mais pas d’un bris de confiance permanent entre la jeunesse et l’État, entre la jeunesse et les forces de l’ordre.
Vous seul avez la capacité et l’autorité de poser un tel geste.
Bien cordialement,
Un citoyen inquiet,
Jean-François Lisée

Squared

Jean-François Lisée297 articles

  • 182 849

Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé