Afghanistan - Le Canada a envoyé des innocents à la torture

Harper et la torture


Guillaume Bourgault-Côté - Cohue générale hier à Ottawa pour entendre le diplomate Richard Colvine affirmer devant un comité que le Canada savait que les prisonniers transférés aux autorités afghanes seraient torturés, et qu'il a demandé de censurer les rapports en faisant état.
Ottawa — Le gouvernement s'est fait le «complice de crimes de guerre» en ignorant sciemment et en censurant de nombreux rapports indiquant que les prisonniers afghans remis aux mains des autorités locales étaient «systématiquement» torturés, a affirmé hier le diplomate Richard Colvine au cours d'un témoignage explosif livré à Ottawa.
Très attendu — la salle était archibondée —, le passage de M. Colvine devant le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan n'a pas manqué d'éclat. L'ancien directeur du bureau canadien pour la reconstruction de l'Afghanistan à Kandahar et ex-numéro deux de l'ambassade à Kaboul (2006-07) a notamment accusé le gouvernement d'avoir voulu censurer cette affaire en imposant aux fonctionnaires en place de ne laisser aucune trace écrite des allégations.
Selon le diplomate, le Canada a «détenu et dirigé vers la torture beaucoup d'innocents, qui n'avaient aucune connexion avec l'insurrection. Les détenus n'étaient pas des cibles de haute valeur. Ils étaient arrêtés sur la foi d'allégations souvent sans fondement. Pour la plupart, ils étaient des agriculteurs ou des paysans qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment», a-t-il dit.
«Envoyer des gens vers la torture est une très sérieuse violation du droit canadien et international, a ajouté M. Colvine. La complicité dans la torture est un crime de guerre.» En refusant de cesser le transfert des détenus, le Canada a ainsi trahi ses valeurs historiques et a nui aux efforts contre-insurrectionnels à Kandahar, affirme-t-il.
Richard Colvine a aussi affirmé que le Canada n'avait pratiquement aucune politique de suivi des détenus qu'il remettait aux Afghans, même après que le pays eut adopté un nouveau protocole de transfert en mai 2007. De même, M. Colvine a mentionné que la collaboration du Canada avec la Croix-Rouge était presque nulle et qu'un véritable «mur du secret» a été érigé autour des opérations.
Comme il l'avait indiqué dans une déclaration présentée il y a un mois à la Commission des plaintes concernant la police militaire (CPPM), Richard Colvine a réitéré hier avoir envoyé 17 ou 18 rapports faisant état du problème de la torture, à partir de mai 2006. Le gouvernement a toujours affirmé ne pas avoir été mis au courant avant le printemps 2007.
Dans ces rapports, M. Colvine indiquait que des prisonniers étaient fouettés, électrocutés, blessés par des armes blanches ou qu'ils subissaient des sévices sexuels dans les prisons afghanes. Le caractère de ces tortures était «systématique», a-t-il dit. Les témoignages étaient basés sur des sources fiables, selon M. Colvine.
Or, dès que la soupe est devenue chaude — avec les révélations du Globe and Mail au printemps 2007 —, le gouvernement a demandé aux fonctionnaires de cesser d'évoquer les problèmes de torture dans leurs rapports écrits, a affirmé hier Richard Colvine. L'ordre d'utiliser plutôt le téléphone serait venu de David Mulroney, qui était le coordonnateur de la mission pour le gouvernement (il est actuellement ambassadeur en Chine).
Aussi, on a restreint la diffusion des rapports à partir de ce moment. Au début, quelque 75 personnes ou organisations pouvaient les recevoir. «La censure interne s'est étendue: nous ne pouvions plus dire que la situation se détériorait sur le terrain, alors que tout le monde le savait», a indiqué M. Colvine.
Selon le diplomate, la tentation de minimiser les problèmes témoigne d'une culture militaire où «il y a une mentalité de succès: il faut gagner, alors on a l'habitude de gonfler les succès». Quand un membre du comité lui a demandé si ceci pouvait vouloir dire de cacher la vérité au sujet de la torture, M. Colvine a répondu «oui».
Richard Colvine n'a toutefois pas été en mesure d'affirmer si le ministre de la Défense, Peter MacKay, a été mis au courant de l'existence des rapports. Mais il affirme qu'il est pratiquement impossible que le message ne se soit pas rendu à Ottawa.
Lors de la période des questions, les conservateurs membres du comité ont tenté de miner la crédibilité du témoin: celui-ci n'a pas vu de gens être torturés sous ses yeux, les blessures qu'il a observées ont pu être faites par automutilation, et ses sources d'information étaient de «deuxième main», souvent des gens «entraînés» à mentir. «Vous mettez de l'huile sur un scandale qui n'existe pas», a fait valoir une députée conservatrice.
Muselé
Les relations entre M. Colvine et le gouvernement sont tendues depuis un moment. M. Colvine fait en effet partie de la liste des 23 témoins que le gouvernement veut empêcher de témoigner devant la CPPM pour des raisons de sécurité nationale. Les travaux de la commission sont actuellement suspendus.
M. Colvine a indiqué hier être l'objet de multiples pressions du gouvernement fédéral. Le diplomate se trouve dans une situation délicate: s'il refuse de se présenter devant la CPPM, il risque six mois de prison. Mais s'il collabore et viole l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, comme le prétend le gouvernement, il risque cinq années derrière les barreaux.


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