Revue de presse

Conflit moral

Harper et la torture



La révélation par La Presse canadienne de la nouvelle politique du gouvernement Harper en matière d'utilisation d'informations obtenues sous la torture n'a pas provoqué une vague de réactions dans la presse anglophone. En fait, elles se sont faites rares, mais dans la quasi-totalité des cas, on soutenait qu'il ne peut y avoir de justification à l'usage de tels renseignements, circonstances exceptionnelles ou pas.
Le Winnipeg Free Press est le seul quotidien anglophone qui, au lendemain de ces révélations, s'est aussitôt rangé derrière le gouvernement. «Un mal nécessaire», titrait-il. Selon son équipe éditoriale, rejeter toute information obtenue sous la torture est «une position moralement forte mais pathétiquement irréaliste et potentiellement négligente». La nouvelle position «pose un défi sur le plan éthique, reconnaît-on, mais est plus pragmatique». Le quotidien convient que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) doit être sur ses gardes lorsqu'il obtient de l'information de pays reconnus pour recourir à la torture, car cette information n'est pas fiable et est «moralement répugnante». En même temps, elle ne peut être sommairement écartée, surtout si elle pointe vers une menace potentiellement sérieuse à la sécurité publique, poursuit le Free Press. Selon lui, la population ne pardonnerait pas au gouvernement de ne pas prévenir un drame à cause de l'origine douteuse d'une information.
Dans le National Post, c'est l'animateur de radio torontois John Moore qui a pris position et ce fut pour dénoncer la politique des conservateurs. La torture est «inhumaine, inefficace et immorale», a-t-il martelé. La position du gouvernement peut paraître sensée à première vue, car personne ne voudrait voir une bombe exploser au centre-ville de Toronto. Mais ce scénario en est un de fiction digne d'un épisode de 24 heures chrono. «Dans le monde réel, la torture ne marche tout simplement pas», insiste-t-il, avant de citer les conclusions d'un manuel du renseignement militaire américain qui montre que, durant la Deuxième Guerre mondiale, celles d'Algérie et du Vietnam et même à Guantánamo, c'est dans une pièce confortable et armés de cigarettes et de jeux de cartes que les militaires ont, 90 % du temps, soutiré des renseignements utiles. «La torture est morale ou ne l'est pas. Vous ne pouvez pas dire à vos ennemis que leur torture est un signe de dépravation, et même une raison pour renverser leur régime, et présenter comme un mal nécessaire celle à laquelle vous vous en remettez», conclut-il.
Tout ou rien
Le St. John's Telegram, de Terre-Neuve, est du même avis. «La liberté a un prix et ce n'est pas seulement celui payé au moment d'une guerre menée en son nom.» La protection contre les fouilles et saisies abusives, par exemple, exige d'accepter «que parfois des coupables passent entre les mailles du filet» quand la police a recours à des méthodes inappropriées. C'est parfois difficile à avaler, dit le Telegram, mais c'est le prix à payer pour protéger nos libertés fondamentales. Selon lui, la voie choisie par le gouvernement est celle de l'érosion lente de nos droits. En ouvrant la porte comme l'a fait le ministre Toews, le gouvernement dit, en définitive, que la fin justifie les moyens, déplore le Telegram. Le fait que la torture ait lieu à l'étranger «ne signifie pas que nous avons droit à un laissez-passer pour l'utiliser. Cela signifie seulement que quelqu'un d'autre s'est sali les mains. C'est une honte de voir un pays qui s'est battu pour nos droits être prêt à les laisser aller», conclut-il.
L'Ottawa Citizen est tout aussi catégorique. «Il n'y a pas d'argument en faveur de la torture qui puisse résister à l'examen, ce qui explique peut-être que la directive du gouvernement conservateur [...] ait été donnée dans le plus grand secret.» Les arguments du Citizen font écho à ceux de Moore du Telegram: pratique «répugnante», contraire aux lois et aux valeurs canadiennes ainsi qu'aux traités internationaux, renseignements dépourvus de fiabilité. Évoquer des cas extrêmes de menace à la vie et à la sécurité, comme le font les conservateurs, n'améliore en rien notre sécurité, dit le Citizen. Ce serait même l'inverse. «Utiliser de l'information douteuse obtenue de victimes de torture qui sont prêtes à dire n'importe quoi pour mettre fin à leurs souffrances est même plus dangereux. Et ouvrir la porte à la torture, même si ce n'est que par une mince craque, envoie un message inquiétant au reste du monde.»
Le Vancouver Province compare le ministre Toews à une femme qui dirait qu'elle est à moitié enceinte. Le gouvernement, écrit l'équipe éditoriale, ne peut dire que la torture est mal à la maison, même illégale, et affirmer du même souffle qu'il peut utiliser les renseignements obtenus de cette manière dans un autre pays. Il n'y a aucune justification qui vaille. Le Province insiste à son tour sur le peu de fiabilité de l'information ainsi obtenue. Par ailleurs, insiste le quotidien, les renseignements nécessaires à la prévention d'une menace peuvent être obtenus autrement, c'est-à-dire légalement. «Le ministre a raison de vouloir protéger les Canadiens, mais sa nouvelle politique sur la torture n'est pas la bonne manière d'y parvenir.»


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