Affaire Hamad : quelques questions, si vous le permettez...

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Un très bon résumé de l'affaire





Le député de Québec solidaire, Amir Khadir, prédisait ce matin que la journée serait «dure» pour les libéraux. La prédiction risque même de s’étendre sur pas mal plus longtemps que ça.


Le gouvernement Couillard s'embourbant de plus en plus dans l’«affaire Hamad», voilà qu’on apprend ce matin le retour en catastrophe de Sam Hamad dès jeudi. Il venait pourtant tout juste de retourner en Floride pour lécher ses plaies ouvertes.


Or, comme personne au bureau du premier ministre n’avait vu venir la réaction courroucée que ce départ au soleil de M. Hamad provoquerait dans la population et au sein même d’un caucus libéral de plus en plus brassé par la gestion inepte de cette énième crise, ce retour en catastrophe ne fait qu’ajouter une autre couche à l’improvisation la plus pure dans laquelle toute cette histoire baigne au gouvernement depuis la semaine dernière. (1)


En attendant que se termine cette journée qui va brasser, avant d'avancer quelques questions précises tout en respectant le principe fondamental de la présomption d'innocence, revenons sur l’origine de la crise.


***


 


Du Côté, du Roche, un parti politique et des ministres...


Cette origine, on le sait, est le reportage diffusé jeudi dernier par l’émission Enquête. On y alléguait un possible trafic d’influence exercé par Sam Hamad en 2010 et 2012 pour l’obtention d’un prêt et d’une subvention gouvernementale à la firme Premier Tech.


Le tout, sous pression alléguée de son ami, l’ex-ministre et organisateur libéral Marc-Yvan Côté – lequel siégeait au conseil d’administration de Premier Tech depuis 1994 – et de srucroît, en échange allégué de contributions politiques faites au PLQ.


Quelques rappels importants


Rappelons quelques détails importants.


Sam Hamad est présentement suspendu avec solde de son poste de président du Conseil du trésor. En 2012, sous Jean Charest, il était ministre au Développement économique.


Marc-Yvan Côté est un ancien ministre libéral. Pendant trois décennies, il fut surtout un redoutable organisateur politique et collecteur de fonds, autant au PLQ qu’au PLC.


En 2005, il fut cependant banni à vie du Parti libéral du Canada (PLC) pour son rôle dans le scandale des commandites et pour avoir distribué illégalement en 1997, plus de 120 000$ en argent comptant à des candidats libéraux fédéraux.


Or, malgré cette expulsion à vie par le PLC et ce qui lui était reproché, Marc-Yvan Côté a continué par la suite à conserver ses entrées privilégiées au gouvernement de Jean Charest. Y compris entre autres auprès de son «ami Sam». Et comme je le rappelais aussi dans ma chronique de ce matin – Le boomerang -, de 2005 à 2012, même la secrétaire associée à la communication gouvernementale était une ancienne attachée de presse de M. Côté. C'est tout dire.


Ce qui, entre autres éléments, témoigne du peu de cas qu’on faisait au gouvernement Charest des fautes et des gestes illégaux déjà commis par M. Côté.


Rappelons aussi que le 17 mars dernier, le même Marc-Yvan Côté était arrêté par l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans un autre dossier pour complot, corruption et fraude envers le gouvernement. Six autres personnes étaient également arrêtées pour les mêmes motifs. Y compris l’ex-vice première ministre de Jean Charest - Nathalie Normandeau.


Sur les sept personnes arrêtes, trois ont aussi déjà été à l’emploi de Roche : Marc-Yvan Côté, France Michaud et Mario Martel


Ce qui nous ramène à Sam Hamad.


Puisque l’amitié de ce dernier avec Marc-Yvan Côté fut justement scellée au moment où les deux hommes travaillaient pour la firme de génie conseil Roche. M. Côté y avait été «vice-président principal du développement des affaires» de 1994 à 2005. M. Hamad y était vice-président principal de 1998 à 2003.


Quant au témoignage de Marc-Yvan Côté à la commission Charbonneau, cet article de mon collègue Bryan Miles vous rafraichira sûrement la mémoire. Quant aux liens entre Nathalie Normandeau, le même Marc-Yvan Côté et la même firme Roche, ce reportage de TVA vous la rafraichira tout autant.


***


 


De retour à Enquête...


Selon l’émission Enquête, dans le dossier de Premier Tech, «une série de courriels obtenus par l'émission Enquête démontrent que le ministre Sam Hamad était une source d'information stratégique et faisait avancer les dossiers de Marc-Yvan Côté au gouvernement. Pour sa part, Marc-Yvan Côté s'activait pour le financement politique de Sam Hamad. Jusqu'à son arrestation pour fraude et corruption le 17 mars dernier, Marc-Yvan Côté était vice-président du conseil d'administration de Premier Tech, une entreprise de Rivière-du-Loup.»


Citons à nouveau Enquête :


«En 2010, la compagnie spécialisée en produits d'horticulture et en technologies environnementales veut acheter un concurrent et souhaite la participation d'Investissement Québec. Premier Tech est considérée comme un fleuron économique au Bas-Saint-Laurent et a reçu des dizaines de millions de dollars de prêts et subventions, autant du provincial que du fédéral. Les courriels, échangés en interne, démontrent que Sam Hamad aurait poussé fort sur des dossiers d'aide gouvernementale pour Premier Tech et donné des informations confidentielles sur les délibérations au Conseil du trésor.»


Pour lire les courriels en question, c’est ici.


Prenons-en quelques-uns (reproduits intégralement du site de Radio-Canada et cités dans ce billet en caractères italiques. Posons ensuite quelques questions.)


Prenons tout d'abord celui-ci:


• De : Yves Goudreau (vice-président au développement corporatif de Premier Tech)
• À : Marc-Yvan Côté (vice-président du C. A. de Premier Tech)
• À : Jean Bélanger (président et chef de l'exploitation de Premier Tech)


« La madame du Trésor n'est pas une facile dans ces temps budgétaires très difficiles et n'a pas plié même avec la pression de certains proches de PT [Premier Tech].
La solution ultime doit être faite : M. Charest. Lorsqu'on analyse les comportements du président d'IQ [Investissement Québec] et de la madame au Trésor [Michelle Courchesne] : il n'y a pas d'autre choix. Qu'en penses-tu M-Y [Marc-Yvan]? »


La «madame du Trésor» qui «n’est pas une facile», c’était Michelle Courchesne. Et le président d’Investissement Québec, c’était Jacques Daoust, aujourd’hui ministre au gouvernement Couillard.


Questions: Qui sont ces «proches de PT» qui ont fait «pression» auprès de la présidente du Conseil du trésor et comment? Comment se fait-il qu’un vice-président de compagnie était au courant de la position prise par la présidente du Conseil du trésor ? Qui l’en avait informé ? Était-ce M. Côté ? Si oui, de qui tenait-il lui-même cette information privilégiée ? L’avait-il eu de son ami Sam Hamad ou de quelqu’un d’autre au gouvernement ? Quoi qu’il en soit, on semble être ici devant une situation où des informations privilégiées à propos de la présidente du Conseil du trésor ont été communiquées alors qu’elles n’auraient pas dû l’être.
Et pourquoi cette idée de faire appel au premier ministre Charest, en dernier recours ? Était-ce ou non parce qu’on était sûr de pouvoir y avoir accès par le truchement de M. Côté ?


***


Un autre courriel :


• De : Marc-Yvan Côté (vice-président du C. A. de Premier Tech)
• À : Yves Goudreau (vice-président au développement corporatif de Premier Tech)
• À : Jean Bélanger (président et chef de l'exploitation de Premier Tech)
« Jean, Je rappelle que Sam a offert son aide pour convaincre le Trésor. Sam siège au Trésor, ce qui n'est pas le cas de tous les ministres. J'attends d'ici la fin de la journée le retour de Sam qui parlera à Daoust* et peut-être Bazin.** Notre prochaine action devra être systématique, ordonnée et musclée au plus haut sommet de l'État. [...] Jean, tel que convenu hier, dès le retour de Sam, je te fais rapport.
Marc-Yvan Côté
**Jean Bazin était président du conseil d'administration de la SGF, les deux organismes étaient en processus de fusion au moment de cet échange.»


Questions: Ici, Marc-Yvan Côté affirme que Sam Hamad a «offert son aide pour convaincre» Mme Courchesne. Or, M. Côté n’est pas un simple quidam qui, pour se vanter, aurait inventé des liens privilégiés qu’il n’avait pas. C'est un ex-ministre libéral et un organisateur de longue encore influent à l'époque au sein du PLQ. Et pourquoi ce passage : «Notre prochaine action devra être systématique, ordonnée et musclée au plus haut sommet de l'État» ? Est-ce enocre une référence au premier ministre ?


***


Citons encore Enquête dans cette suite de courriels obtenus par l'émission : «Dès le lendemain de cet échange, Marc-Yvan Côté informe ses collègues de Premier Tech que son « ami » Sam Hamad vient de lui faire rapport sur les deux appels qu'il a faits à son collègue ministre du Développement économique, Clément Gignac, et au président d'Investissement Québec, Jacques Daoust.»


Et voici le courriel en question :


• De : Marc-Yvan Côté (vice-président du C. A. de Premier Tech)
• À : Jean Bélanger (président et chef de l'exploitation de Premier Tech)
« Mon ami vient de me faire rapport sur les deux téléphones faits ce jour même. Il a d'abord parlé à Daoust...
Le deuxième téléphone a été fait à Gignac... » [...]
« P.S. : Je l'envoie qu'à toi afin de protéger notre ami. »


Questions: M. Hamad aurait-il en effet fait ces contacts ? Et si oui, l’aurait-il fait à la demande spécifique de Marc-Yvan Côté ? Et pourquoi ce besoin exprimé de «protéger» M. Hamad ? Rappelons aussi que M. Côté n’était pas inscrit au registre des lobbyistes du Québec.


Sam Hamad est ensuite nommé ministre au Développement économique par Jean Charest. Premier Tech fait alors une autre demande de prêt à Investissement Québec de même que pour une subvention au ministère même de M. Hamad.


«Deux mois et demi plus tard, en janvier 2012», selon Enquête, «Premier Tech reçoit une réponse positive des deux entités. Mais l'entreprise souhaite un plus gros montant. Marc-Yvan Côté écrit donc à ses collègues qu'il va entreprendre « la démarche ».»


Prochain courriel :


De : Marc-Yvan Côté (vice-président du C. A. de Premier Tech)
• À : Jean Bélanger (président et chef de l'exploitation de Premier Tech)
« J'ai rencontré à 7 heures ce matin notre ami pour faire le point. Je vais tenter de te rejoindre plus tard afin de te transmettre l'état de situation. Je souhaite le faire sur un téléphone régulier.


Remarque: Donc, M. Côté prend un petit déjeuner avec M. Hamad et souhaite ensuite faire état de ses discussions au président de la firme, mais par «téléphone régulier». M. Côté semble donc vouloir éviter toute documentation écrite de cet échange ou autre chose.


Un nouveau joueur entre alors en scène – le chef de cabinet adjoint de Sam Hamad.


Nouveau courriel :


De : chef de cabinet adjoint de Sam Hamad
• À : Yves Goudreau (vice-président au développement corporatif de Premier Tech)
« On a travaillé fort, vous aurez des nouvelles bientôt via le canal régulier »


Puis celui-ci :


• De : Yves Goudreau (vice-président au développement corporatif de Premier Tech)
• À : chef de cabinet adjoint de Sam Hamad
« Positif-négatif? »


Puis celui-ci :


• De : chef de cabinet adjoint de Sam Hamad
• À : Yves Goudreau (vice-président au développement corporatif de Premier Tech)
« On partait de loin mais on a travaillé fort pour ne pas avoir le statu quo. »


Fait intéressant : le chef de cabinet adjoint écrit directement au vice-président de la firme et non pas à Marc-Yvan Côté.


Notons d’ailleurs qu’aucun des courriels cités par Enquête ne provient de Sam Hamad lui-même.


***


Conclusion du dossier


Citons Enquête : «Le 7 mai 2012, Jean Charest annonce officiellement le prêt de 11 millions de dollars d'Investissement Québec et la subvention du ministère du Développement économique de 8 millions de dollars. Sam Hamad est présent à l'annonce. Cette aide de Québec s'ajoutait à un investissement du gouvernement fédéral. »


Mais attention, le dossier n’est pas encore tout à fait clos. Enquête y ajoute un élément central : le financement politique. Dès 2008, selon Enquête, le vice-président de Premier Tech et Marc-Yvan Côté «s'écrivent au sujet d'un cocktail de financement pour la circonscription de Sam Hamad


Courriel :


De : Yves Goudreau (vice-président au développement corporatif de Premier Tech)
• À : Marc-Yvan Côté
« Pour la soirée de financement de Sam; est-ce qu'on a souscrit car je n'ai pas eu de demande? »
Yves


Puis, celui-ci :


• De : Marc-Yvan Côté
• À : Yves Goudreau (vice-président au développement corporatif de Premier Tech)
« Pour le cocktail de Sam, il faut faire une contribution significative. J'ai l'intention d'en parler avec M. Bélanger demain. »
Marc-Yvan


Question: pourquoi inciter un entrepreneur à faire une contribution au financement politique du PLQ ? Et pourquoi doit-elle être en plus «significative» ?


Selon Enquête, «certains dirigeants et administrateurs de Premier Tech, ainsi que des membres de leur famille ont donné plus de 20 000 $ au Parti libéral du Québec (PLQ) de 2008 à 2012. Certains ont fait un don dans la circonscription de Sam Hamad, même s'ils n'habitent pas dans le secteur. Marc-Yvan Côté et sa famille immédiate ont pour leur part donné plus de 17 000 $ au PLQ dans les mêmes années


***


Bref, les interrogations commencent à peine dans ce dossier.


Pour résumer le tout, comme je l’écrivais ce mardi en chronique : le dossier de Premier Tech, selon le premier ministre, aurait cheminé normalement. Si oui, pourquoi la pression exercée par M. Côté et l’incitation à Premier Tech de contribuer à un cocktail de financement pour Sam Hamad?


Comme quoi, le Commissaire à l’éthique et le Directeur général des élections ont tout un travail d’enquête et de vérification devant eux. À moins que l’UPAC ne s’y penche à son tour, ou qu’elle ne l’ait déjà fait ou qu'elle soit en voie de le faire ou encore, qu'elle ne le fasse pas du tout..


***


ADDENDUM:


(1) On apprend en fait que Sam Hamad n'aurait pas eu la «bénédiction» du premier ministre pour son retour hâtif en Floride. Une autre illustration de cette gestion de crise inepte. Comment se fait-il que le ministre n'ait pas été mieux encadré par le bureau du premier ministre alors que la crise éclatait?


 


 


 


 


 



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