Les plus idéalistes d’entre nous le répètent sans cesse : il ne faut pas mêler le sport et la politique. N’empêche que dans la vraie vie, le prestige des équipes nationales victorieuses enorgueillit les populations et fait bomber le torse des gouvernements. Les Jeux olympiques sont la vitrine par excellence des pays voulant faire étalage de la grandeur de leur civilisation. Certaines dictatures autoritaires comme la Chine (Beijing 2008) et la Russie (Sotchi 2014) y voient même l’occasion d’une pharaonique opération de relations publiques à l’échelle planétaire. En 1998, la victoire de la France en Coupe du Monde de football avait raffermi la confiance des investisseurs et fait bondir l’économie du pays. Mais quelles sont les conséquences politiques lorsque l’équipe nationale est humiliée, comme ce fut le cas pour l’équipe brésilienne de football, victime d’une raclée historique de 7-1 face à l’Allemagne? En cette matière, le passé peut éclairer le présent.
Le 18 mai 1970 à Londres, le premier ministre travailliste Harold Wilson demande à la reine Elizabeth II de dissoudre le parlement le 29 mai en vue d’un scrutin le 18 juin au Royaume-Uni. Wilson espère ainsi prendre de court les conservateurs d’Edward Heath qui s’attendent plutôt à un appel aux urnes en octobre. Le premier ministre tient aussi à briguer les suffrages avant l’introduction prochaine du très impopulaire « decimal coinage », en remplacement des 20 shillings par livre sterling et 12 pences par shilling. Mais le chef du Labour Party n’a sans doute pas prévu que cette hâte ferait entrer la Coupe du Monde de football dans la campagne électorale. L’équipe anglaise y est la défenderesse du titre, ayant remporté la Coupe du Monde de 1966 dont l’Angleterre était même le pays hôte. Ce seul titre mondial de son histoire, acquis à Londres face à l’Allemagne de l’Ouest dans un Wembey Stadium bondé de près de 100 000 personnes, avait été un moment d’immense fierté patriotique. La barre est donc très haute pour l’équipe d’Angleterre de 1970 au Mexique.
Fort d’une avance allant jusqu’à 8 points dans les sondages, le Labour Party se dirige vers une victoire aisée face aux Tories. Le 14 juin, il en est de même pour l’équipe anglaise de football qui, au milieu de la deuxième demie de son match de demi-finale, mène 2-0 devant l’Allemagne de l’Ouest, rivale de toujours. Mais le vent tourne et les Allemands l’emporteront finalement 3-2 en prolongation, faisant sombrer le Royaume-Uni tout entier dans une profonde déprime. Quatre jours plus tard, les Britanniques vont aux urnes. Les travaillistes mordront la poussière face aux conservateurs qui formeront même un gouvernement majoritaire. Bien des analystes attribuent cette victoire-surprise des Tories à la perte de prestige national concurrente à l’élimination précoce de l’équipe anglaise de football, lors d’une Coupe du Monde autrement plus passionnante que la campagne électorale.
Au coup d’envoi de l’actuelle Coupe du Monde, la présidente brésilienne Dilma Roussef bénéficiait d’une notable hausse de popularité découlant de la fierté des Brésiliens d’être les hôtes de ce grand événement sportif. Mais dans trois mois, lorsqu’ils feront le bilan de cette Coupe du Monde ayant entraîné des dépenses parfois très contestables de 11 milliards de dollars et une humiliation planétaire de l’équipe nationale, les électeurs concluront-ils que le jeu en a valu la chandelle? Parions que bien des analystes déduiront que cette élection présidentielle du 5 octobre, Dilma l’aura perdue le 8 juillet face à la Mannschaft.
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