Actions pour les droits des animaux: un deuxième restaurant visé

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Il va falloir sévir contre ces extrémistes anglophones


Après le restaurant Joe Beef, un deuxième haut lieu de la gastronomie montréalaise – le restaurant Manitoba, situé dans le quartier Mile-Ex – semble avoir été ciblé par des tenants de la cause antispéciste, un mouvement qui a pris une véritable ampleur au Québec au cours des derniers mois.


Dimanche soir, la serrure du restaurant a été enduite de colle, ce qui a empêché les propriétaires d’entrer lundi. Dans une missive laissée dans la boîte aux lettres, le chef Simon Mathys est accusé d’avoir « du sang sur les mains » en raison de sa présence au conseil d’administration du Petit abattoir, un projet coopératif de petite échelle destiné aux producteurs artisanaux de volaille qui tentent de mettre sur pied une solution de rechange au modèle d’abattoir industriel.





PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE


Missive laissée dans la boîte aux lettres du Manitoba





« Des milliers d’oies et de canards payeront injustement de leur vie pour un simple plaisir gustatif dans ce futur projet d’abattoir », peut-on lire dans la note rendue publique par les copropriétaires du Manitoba, Elisabeth Cardin et Simon Cantin, hier, sur la page Facebook du restaurant.


 

« Oui, nous avons du sang sur les mains », ont répliqué les restaurateurs dans un long texte publié sur le réseau social. « Celui d’animaux qui ont eu une vie heureuse, entourés de nature et d’humains fondamentalement bons. Nous réfléchirons à votre critique, nous évoluerons, mais nous aimerions voir votre énergie militante se déployer auprès des mégaproducteurs déconnectés plutôt que chez des restaurateurs somme toute, assez gentils. […] Ce n’est pas par simple plaisir gustatif que nous tuons des animaux. C’est par besoin de se nourrir et par souci d’équilibre écologique », ajoutent-ils.


Quelques heures après sa publication, cette réplique avait été lue par près de 40 000 personnes et avait suscité plusieurs centaines de commentaires allant des messages d’encouragement aux critiques virulentes de véganes.


Les antispécistes et les véganes s’opposent à toute forme d’élevage animal destiné à la consommation humaine, ce qui inclut la laine, le cuir ou la fréquentation de zoos.


Souper-bénéfice


Dimanche, le restaurant Manitoba planifie de tenir un grand souper-bénéfice animé par le comédien Christian Bégin afin de financer ce projet. Les chefs de quatre grandes tables reconnues pour leur recours à des produits locaux doivent se joindre à M. Mathis pour ce repas : John Winter Russel du Candide, Charles-Antoine Crête du Montréal Plaza, Jessica Noël du Vin Mon Lapin et Vincent Dion-Lavallée de la Cabane d’à côté.


« Ils se trompent de cible, je trouve cela si dommage, si dommage, a déploré l’une des instigatrices du Petit abattoir, la productrice Fernande Ouellet. Ce n’est pas une façon d’entamer un dialogue ou de nourrir une réflexion, c’est un défoulement. C’est une agression. »





PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE


Fernande Ouellet







Ce n’est en rien une revendication qui fasse réfléchir et c’est bête, parce que je vois un paquet de gens très sensés qui sont végétariens ou véganes et qui pleurent devant des gestes comme cela parce que ça ne sert tellement pas la cause.



Fernande Ouellet



Pour l’instant, cet acte n’a pas été revendiqué par un groupe végane ou un loup solitaire. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui a été alerté selon Mme Cardin, n’a pas répondu à nos questions sur le sujet.


Par contre, cet événement ne correspond pas au modus operandi du groupe qui a investi le restaurant Joe Beef le 11 janvier dernier durant l’heure du souper en scandant des slogans comme « Ce n’est pas de la nourriture, c’est de la violence ».


Cette action avait été organisée par la branche montréalaise du groupe Direct Action Everywhere, qui a aussi mené une occupation de plusieurs heures dans une porcherie de Saint-Hyacinthe avant Noël et chanté devant un comptoir de viande d’un magasin Costco à l’automne.


Contrairement à l’incident au Manitoba, tous ces coups d’éclat ont été diffusés en direct sur le réseau social Facebook.


Une liste qui s’allonge


Chose certaine, ces actes s’inscrivent dans une tendance mondiale. On a recensé une multitude d’événements du genre au cours des dernières années en France, aux États-Unis et au Canada anglais.


En octobre 2019, la France a d’ailleurs mis sur pied la cellule policière Demeter (du nom de la déesse grecque des moissons) afin de combattre les crimes contre le monde agricole, dans la foulée de l’incendie criminel d’un abattoir, de l’occupation d’élevages et de vandalisme contre des boucheries.


Au Québec, des manifestations ont été organisées par des groupes de défense des droits des animaux devant l’abattoir Olymel à Saint-Esprit et devant l’abattoir Marvid à Montréal-Nord au cours des derniers mois.


Le groupe Animal Rebellion, qui découle du groupe environnemental Extinction Rebellion, a aussi organisé une manifestation – certains militants transportaient des porcelets morts – au centre-ville de Montréal en octobre dernier.





PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE


Manifestation d’Animal Rebellion, le 10 octobre dernier





« Les groupes véganes sont extrêmement bien financés et organisés », souligne Sylvain Charlebois, professeur à l’Université Dalhousie et expert des questions agroalimentaires. « Un végane va considérer une vache laitière comme un être qui a été violé six ou sept fois dans sa vie. Ils pensent qu’un steak, c’est un meurtre, carrément. Donc quand ils font de la désobéissance civile, pour eux, ils ont une licence pour le faire », ajoute-t-il.


Comparution la semaine prochaine


Rien n’a toutefois autant marqué l’imaginaire que l’occupation de l’élevage de porcs Porgreg, début décembre, dans la grande région de Saint-Hyacinthe. Durant près de six heures, 11 militants associés au groupe Direct Action Everywhere ont filmé les conditions de vie de porcs qui se trouvaient dans des cages individuelles.





PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE DXE MONTRÉAL


Des militants associés au groupe Direct Action Everywhere à la ferme Porgreg





Ces derniers ont été arrêtés par la Sûreté du Québec et doivent comparaître au palais de justice de Saint-Hyacinthe le 27 janvier pour répondre à des accusations d’entrée par effraction. Une manifestation pour les soutenir est organisée le matin.


La Presse a rencontré hier deux des femmes arrêtées en raison de leur participation à cet événement : la Torontoise Jenny McQueen et la Montréalaise Anne Shaughnessey.





PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE


Anne Shaughnessey et Jenny McQueen





D’emblée, elles n’avaient aucune idée de qui avait pu viser le restaurant Manitoba.


Par contre, elles en avaient long à dire sur les conditions d’élevage dont elles ont été témoin lors de leur occupation à Saint-Hyacinthe, qu’elles qualifient de « dégoûtantes ».


Jenny McQueen, une fonctionnaire retraitée qui est coordonnatrice de la section torontoise de Direct Action Everywhere, a déjà fait l’objet d’accusations similaires en Ontario après s’être introduite dans un élevage porcin. En mai, la Couronne a abandonné les accusations. Cette fois, elle espère un procès qui pourrait permettre aux véganes d’appeler des experts à la barre et d’interroger les agriculteurs sur leurs pratiques.


« Nous voulons un procès complet. Nous voulons la plateforme. J’étais déçue quand les accusations sont tombées parce que cela voulait dire que je n’avais pas toute l’attention dirigée vers les animaux. C’est le but », explique Mme McQueen, âgée de 56 ans. « Je pense que l’enjeu est vraiment propulsé de l’avant quand on rentre à l’intérieur et l’on montre les animaux en cage et les porcelets qui meurent partout », ajoute-t-elle en précisant que son organisme prône la non-violence en tout temps.


Une cible « un peu bizarre »


À la suite de la visite des militants de Direct Action Everywhere, le chef David McMillan a souligné au Journal de Montréal qu’il trouvait son restaurant « un peu bizarre comme cible quand on sait qu’on travaille avec des producteurs québécois et qu’il y a des McDo partout ».


« Ça ne dérange pas d’où proviennent leurs produits, ces animaux vivent des vies misérables et ils finissent tous à l’abattoir », explique Anne Shaughnessey, 55 ans. « C’est de la fausse publicité de dire que l’agriculture éthique existe. Nourris aux grains, nourris à l’herbe : ce sont juste des termes de marketing pour faire payer les gens plus cher et pour les faire sentir mieux de soumettre les animaux à l’esclavage », dit-elle.


Des coups d’éclat ailleurs au Canada


Alberta





PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK STEP UP : BE VEGAN


Occupation d’une ferme près de Fort McLeod





Le 2 septembre dernier, près d’une centaine de militants pour la cause animale du groupe Liberation Lockdown occupent une ferme qui fait l’élevage de dindes près de Fort McLeod, en Alberta. Les militants y dénoncent les conditions de vie de ces animaux, au nombre de 30 000, entassés dans la ferme. 


Le 3 octobre, en réaction au coup d’éclat et à d’autres évènements du genre, le premier ministre Jason Kenney fait rapidement modifier une loi sur les entrées par effraction dans les fermes. Parmi d’autres dispositions, la nouvelle mouture de la loi impose des amendes d’un maximum de 15 000 $ pour une première infraction, et d’un maximum de 30 000 $ à la seconde. L’amendement prévoit aussi la possibilité d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 12 mois.


Colombie-Britannique





PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE


Occupation à la ferme Excelsior Hog Farms





Au mois d’avril 2019, une vidéo publiée par PETA (Pour une éthique dans le traitement des animaux) montre des images de maltraitance animale captées dans une ferme porcine d’Abbotsford, dans le sud de la Colombie-Britannique. Quelques jours plus tard, environ 200 militants pour la cause animale du groupe Meat the Victims – venus des quatre coins de l’Amérique du Nord, selon un agent de la GRC cité par Global – se présentent à la ferme Excelsior Hog Farms. 


Près de 50 militants pénètrent dans la ferme et jettent l’opprobre sur le propriétaire, qui invite néanmoins les médias et la police à visiter l’intérieur de la ferme pour se laver de tout soupçon. L’évènement soulève la peur chez les fermiers de la province, et en novembre, un député de l’opposition dépose un projet de loi visant des amendes plus élevées en cas d’entrée par effraction dans les fermes.


Ontario





PHOTO ELLI GARLIN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE


La militante torontoise Anita Kraknc





Une militante torontoise, Anita Krajnc, a été accusée en 2015 d’avoir tenté d’abreuver à travers les fentes d’un camion des porcs en route vers l’abattoir. Mme Krajnc faisait face à 10 ans de prison avant que les procureurs ne fassent tomber les accusations deux ans plus tard. 


En Ontario, les coups d’éclat du genre se font de plus en plus fréquents, comme au mois de mars dernier, lorsque des militants se sont introduits dans deux fermes laitières. Devant la crainte des fermiers face à l’augmentation de ce type de perturbation, le gouvernement de Doug Ford a déposé un projet de loi, en décembre dernier, visant à décourager les militants aventureux, notamment en haussant les amendes en cas d’entrée par effraction dans les fermes.


– Raphaël Pirro




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