Entrevue avec Jason Manolopoulos

«À terme, l’euro est condamné…»

Géopolitique — Union européenne

« Il est difficile pour l’Alberta d’accepter de partager ses profits avec le Québec. Alors, imaginez comment ça peut l’être pour les Allemands de le faire avec les Grecs ! » Le financier qui prononce ces mots est à la fois Grec et Canadien. Jason Manolopoulos a beau avoir quitté Ottawa à l’âge de dix ans, où son père était médecin, il a conservé la nationalité canadienne. Ce qui lui donne une compréhension particulière de l’union monétaire européenne, qu’il compare souvent au fédéralisme canadien. Après avoir travaillé pour un oligarque russe, il est revenu s’installer à Athènes, où il a fondé le fonds d’investissement Dromeus Capitals, qui se spécialise dans les marchés dits « émergents ». En juillet, la crise grecque a beau s’éloigner des projecteurs et l’euro défrayer un peu moins la manchette, pour l’auteur de La dette odieuse (éditions Pearson / les Échos), cette crise qui a déjà deux ans n’est que la première d’une monnaie qui est entrée dans un cercle infernal. « L’euro arrivera peut-être à survivre à cette crise, mais il y en aura d’autres. Si ce n’est pas dans l’immédiat, la monnaie européenne pourrait bien s’effondrer dans dix ans. La disparition de l’euro n’aurait rien d’original. Depuis un siècle, une soixantaine d’unions monétaires ont disparu. » Manolopoulos cite la dissolution, en 1927, de l’Union latine qui réunissait la France, la Suisse, l’Italie, la Belgique et la Grèce autour du franc germinal. Après la Première Guerre mondiale, cette union que l’on décrivait pourtant comme un « prélude aux fédérations pacifiques du futur » n’a pas résisté aux dévaluations massives et à l’effondrement des stocks d’or. Selon le financier, le même sort menace aujourd’hui la devise européenne. La crise actuelle, dit-il, est tout autant le résultat de la gabegie à laquelle se sont livrés les responsables politiques grecs que des carences intrinsèques de l’euro. « Avec l’adhésion à l’euro, la Grèce est devenue un petit paradis. Les Grecs n’avaient pas l’habitude d’emprunter. L’économie était largement fondée sur les entreprises familiales. Tout à coup, il est devenu possible d’emprunter au même taux que l’Allemagne. Sous le regard complice des Européens, les Grecs se sont gavés. Aujourd’hui, le rêve se termine. » L’euro ne marche pas Même sans la Grèce, l’euro aurait été ébranlé à un moment ou à un autre, estime cependant le financier. Cette crise était pratiquement inévitable, dit-il, car la zone euro a enfreint toutes les règles qui doivent normalement gouverner une union monétaire : mobilité de la main-d’oeuvre, harmonisation des politiques économiques, redistribution au moyen d’un budget central commun. Il serait donc temps d’admettre, dit-il, que l’euro ne marche pas et que l’union monétaire européenne sera toujours imparfaite. « L’euro est né d’une volonté politique, mais les pays de la zone euro sont trop différents les uns des autres. Normalement, avec 6 % de chômage en Allemagne et 22 % en Grèce, il faudrait que les Grecs aillent massivement travailler en Allemagne. Mais ce n’est pas possible à cause des barrières culturelle et linguistique. Comme on ne peut pas dévaluer la monnaie, il n’y a plus moyen de faire baisser la pression. Avec l’euro, la Grèce a pu vivre 30 ou 40 % au-dessus de ses moyens. Pour s’en sortir, les Grecs devraient donc réduire leur PNB de 25 %. C’est ce qu’on appelle la dévaluation interne. C’est intenable ! » Manolopoulos n’exclut pas la possibilité que la Grèce sorte de l’euro dès l’an prochain. « Après tout, les pays de l’Union européenne qui n’ont pas adopté l’euro, comme le Danemark, la Suède et le Royaume-Uni, s’en sortent beaucoup mieux que la Grèce, l’Italie et l’Espagne. La seule raison pour laquelle la Grèce n’est pas déjà sortie, c’est que ça coûterait trop cher. » Pour sortir de l’euro de manière relativement ordonnée, dit le financier, il faudrait d’abord garantir les dépôts des banques en euros et commencer à payer les gens en drachmes. L’impossible union politique Jason Manolopoulos aime citer l’ancien commissaire européen Bernard Connolly. Celui-ci affirmait dès 1995 qu’« il n’existera jamais d’union politique suffisamment solidaire [en Europe] pour placer les intérêts de l’Union au-dessus des intérêts nationaux. […] Par conséquent, la monnaie unique européenne sera certainement plus faible que le deutschemark et probablement plus faible que n’importe quelle devise actuelle. » Connolly prononçait ces mots en 1995, à un moment où il n’était pourtant pas encore question d’intégrer à l’euro la Grèce, l’Espagne, l’Italie, l’Irlande et le Portugal ! Selon Manolopoulos, la zone euro pourrait éventuellement éclater en deux blocs : d’un côté les pays du nord, de l’autre ceux du sud. Chose certaine, dit-il, « il n’y a jamais eu de monnaie unique sans union politique véritable ». Or l’union politique européenne est prise dans un cercle vicieux : plus on veut la renforcer, plus on alimente l’euroscepticisme. Dans son livre, le financier n’est pas tendre pour l’action des dirigeants européens. « Il faut cesser de dédaigner les échecs des référendums et de traiter l’électorat de façon paternaliste,écrit-il. Par un effet pervers, cela encourage l’euroscepticisme que les dirigeants européens souhaitent normalement combattre. » Et le financier de se souvenir de son enfance au Canada. « Vous en savez quelque chose au Québec, dit-il. Si les Québécois reparlent d’indépendance tous les vingt ans, comment croyez-vous que les nations européennes vieilles de plusieurs siècles supporteront le fédéralisme ? C’est rêver en couleur… »



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