A l'aube d'un cataclysme monétaire et financier

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Un portrait alarmant


C'est l'abondance des liquidités qui a propulsé les marchés financiers, comme l'ensemble des actifs d'une manière générale, depuis 2009. Cette gigantesque reflation, orchestrée à coups de 10 à 12 trillions de dollars injectés dans le système, a été la source principale et fondamentale ayant autorisé une appréciation, voire une euphorie, globale puisque certains analystes attribuent 80% de la hausse des marchés boursiers depuis 2009 aux baisses de taux quantitatives organisées par les banques centrales. il serait donc nécessaire aujourd'hui de créer 200 à 250 milliards de dollars par trimestre dans le seul but de maintenir les valorisations à leur niveau actuel.

Des politiques monétaires désormais désynchronisées

Las, en cette fin d'année 2015, le monde entre dans une phase de politiques monétaires asynchrones au potentiel de déstabilisation dévastateur du fait de cycles divergents entre les principales puissances économiques et financières du monde. A cet égard, l'instant critique où tout basculera irrémédiablement sera la fin des taux 0 mis en place par les Etats-Unis en 2008: processus de remontée des taux d'intérêt américains qui sera enclenché avant la fin de cette année. Dans un tel contexte, c'est une lourde erreur que de croire que la Réserve fédérale US -qui injectait un trillions de nouveaux dollars dans le système par an- pourrait simplement être remplacée par la Banque Centrale Européenne et par la Banque du Japon, qui prendraient en quelque sorte le relais de cette création monétaire.

Un autre phénomène majeur sur lequel je ne m'étendrai pas consiste en ce qu'un tiers à la moitié des opérateurs actuels sur les marchés n'ont jamais connu de hausse de taux américains, puisque le dernier resserrement de politique monétaire US date de 2006 ! Époque à laquelle bien des intervenants actuels n'étaient pas encore sur le marché du travail: de ces jeunes dont on ne sait pas comment ils réagiront dès lors que le loyer perçu sur le dollar sera plus cher.

Un séisme sur le marché de la dette

En réalité, la source principale du cataclysme à venir est ailleurs. En effet, contrairement à la Fed, la BCE, la Banque du Japon et la Banque Populaire de Chine n'ont pas la faculté d'imprimer des dollars, qui est la monnaie centrale pourvoyeuse de liquidités sur l'ensemble du système qui irrigue l'économie universelle. Car le billet vert n'est pas seulement la monnaie de réserve la plus importante au monde. En effet, les marchés obligataires américains -de l'ordre de 60 trillions de dollars -sont, de très loin, les plus volumineux du globe, et dépassent en importance les marchés de la dette européenne et japonaise combinés.

En outre, le rôle du billet vert n'est pas fondamental uniquement du point de vue du nombre affolant de devises émergentes qui y sont indexées. La situation est encore pire car toute hausse des taux d'intérêt US sera répercutée sous forme de séisme sur l'ensemble du marché de la dette de ces pays également libellée en dollars. La Banque des Règlements Internationaux a calculé que l'ensemble des engagements non américains (hors système financier) se montait à plus de 9 trillions de dollars à fin 2014, chiffre en augmentation de 50% depuis 2009!

Le cercle vicieux de la réduction de la liquidité dollars

On comprend mieux, dès lors, l'impact destructeur de toute hausse de taux US, de toute remontée substantielle du billet vert, bref de la raréfaction programmée de la liquidité exprimée en cette monnaie sur l'ensemble des engagements et des endettements des pays émergents. Difficultés et retards de paiement ne seront que le moindre mal enduré par les émergents qui subissent en outre aujourd'hui de plein fouet l'effondrement des matières premières, ayant pour conséquence directe de réduire davantage leurs revenus, et donc leur marge de manœuvre pour régler leurs dettes... En fait, cette déroute des prix des denrées alimentaires, des tarifs pétroliers et des prix des « commodities » induit à son tour un cercle vicieux de réduction de la liquidité dollars qui a été un chaînon vital du financement global ayant eu pour effet de propulser les valorisations des actifs.

 La hausse de la rémunération du risque

Si la chute substantielle des prix de l'énergie est une excellente nouvelle pour le pouvoir d'achat du consommateur occidental, elle réduit en même temps la masse des pétrodollars en circulation qui se traduira immanquablement en une liquidation et en une vente forcées des investissements à l'étranger des producteurs de matières énergétiques, et un effet final négatif sur les économies européenne et américaine.
La conjugaison de ces facteurs (baisse de la liquidité dollars au niveau global et des réserves monétaires des nations émergentes) se traduit d'ores et déjà par une hausse de leurs taux d'intérêt qui remet en cause de manière aiguë leur capacité à honorer leurs engagements.

Du coup, la rémunération du risque connaît, à travers le monde, une escalade tout aussi irrésistible que mortifère. Voilà en effet le 10 ans Bunds allemand qui passe au-dessus de 1% quand il était encore à 0 il y a quelques mois. Pareil pour le rendement des Bons du Trésor français, italien ou espagnol ayant connu une appréciation de la même ampleur. Et que dire des taux de la dette des émergents comme ceux de l'Indonésie (1.75%), de l'Afrique du Sud (1.5%), etc...Notre monde -habitué voire bercé- par le robinet des liquidités généreusement prodiguées par les américains est donc réellement à la croisée des chemins. Les secousses générées par le relèvement de leurs taux d'intérêt se ressentiront à travers les marchés monétaires et, ce, à l'échelle mondiale. Le spectre de déstabilisation financière mondiale se profile.

Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et Directeur Général d'Art Trading & Finance.

Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience", "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique" et de "Misère et opulence", préface rédigée par Romaric Godin.

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