En marge des élections européennes, la Belgique votait pour ses intérêts nationaux. Passée inaperçue en France, la poussée spectaculaire de formations flamandes d’extrême droite ouvertement racistes, comme le Vlaams Belang, a pourtant de quoi inquiéter. Au-delà de l’unité de la Belgique, elle pourrait mettre en péril celle de l’Europe.
Les élections européennes du 26 mai 2019 et leurs enjeux ont eu pour effet d’occulter totalement les résultats spectaculaires des élections fédérales et régionales belges qui se sont tenues le même jour. Or, ce scrutin belge a accouché, après une campagne électorale vaporeuse, inintéressante, soporifique, insipide et ennuyeuse, d’une hydre bicéphale : la victoire de deux formations flamandes dont l’objectif avoué est l’indépendance de la Flandre et l’éclatement de l’Etat belge : la N-VA (Nieuw Vlaamse Alliantie, nouvelle alliance flamande) et le Vlaams Belang (Intérêt flamand).
Sur les ruines de leurs lâchetés
Cette véritable chimère mine peut-être de manière définitive la pérennité de la Belgique en tant qu’Etat fédéral, la menant directement au confédéralisme qui n’est que l’antichambre, à moyen terme, de la séparation et de la scission et donc de sa disparition au sein de l’Europe.
Ces deux partis ont beaucoup de points communs dans leur programme et leurs scores respectifs. Ils répondent aux demandes de nombreuses personnes en Flandre, qui, à l’instar des autres pays européens, sont fatiguées, déçues, dégoûtées, voire plus encore par plusieurs décennies de gouvernances traditionnelles responsables et coupables de nombreux maux délétères : clientélisme, communautarisme, lâcheté, accommodements raisonnables, négligence, incompétence, paupérisation, cécité et déni volontaires face à l’entrisme de l’islam politique dont l’aboutissement dramatique des attentats de Paris en est la tragique démonstration.
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Ces formations sont donc fondamentalement d’essence souverainiste, nationalistes, populistes comme le sont le Rassemblement national (RN) en France ou la Ligue en Italie. Leur naissance et leur essor n’étant que le résultat d’une équation simplissime et naturelle: la reconquête des peuples qui se sentent dépossédés de leurs territoires et se sentent envahis par une culture exogène qui refuse de plus en plus souvent de s’intégrer dans leur espace d’accueil en menaçant gravement la vie quotidienne.
Le cordon sanitaire est coupé
Avec la foudroyante progression du Vlaams Belang c’est un véritable tsunami sociopolitique qui s’est déchaîné le 26 mai dans la mesure où ce parti a fait un bond de 4% à 12% au niveau fédéral (national) et de 6% à 18,5% au niveau régional flamand, et ceci en l’espace de quatre ans, à peine.
Derrière la N-VA qui perd 4% (16,03%), le Vlaams Belang au niveau national (fédéral) devance à présent en pourcentage (11,95%), les trois partis traditionnels qui ont gouverné la Belgique pendant plus de 50 ans : les socialistes francophones (9,46%) et néerlandophones (6,71%), les réformateurs libéraux francophones (7,56%) et les néerlandophones (8,54%) les socio chrétiens démocrates francophones (8,89%) et néerlandophones (8,89%).
Le scrutin belge étant soumis à un régime à la proportionnelle très complexe, cela donne en nombre de sièges au parlement fédéral, 25 sièges pour la N-VA, 18 pour le Vlaams Belang, soit 43 sièges ensemble sur 150. Le reste de l’hémicycle est dominé par les socialistes (20 sièges), les libéraux (14), les verts (13) et la poussée aussi spectaculaire du PTB (Parti du Travail de Belgique marxiste-léniniste très islamophile), seul parti unitaire non linguistiquement divisé que l’on pensait mort depuis la fin du siècle dernier et qui ressuscite en sortant du tombeau avec 8,6%. Le Vlaams Belang et le PTB sont donc les deux réponses populaires épidermiques les plus radicales fournies par des centaines de milliers d’individus se sentant trompés, abandonnés et trahis par leurs élites traditionnelles pour lesquelles elles ont continué de voter docilement conformément à l’obligation de vote en Belgique
Face à cette situation inédite, le roi Philippe Ier n’a pu refuser de recevoir le président du Vlaams Belang, le jeune Tom Van Grieken, 32 ans, une grande première dans ce royaume qui a mis en place depuis longtemps un cordon sanitaire autour de toutes les formations jugées infréquentables et anti-démocratiques pour cause de xénophobie et de sympathie non dissimulée envers le nazisme. A titre de comparaison historique, il faut savoir que la dernière fois que le Palais royal a reçu un représentant de l’extrême droite pro nazie et réellement fasciste, c’était en 1936: Léopold III recevait Léon Degrelle, dont le parti Rex avait obtenu 11,5% des voix lors des législatives. Les cadors des grands partis traditionnels s’offusquent, mais la constitution a ses lois et la loi est la loi, « dura lex sed lex ».
Un Flamand sur cinq
Le grand vainqueur de ces élections belges, c’est donc bien le Vlaams Belang, un parti bien plus à l’extrême droite que celui de Marine Le Pen puisqu’il charrie en son sein des opinions franchement racistes. Une quinzaine de candidats de ce parti sont mêmes soupçonnés de sympathies nazies, selon une enquête de Het Laatste Nieuws relayée également par De Morgen. Selon ces deux journaux, il ne s’agit pas de déclarations de soutien à des groupes d’extrême droite comme Schild & Vrienden, mais de « likes » pour Adolf Hitler. Les membres dirigeants de la N-VA, embarrassés face cet allié politique et stratégique potentiellement incontournable mais politiquement pas très correct, sont tous étrangement contaminés par ce double mot béquille : « oui mais » lorsque la presse leur demande s’ils envisagent de gouverner ensemble avec des personnes ouvertement racistes. « Oui il y a des personnes qui sont racistes au Vlaams Belang, mais… »
La solidarité des indépendantistes/séparatistes semble donc ici l’emporter sur la morale et l’éthique politiques, du bout de la langue, en français du moins…
Dans ces conditions sulfureuses, la formation d’un gouvernement fédéral majoritaire s’avère déjà improbable sinon impossible, personne ne voulant jusqu’à présent gouverner avec le Vlaams Belang. Ignorer ses électeurs, qui représentent quand même environ 700 000 personnes, soit un Flamand sur cinq en âge de voter, est pourtant difficilement envisageable.
La Belgique ingouvernable
L’Etat belge redevient par conséquent à nouveau ingouvernable comme en 2010-2011 au niveau national/fédéral et de nouvelles élections sont déjà envisagées dans six mois, ce qui n’empêche évidemment pas les entités régionales autonomes de fonctionner (région flamande avec une majorité N-VA VB, région wallonne avec une majorité PS et MR (réformateur libéraux) et enfin la Région de Bruxelles capitale avec une majorité rouge verte).
Plus que jamais, il y a bien deux pays et deux démocraties qui coexistent encore pour le moment mais avec des mentalités et des cultures politiques de plus en plus opposées, voire incompatibles et inconciliables.
Cette coexistence belge se fragilise de plus en plus au fil des élections et des interminables réformes de l’Etat au sein d’une structure constitutionnelle réduite à quelques compétences « régaliennes » importantes (défense, justice, police, santé, immigration, politique étrangère).
Or, cette situation belge ne semble intéresser personne en Europe, et en particulier en France où le débat politique a été naturellement et logiquement focalisé sur le duel Macron/Marine Le Pen. Circonstance aggravante : les débats belgo-belges eux-mêmes sur cette question sont assez pauvres voire médiocres, témoignant d’une grande lassitude de la population face à l’évaporation de la Belgique annoncée il y a déjà plus de 15 ans par le président de la N-VA, Bart de Wever, qui proclamait paisiblement au micro : « J’espère qu’on se réveillera un jour pour constater que, entre l’Europe et les régions, la Belgique s’est évaporée. »
Sous les yeux grands fermés de l’Europe
Et pourtant, il faut rappeler que c’est à Bruxelles que se situe le siège de la Commission de l’Union européenne (UE) et que de nombreuses sessions du Parlement européen se tiennent dans la capitale belge, ainsi que les sommets des chefs d’Etats européens.
L’indifférence des médias de l’Hexagone à l’égard de ce tremblement de terre socio-politique est particulièrement frappante, alors qu’en réalité, le score du Vlaams Belang et ses conséquences sont de nature beaucoup plus grave que ce qu’il s’est produit avec la petite victoire du RN qui n’est somme toute qu’un simulacre dans la mesure où son score n’est pas tellement plus élevé que lors des dernières élections européennes.
Symboliquement et sociologiquement, la montée spectaculaire du Vlaams Belang constitue un danger bien plus réel que la poussée des partis populistes européens souvent décrits abusivement comme la nouvelle peste brune et faussement présentés comme les héritiers des formations fascistes des célèbres et désormais légendaires « heures les plus sombres de notre histoire ».
Ce danger ne se présente bien évidemment pas comme les milices nazies des années 30 patrouillant dans les rues et défilant en chemises brunes et bottes d’équitation, les nouveaux adeptes du fascisme à l’ancienne, avides d’un pouvoir fort et xénophobes, s’étant transformés en bons pères de famille et en hommes d’affaires ou en cadres supérieurs fréquentables. La plupart ayant compris qu’il leur fallait se délester des oripeaux et des emblèmes fascistes et nazis, de l’accoutrement aux éléments de langage, ici comme ailleurs.
Il n’en reste pas moins que ce danger, qu’il faudrait plutôt considérer comme un péril, concerne à la fois l’Etat Belge, miné et menacé cette fois plus que jamais d’implosion, mais aussi par contagion l’Europe, qui ferait bien de se pencher sur son laboratoire belgo-bruxellois afin d’ouvrir les yeux, la Belgique étant un des six premiers Etats fondateurs du marché commun. Il est par conséquent grand temps de prendre enfin toute la mesure de cet événement local dont l’importance semble pour le moment échapper aux observateurs avisés.
La Belgique n’est ni l’Espagne ni le Royaume Uni ni l’Italie. Amis français, c’est arrivé près de chez vous, à 1h15 de Paris en Thalys et ce n’est pas du cinéma.