Le 17 avril prochain marquera le 30e anniversaire du rapatriement unilatéral de la constitution canadienne. Je vous en parlais déjà ici.
En vue d’un colloque qui se tiendra dès le 12 avril à l’UQAM sur le sujet, le politologue François Rocher de l’Université d’Ottawa signe dans les pages du Devoir le premier de trois textes sur le rapatriement.
Un rapatriement unilatéral qui, par la suite, provoquerait une série de tentatives de réconciliation nationale et de crises constitutionnelles et politiques entre le Québec et le Canada.
Quelques brefs rappels tout à fait non-exhaustifs:
1987: une fois le Parti libéral du Canada – responsable pour ce rapatriement sous Pierre Trudeau – défait aux élections de 1984 par le Parti conservateur de Brian Mulroney, s’enclenchera la «saga» de l’Accord du Lac Meech, dont l’objectif était de permettre au Québec de ratifier la nouvelle constitution de 1982 en échange de cinq conditions dites «minimales». Rappelons aussi que dans ses derniers moments au pouvoir, le premier ministre René Lévesque avait également accepté de prendre avec Brian Mulroney ce que M. Lévesque avait qualifié lui-même de «beau risque»; et que Lucien Bouchard, alors au Parti conservateur fédéral, joua un rôle de premier plan dans l’épisode Meech auprès de son chef et ami de l’époque, M. Mulroney
1990: en juin, après trois ans de psychodrames politiques, l’Accord meurt de sa belle mort.
1992: en août, un nouvel accord nettement plus complexe et comprenant les revendications d’autres provinces et des autochtones – nommé «Charlottetown» – est accepté in extremis par le gouvernement Bourassa. En octobre, il sera soumis à un référendum tenu hors Québec et un autre ici, simultané, tenu sous l’égide de la loi québécoise. Rejeté, cet accord meurt également.
1995: Jacques Parizeau respecte son engagement électoral fait l’année précédente de tenir un référendum rapidement dans son premier mandat. Le 30 octobre, les forces du Non l’emportent par quelques dizaines de milliers de voix. Etc., etc., etc…
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Ne plus se souvenir
De retour au texte de François Rocher. En vue du colloque sur le 30e anniversaire du rapatriement, un sondage fut réalisé par Léger Marketing (2039 répondants à travers le Canada, incluant 1002 au Québec).
Sans surprise aucune, on y observe quant aux événements de 1982 un phénomène généralisé que M. Rocher qualifie d’«amnésie relative».
Les grandes lignes:
- Seul un tiers des répondants Québécois fut capable de nommer l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés comme une des modifications importantes apportées à la Constitution en 1982;
- La moitié des répondants seulement saivat que la conférence fédérale-provinciale de 1981 portait sur le rapatriement;
- 54 % des répondants savaient que le Québec n’a pas signé la Constitution de 1982;
Nul besoin de noter que pour un événement vieux de trente ans, le niveau de connaissance de ce dernier varie selon l’âge, le niveau de scolarité. Même selon le sexe.
Pour M. Rocher, cela dénote «probablement un manque d’intérêt pour les débats politiques pour bon nombre de citoyens». Sûrement.
Mais on ne saurait non plus exclure les effets dévastateurs que peut avoir la diminution scandaleuse au Québec de l’enseignement de l’histoire sur la mémoire collective des plus jeunes. À preuve, ce sont des événements qui n’ont, après tout, que 30 ans! Et déjà, les trous de mémoire se multiplient…
Pour ce qui est des répondants hors Québec, le désintérêt croissant pour la «question du Québec» est également un facteur à prendre en compte. Sans oublier l’importante diversification socio-démograpique du Canada anglais où pour de nombreux nouveaux Canadiens, la «dualité» Québec-Canada ne fait tout simplement plus partie d’une identité canadienne qui se construit de plus en plus sans cette composante dualiste.
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Ne plus rien attendre?
Non seulement nous nous souvenons de moins en moins de 1982, mais les attentes quant à un renouvellement de la constitution s’évanouissent aussi.
Dans ce sondage, les auteurs des questions en ont de toute évidence pris acte au point où ils ont «présupposé» «qu’il soit impossible de modifier la Constitution de manière à satisfaire une majorité de Québécois». Pourquoi? Parce que le blocage est devenu tel au Canada que de le nier tiendrait presque de la folie furieuse….
Donc, pour le sondage, les auteurs ont demandé si, face à ce blocage, «le Québec devrait se retirer de la fédération canadienne pour devenir un pays indépendant ou s’il devrait plutôt rester dans la fédération canadienne sans que la Constitution ne soit modifiée».
Notons ici que l’expression utilisée est «pays indépendant»… Une expression «claire» même pour Stéphane Dion…
Réponses: 54 % des francophones du Québec choisiraient l’indépendance pendant que 83 % des non-francophones optent pour le statu quo. (Le choix de l’indépendance «grimpe à 64 % parmi les Québécois francophones qui savent que le Québec n’a pas adhéré à la Constitution de 1982».)
Qui plus est, 73 % des francophones qui se disent d’abord ou seulement québécois choisissent l’indépendance, Chez ceux qui se disent Québécois et Canadiens, c’est tout de même 55 % qui font ce même choix.
Sans surprise, 66 % des francophones qui se disent d’abord ou seulement canadiens optent pour le statu quo.
Le professeur Rocher souligne aussi que les «Québécois adhèrent à certains éléments du Canada de 1982, nommément les dispositions relatives au bilinguisme (90 %) et au multiculturalisme (68 % pour tous les répondants et 64 % pour les francophones)».
Hypothèse: dans les faits, le bilinguisme officiel et le multiculturalisme officiel datent de la fin des années 1960 et début des années 1970. Et donc, font partie du «décor» politique au Canada depuis plus de 40 ans déjà. Et surtout, le bilinguisme des institutions fédérales est perçu par la plupart des francophones, du Québec ou hors Québec, comme un minimum essentiel pour eux dans ce pays.
Fait majeur à noter dans ce sondage: «les Québécois francophones rejettent à 69 % l’interprétation des droits individuels inscrits dans la Charte qui aurait pour effet de diminuer les pouvoirs du Québec en matière de langue et de culture». Bref, ce qui est rejeté ici, c’est la diminution des pouvoirs du Québec depuis 1982 quant à la protection du français.
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Le deuil est fait?
Les données du sondage confirment, une fois de plus, que le deuil politique d’une fédération renouvelée pour répondre aux besoins du Québec est fait. Ou qu’il est tout au moins en voie de l’être…Ou est-ce vraiment le cas?
Car de fait, de nombreux sondages depuis plusieurs années montrent qu’une partie importante des Québécois continuent de penser que leur gouvernement devrait initier une nouvelle demande de modifications constitutionnelles…
Or, dans le sondage cité dans Le Devoir d’aujourd’hui, c’est «58 % des Québécois et 64 % des répondants du reste du Canada s’entendent sur le fait qu’aucun changement constitutionnel ne pourra satisfaire le Québec».
Quant à une possible reconnaissance de la nation québécoise dans la constitution canadienne et augmentation des pouvoirs du Québec, les Québécois ne l’attendent plus…. Et le Canada anglais n’en veut pas…
Bref, 30 ans après le rapatriement de la constitution canadienne te l’enchâssement d’une Charte des droits sans l’approbation de l’Assemblée nationale, l’indifférence et l’éloignement mutuels sont résolument installés entre le Québec et le Canada anglais…
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