15 ans après le référendum, toujours «rien de réglé»

30 octobre 1995 - il y a 15 ans

Lucien Bouchard et Jacques Parizeau, après la défaite, prédisaient un autre référendum, gagnant cette fois, après peu de temps.
***

Québec — «Rien de réglé», titrait un journal, le 31 octobre 1995. Quinze ans plus tard, l'expression semble toujours aussi vraie. D'une part, la manière d'accéder à la souveraineté recommence à troubler le Parti québécois. D'autre part, les dernières modifications au régime fédéral promises, c'est-à-dire la constitutionnalisation d'une «charte du fédéralisme d'ouverture» et les limites au pouvoir fédéral de dépenser, promises par Stephen Harper en 2006, n'ont pas été réalisées. Les deux options stagnent, voire reculent. Si 1980 est un échec clair pour les souverainistes, qui ont connu le syndrome post-référendaire, le résultat ultraserré de 1995 a plutôt suscité de la frustration de tous les côtés.
En avril 1995, dans une interview au Devoir, Gérard Bergeron pressent l'impasse à venir. Le politologue, qui a alors 73 ans (il nous a quittés en 2002), réclame rien de moins que le report sine die du référendum promis par Jacques Parizeau. D'une part, les risques de dérapage, argue-t-il, sont présents. Mais, plus encore, l'exercice s'annonce inutilement douloureux: «On va savoir qui perd le référendum, sans trop connaître le gagnant. Ce n'est pas une situation très saine: celui qui aura un moins grand pourcentage aura fatalement perdu. Quant à l'autre, sa marge insignifiante n'affirmera rien.»
Du reste, le soir du 30 octobre, les chefs politiques se trompent tous dans leurs prédictions. Jacques Parizeau lance que la souveraineté du Québec est «retardée un peu» et soutient qu'«on n'attendra pas 15 ans». Lucien Bouchard promet que «la prochaine fois pourrait venir plus rapidement qu'on ne le pense». Chef du Non, Daniel Johnson soutient qu'il ne faut pas abandonner l'espoir de voir des changements se produire rapidement dans la fédération canadienne.
Un «oui» dans cinq ans
Rien n'a vraiment changé, mais certains ont eu un parcours changeant depuis quinze ans. Ministre de la Restructuration dans l'éphémère cabinet Parizeau, Richard Le Hir a été le promoteur des fameuses études actualisées de la commission Bélanger-Campeau.
Au bout du fil, il se souvient de l'expérience «énorme et très difficile» que représentèrent ses quelque 13 mois au gouvernement (élu en septembre 1994, il démissionna en novembre 1995), ponctués entre autres de conférences de presse où il devait présenter des travaux que plusieurs observateurs ont jugé douteux. «Moi-même j'en étais parfaitement conscient. Je vivais cette situation-là, je vous prie de me croire, difficilement», confie l'ex-ministre. Richard Le Hir se déclarera fédéraliste en 1998 et devant les amis de Cité libre, soutient que «les souverainistes ont fait de leur option un véritable cul-de-sac pour le Québec».
Quinze ans plus tard, M. Le Hir est revenu à l'option souverainiste et publie même de nombreux textes sur le sujet dans le site Internet vigile.net (taxé d'«extrémiste» par Jean Charest la semaine dernière). Dans un des derniers, il prédit que l'indépendance aura lieu dans cinq ans. Il se dit d'accord avec Jacques Parizeau: la préparation à la souveraineté est primordiale. «J'ai été à même de constater qu'en 1994, on ne l'était pas suffisamment.»
En 2005, il avait dénoncé l'embauche par les troupes du Oui, 10 ans plus tôt, de «scrutateurs de choc» chargés de rejeter un maximum de bulletins de vote dans les circonscriptions susceptibles de voter massivement pour le Non. L'accusation fit scandale. On le traita de fabulateur. Il maintient sa version aujourd'hui. Bien des souverainistes accusent du reste le camp du Non d'avoir été à la source d'irrégularités: le financement du love in, l'accélération de l'octroi de la citoyenneté à des immigrants susceptibles de voter «non». Richard Le Hir refuse la thèse du référendum volé. Chaque côté a triché: «J'ai l'impression que ça s'est annulé. De toute façon, on l'aurait emporté par une fraction. Ça aurait été extrêmement difficile à gérer.»
Stéphane Dion, d'accord avec Marois
Dans le camp du Non, un autre destin ne peut être dissocié du référendum de 1995: celui de Stéphane Dion, aujourd'hui redevenu simple député de Saint-Laurent après avoir été à la tête du Parti libéral du Canada. En 1995, Stéphane Dion est était professeur à l'Université de Montréal.
Il s'impose rapidement comme un des rares intellectuels à se «prononcer pour le Non ouvertement». Ceux du camp du Oui, se souvient-il, on acceptait de les interviewer seuls, «moi, il me fallait toujours une contrepartie», a-t-il raconté au Devoir hier. Si bien qu'il se retrouvait fréquemment à affronter des spécialistes de tous les champs — économie, Constitution, histoire. «Il fallait que je documente bien tous les aspects du sujet! Ce fut très exigeant.» Après la campagne, le premier ministre libéral Jean Chrétien lui offre de devenir ministre. Il devient le faucon du plan B. C'est la loi sur la clarté, puis le renvoi devant la Cour suprême.
Pour cette raison, estime Stéphane Dion, depuis quinze ans, il est faux de dire qu'il n'y a rien de réglé, rien de changé. Grâce au nouvel environnement mis en place, «le référendum ne pourrait avoir lieu comme la dernière fois. Si par malheur nous sommes forcés de nous y replonger».
Il trouve absurde et irresponsable de la part du gouvernement du Québec d'avoir «essayé de briser un pays» sur des résultats si serrés qu'ils auraient pu être contestés en raison d'irrégularités ou infirmés par des dépouillements judiciaires. «C'est complètement absurde, il faut s'enlever ça de la tête.»
Aussi, Stéphane Dion (qui a consacré sa thèse de maîtrise au PQ du début des années 70) prend même parti dans le débat actuel au PQ entre les pressés, qui veulent un référendum le plus vite possible et Pauline Marois, qui préfère la formule «au moment jugé approprié». «C'est elle qui a raison, et même, elle devrait être plus claire. Je crois que cette fameuse proposition principale du Parti québécois devrait être: "un gouvernement du Parti québécois tiendra un référendum lorsqu'il aura l'assurance de le gagner clairement".»


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->