BIOÉTHIQUE

Zola, ou le triomphe du Docteur Pascal

Naissance du premier bébé « PMA pour toutes »

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Chronique de Rémi Hugues

     « La révision de la loi de bioéthique, qui a permis aux couples lesbiens, ainsi qu’aux femmes seules, de recourir aux techniques de procréation médicalement assistée (PMA), jusqu’alors réservées aux couples hétérosexuels considérés comme infertiles, a été adoptée le 2 août 2021. Et c’est finalement un peu plus d’une année plus tard, le 27 août, qu’est né, selon nos informations, le premier bébé PMA pour toutes.


Zola, 3,550 kilos et 50,5 centimètres, a vu le jour au CHU de Nantes, où ses mères avaient été suivies par le centre de PMA et où l’une d’elles avait reçu le don de sperme ayant permis la grossesse »1, peut-on lire sur le site lemonde.fr, dans un article du 21 octobre dernier signé Solène Cordier.


Paradoxalement, cet enfant conçu le moins naturellement du monde porte comme prénom le patronyme du fondateur du naturalisme, Émile Zola, qui entendait lancer un mouvement littéraire correspondant à une réalisme poussé à l’extrême, à sa perfection.


 


     Fils d’un ingénieur d’origine italienne qui construisit notamment un barrage près d’Aix-en-Provence, l’écrivain avait pour intention de restituer les dynamiques de la vie sociale tel le biologiste qui décrit minutieusement le fonctionnement d’une fourmilière ou d’une meute de fauves, de la même manière aussi que l’on pourrait expliquer les mécanismes d’une horloge.


Le sous-titre de sa saga les Rougon-Macquart, riche de 20 romans, est ainsi « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire ». L’esprit scientiste s’invitait dans le roman, mis au service de surcroît des nouvelles autorités républicaines qui trouvaient utiles la très nette condamnation du régime précédent qui y développée – règne du fric, de la débauche et des apparences – ; ce qui n’est pas sans rappeler le film Ivan le Terrible de Sergueï Eisenstein (1944), à qui le jeune système soviétique demanda de réaliser artistiquement et à destination du grand public la diabolisation de la Russie tsariste, bien que l’irruption de la « Grande guerre patriotique », comme on appelle là-bas la guerre de 39-45, ralentît considérablement sa sortie.


L’affaire Dreyfus fut pour Zola le point culminant de sa carrière de fidéicommis de la République, avec la rédaction de J’accuse pour le compte de L’Aurore, organe « rad.-soc. » de Georges Clemenceau.


 


     Last but not least, le dernier roman des Rougon-Macquart s’intitule Le Docteur Pascal (1893). C’est l’histoire d’une sulfureuse idylle entre le médecin provençal Pascal Rougon et sa nièce Clotilde – en cela précurseur du controversé Lolita de Vladimir Nabokov (1955) – où est dépeint l’état d’esprit dominant une certaine France du second XIXe siècle, celle du père de Marcel Pagnol.


Ce roman traite effectivement du scientisme, appelé aussi modernisme ou progressisme. Par les progrès de la connaissance permis par la recherche expérimentale, croit le Dr Pascal, l’humanité atteindra un stade de bien-être sans précédent, la maladie sera vaincue, la mort reculée au maximum, la faim éradiquée. Ce n’est pas moins que la restauration de l’Éden qu’il espère, grâce à la Science.


Jadis c’était aux prêtres qu’était dévolu le pouvoir d’ouvrir les portes de paradis. Désormais les savants le détiennent : mais de céleste le paradis est devenu terrestre.


 


     La légalisation de la PMA pour les couples de lesbiennes traduit une vision de l’être humain où il est son propre fondement, ainsi que la fin de toute hétéronomie (loi extérieure qui s’impose à lui).


Ce passage du roman met en évidence que le médecin adhère au matérialisme philosophique (et peut-être aussi l’écrivain) :


« L’homme baignait dans un milieu, la nature, qui irritait perpétuellement par des contacts les terminaisons sensitives des nerfs. De là, la mise en œuvre, non seulement des sens, mais de toutes les surfaces du corps, extérieures et intérieures. Or, c’étaient ces sensations qui en se répercutant dans le cerveau, dans la moelle, dans les centres nerveux, s’y transformaient en tonicité, en mouvements et en idées ; et il avait la conviction que se bien porter consistait dans le train normal de ce travail : recevoir les sensations, les rendre en idées et en mouvements, nourrir la machine humaine par le jeu régulier des organes. Le travail devenait ainsi la grande loi, le régulateur de l’univers vivant. »


Les lignes qui précèdent soulignent que la foi scientiste est inséparable de l’athéisme, même si en réalité les savants les plus célèbres, tels qu’Isaac Newton ou Albert Einstein, croyaient en Dieu.


Considérer que de la matière proviennent les idées revient à évacuer la question de l’origine de la matière. Selon le point de vue traditionnel l’existence de celle-ci résulte d’un influx spirituel, appelé généralement Logos, ou Verbe : « la nature spirituelle donne lʼexistence à des forces spirituelles et la rencontre de celles-ci donne naissance à la matière »2.


À l’opposé, un matérialiste athée comme Karl Marx, disciple de Ludwig Feuerbach, soutenait que notre logos, notre conscience, était une création de la matière : « Les idées ne sont rien d’autre que les choses matérielles transposées et traduites dans la tête des hommes ». La matière est, outre notre corps, notre environnement, desquels sourd la conscience pour soi, c’est-à-dire la subjectivité3.


 


     « Si Dieu n’existait pas, tout serait permis », écrivit Fiodor Dostoïevski. Dans notre monde marqué par le prééminence du matérialisme athée, corollaire de la suprématie de l’esprit scientifique, les limites sont abolies, seule la dynamique électorale décide in fine de ce qui est possible ou pas.


Car les progrès de la connaissance ont été ces dernières décennies si importants qu’aujourd’hui la limite est principalement morale et non technique. Par exemple en ce qui concerne le clonage humain, que nos scientifiques maîtrisent parfaitement, alors que lorsque dans Faust (1832) Goethe imagine l’homonculus, un humain créé à partir d’une opération alchimique, cela relevait du pur mythe. D’où le rôle de Mai 684 : la libération des corps, ou libération sexuelle, consiste en fait en l’affranchissement de toute limite posée par la société traditionnelle.


 


     Nous voici arrivés à l’ère du post-humain, et à voir la joie que suscite parmi beaucoup cette naissance de Zola-le-premier bébé-PMA-pour-toutes nous pouvons doublement dire que nous assistons au triomphe posthume – si l’on peut dire – du Docteur Pascal.


Ceux qui le souhaitent éphémère et se défient du fatalisme porteur de désespoir n’ont plus qu’à – pour résister, pour réagir – aller au-delà de leur appartenance confessionnelle et se constituer en un Parti de la Loi naturelle qui rassemblerait, outre juifs, chrétiens et musulmans, les néo-païens et les agnostiques avec pour visée de faire cesser ces délires que sait trop souvent produire la démesure humaine.


 


NOTES




2Grégoire de Nysse, La création de lʼhomme, Paris, Cerf, 1943, p. 195.




3Dans l’article ci-après, intitulé « Vérité et Matière » j’ai proposé un troisième terme à ce débat idé- alisme/matérialisme : https://vigile.quebec/articles/verite-et-matiere




4Cf. cette émission de webradio où j’ai été invité en mai 2018 : https://www.altcensored.com/watch?v=fsFpmIZEHEY ; et sur le transhumanisme une précédente émission (mars 2018) : https://altcensored.com/watch?v=4xluF5WOOJw



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