Yves Michaud condamné par des « juges » en culottes courtes

Affaire Michaud 2000-2011

Me Jean-C. Hébert, LL. M.
_ Le Journal Barreau du Québec Septembre 2006
En décembre 2000, Yves Michaud comparaissait
devant la Commission des États généraux sur la
situation et l'avenir de la langue française au
Québec. Il traitait de la francisation des
immigrants. Le lendemain, sans préavis,
l'Assemblée nationale adopte une résolution
rédigée dans la rage froide, dénonçant « de façon
claire et unanime les propos inacceptables à
l'égard des communautés ethniques et, en
particulier, à l'égard de la communauté juive,
tenus par Yves Michaud ». Coiffé du bonnet de
l'âne raciste, Yves Michaud tente d'obtenir justice.
Texte en main, il soutient que ses propos furent
frelatés.

Ancien parlementaire, Denis Vaugeois
fit écho
au commentaire suivant de Robert Libman,
directeur du B'nai Brith-Québec : « Depuis le
déclenchement des événements, la parole de
M. Michaud a été déformée de façon incroyable.
Les gens l'accusent de minimiser l'Holocauste,
alors qu'il n'a jamais fait ça. On l'accuse d'être
antisémite. Moi je pense qu'il ne l'est pas (1). » Pour
sa part, l'éditorialiste Bernard Descôteaux croit
que l'affaire Michaud repose sur le reproche
« d'avoir banalisé l'Holocauste alors que ses
propos consistaient à rappeler que le peuple juif
n'était pas le seul à avoir souffert dans l'histoire
de l'humanité (2) ».
Décriant l'abus parlementaire, Yves Michaud
demande réparation à ses contempteurs. Au printemps
2002, le gouvernement annonce son
intention de modifier les règles en vigueur. Reconnaissant que l'Assemblée
nationale n'est pas un tribunal, le ministre André Boisclair propose d'interdire
la présentation d'une résolution de blâme à l'encontre de quiconque n'est pas
député, sauf dans le cas d'atteinte aux droits et privilèges du corps parlementaire.
Il faudrait alors convoquer le fautif. Cette volonté de changer les
règles parlementaires s'est dissoute en fin de session. Depuis lors, les élus se
sont désintéressés de l'affaire.
De guerre lasse, Yves Michaud se tourne vers la
justice. Tant en première instance qu'en appel, il
perd sa cause. Évoquant les privilèges
parlementaires assurant aux assemblées
législatives le contrôle exclusif de leurs débats et
aux députés la liberté de parole, le juge Jean
Bouchard, de la Cour supérieure
, statue que la
Loi constitutionnelle de 1867 empêche les
tribunaux d'examiner l'exercice de ces anciennes
prérogatives sous le prisme de la Loi
constitutionnelle de 1982 (la Charte canadienne).
En juin dernier, la Cour d'appel (3) rejette le pourvoi
de Michaud. Rédactrice de l'opinion longue du
tribunal, la juge Julie Dutil rappelle l'origine et la
raison d'être des privilèges parlementaires. Le
préambule de la Loi constitutionnelle de 1867
intègre dans notre Constitution les mêmes
principes que celle du Royaume-Uni. Or, parmi les
privilèges spécifiques reconnus de longue date aux
assemblées législatives, il y a la liberté de parole, protégée par une immunité judiciaire, et le contrôle exclusif d'une assemblée
parlementaire de ses propres débats.
Selon l'enseignement de la Cour suprême (affaire Vaid (4)), un privilège
parlementaire doit être étroitement et directement lié à l'exécution des
fonctions d'une assemblée législative et délibérante. Cela comprend notamment
la tâche des députés de demander des comptes au gouvernement. Le privilège a
pour objet de refouler toute intervention externe susceptible de saper
l'autonomie dont les députés, réunis en assemblée, ont besoin pour accomplir
leur travail dignement et efficacement.
L'examen judiciaire d'un privilège parlementaire est limité à son existence et à
sa portée - par opposition à son exercice (affaire New Brunswick Broadcasting
Co
. (5)). Dans ce corridor juridique étroit, la Cour d'appel a convenu que le mérite
de la motion de l'Assemblée nationale échappait à son contrôle. « Il
n'appartient pas au tribunal, a fait observer la juge Dutil, de juger ni de
l'opportunité, ni de la justesse, ni de l'à-propos de celle-ci. »
En somme, une Chambre d'élus peut accuser sans préavis, condamner par
défaut et exécuter la peine, sans possibilité d'appel !
Au droit de parole des députés en Chambre s'attache une immunité absolue. Ils
peuvent diffamer les citoyens, faire des procès d'intention et juger quelqu'un ex
parte pour ensuite le fustiger publiquement. En vérité, la réputation et la
dignité d'une personne vont de pair. Règle générale, la liberté de parole
comporte des limites. On ne peut gratuitement piétiner la réputation d'autrui.
Protégé expressément par la Charte québécoise, selon la Cour suprême (affaire
Prud'homme (6)), ce droit participe de la dignité d'une personne, un concept qui
sous-tend tous les droits garantis par la Charte canadienne.
Rien n'empêche le législateur de limiter la portée des privilèges parlementaires.
Valable pour la société civile, un principe devrait prévaloir tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur des assemblées législatives. Avec l'agrément du juge Rochette,
le juge Baudouin a magnifiquement décrit l'étrange paradoxe du droit dans
cette notation :
« Pour préserver la démocratie parlementaire, et
donc la libre circulation des idées, le droit à
l'époque des chartes et de la prédominance des
droits individuels permet qu'un individu soit
condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises,
politiquement correctes ou non, la chose importe
peu), et ce, sans appel et qu'il soit ensuite exécuté
sur la place publique sans, d'une part, avoir eu la
chance de se défendre et, d'autre part, sans même
que les raisons de sa condamnation aient
préalablement été clairement exposées devant ses
juges, les parlementaires. Summun jus summa
injuria
, auraient dit les juristes romains ! »
Rappelons pour mémoire que les élus fédéraux ont sagement prévu (avec la Loi
sur les enquêtes) que, hors de l'enceinte parlementaire, la rédaction d'un
rapport défavorable ne saurait intervenir sans que la personne concernée n'ait
reçu un préavis suffisant de la faute imputée et, surtout, sans avoir eu la
possibilité de se faire entendre. Examinant cette loi, la Cour suprême (affaire
Krever (7)) a convenu qu'une bonne réputation représentant la valeur la plus prisée pour la plupart des gens, il faut
impérativement respecter l'équité procédurale
dans les travaux d'une commission d'enquête.
Devant cette volonté clairement affichée du
législateur fédéral de protéger la réputation des
citoyens à l'extérieur du Parlement, comment les
députés pourraient-ils légitimement, dans le cadre
d'une simple résolution à la Chambre des
communes, piétiner les principes d'équité garantis
par la loi et célébrés par la Cour suprême ? Le
même raisonnement vaut pour l'Assemblée
nationale. Lorsqu'un privilège parlementaire
donne ouverture à une injustice criante, plutôt que
d'agir comme des « juges » en culottes courtes, les
élus devraient plutôt modifier leur code de
procédure. On l'a bien vu dans l'affaire Michaud,
la puissance de juger expose à l'excès.
Vu l'indolence actuelle des parlementaires, la Cour
suprême serait justifiée de moduler la liberté
d'expression (limitée) du citoyen et la liberté de
parole (illimitée) des élus, la seconde flétrissant la première. Les principes
fondamentaux ne sont pas simplement des icônes destinées à une vénération
formelle, mais des ingrédients actifs qui inspirent le mouvement du droit.
Certes, les privilèges parlementaires sont de vieilles idées utiles à notre
démocratie parlementaire. Rien n'empêche toutefois de leur tailler des habits
neufs.
[À la réflexion, l'affaire Michaud semble faite sur mesure pour la plus haute Cour du pays.->www.vigile.net/ds-michaud/index-reparation.html]
1 Le Devoir, 13 juillet 2006, A-7
- 2 Le Devoir, 18 janvier 2005
- 3 2006 QCCA 775
- 4 Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667
- 5 New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse, [1993] 1 R.C.S. 319
- 6 Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663
- 7 (P.G.) c. Canada (Comm. Krever), [1997] 3 R.C.S. 440


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