Vote FN: classes populeuses, classes dangereuses?

Quand la bourgeoisie social-démocrate excommunie les prolos

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Que se passe t-il en France ?

Quelques heures avant le second tour, Michel Houellebecq rappelait croire encore “au vote de classe” et estimait que le clivage droite/gauche n’avait pas été évacué au profit du clivage société ouverte/société fermée, mais s’y superposait. Il précisait d’ailleurs sa pensée, en suggérant que le vote de classe était déterminé par la place occupée par l’électeur dans le rapport de production, pour employer le langage marxiste. Pour cette raison, Houellebecq se voyait, presqu’à regret, assigné dans le camp des élites mondialisées, que l’intérêt (de classe) devrait donc pousser à voter Emmanuel Macron.


Métamorphoses de la lutte des classes


Comme souvent, Houellebecq a eu une stimulante intuition. Les analystes de la vie politique remarquent en effet de façon assez unanime que l’élection présidentielle de 2017 (mais on pourrait remonter à celle de 2002 ou au référendum de 2005) oppose les gagnants de la mondialisation à ses perdants, et pour dire les choses plus simplement, les riches et les pauvres (ou plus précisément ceux qui se trouvent en situation précaire). Mais en entendant ces mots bien au-delà de leur stricte signification financière : il s’agirait tout autant de richesse ou de pauvreté mesurées en termes culturels, éducatifs, économiques, sociaux, sanitaires, environnementaux, etc.




Regardez en intégralité le passage de Michel… par francetvinfo


Si l’on veut bien suivre la grille d’analyse marxiste suggérée par Houellebecq, la société française oppose la bourgeoisie 2.0 à de nouvelles classes dangereuses, ressuscitant les clivages qui furent ceux du milieu du XIXe siècle. Le clivage qui se donne à voir, entre ces deux classes qui s’affrontent dans la compétition électorale, met aux prises ceux qui révolutionnent sans cesse les moyens de production (d’internet à l’ubérisation de la société) et ceux qui en font à divers titres les frais. Ces derniers apparaissent alors comme des conservateurs défendant leurs droits acquis qui croient notamment que l’Etat-nation est le dernier rempart contre l’exclusion  - économique, sociale, culturelle – qui les guette inexorablement. Ce qui est notable, dans cette situation, c’est que la nouvelle classe dominante libérale (qu’on dira pour aller vite social-démocrate, et allant de la deuxième gauche à la droite libérale en passant par le fameux “centre”) défend ses intérêts non plus contre une vieille aristocratie franque accrochée à “l’extase religieuse” (Marx) comme en 1789, mais exclusivement contre une classe sociale prolétarisée, démunie, comme en 1848, et qui perçoit la nouvelle société comme une menace.


Ceci n’est pas sans poser un problème de conscience, notamment à la gauche officielle, du côté du PS et de ses satellites, où l’identité partisane exige de faire perdurer la vieille tradition de la défense des faibles et des opprimés (en réalité, et comme l’a montré Jean-Claude Michéa, il y a bien longtemps que cette gauche a viré sa cutie pour embrasser les sirènes du libéralisme et qu’elle s’est trouvé d’autres damnés de la terre à défendre en la personne des minorités). Dès lors, comment peut-on revendiquer l’histoire du socialisme et la défense des dominés en restant du “mauvais” côté de la lutte des classes (celui des vainqueurs de la mondialisation) ?


Et le FN siphonna le vote ouvrier


La campagne électorale de 2017, plus que toute autre consultation électorale antérieure, répond à ces interrogations. La stratégie du FN – capter le vote ouvrier – est au fond une aubaine pour la gauche de gouvernement, comme pour la droite libérale. On pourrait ajouter, pour faire bonne mesure, que le fait que la gauche ait délaissé cet électorat est également une aubaine pour le FN, sorte de parti vautour, qui est ainsi passé de la stricte extrême-droite traditionnaliste où dominaient les nostalgiques de Vichy et de l’OAS à un parti d’extrême droite populiste, dont les succès électoraux chez les ouvriers, les employés, les chômeurs, les précaires – la France périphérique de Christophe Guilluy – sont avérés.



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Cette stratégie est une aubaine pour la gauche libérale car elle lui permet de justifier moralement et politiquement son abandon de l’électorat populaire : si le FN est un parti fasciste, alors ses électeurs n’auront droit qu’à l’opprobre, à l’infamie, sinon à la haine. Ainsi se reconstituent, à l’instigation même des partis sociaux-démocrates, les nouvelles classes dangereuses : cependant, elles ne sont plus communistes-révolutionnaires, comme en juin 1848 ou encore dans les années 1950, mais d’abord fascistes. Dénoncer le danger fasciste qui monte permet de conserver une position de classe dominante tout en restant irréprochable moralement.


Contre le mal absolu, il faut même enjoindre de façon la plus péremptoire de voter pour le candidat, de droite ou de gauche, faisant barrage au FN. Il devient ainsi possible, en cette circonstance exceptionnelle, de se dispenser des usages et du droit républicains, puisque la sauvegarde du Bien est en jeu : des présidents d’université intiment à leurs usagers comme aux enseignants de voter pour tel candidat, au mépris du principe de neutralité du service public ; des artistes plus ou moins en vue s’autorisent à insulter publiquement, sur le mode scatologique de préférence, Nicolas Dupont-Aignan pour s’être allié au FN, etc. Mais les choses ne s’arrêtent pas là : il convient d’annoncer publiquement son intention de bien voter. Le silence, l’absence (c’est-à-dire l’abstention), la dérobade (le vote blanc), constituent les articles de la nouvelle loi des suspects. Ceux qui n’auront pas affiché leurs louables intentions seront jetés avec l’eau du bain fasciste : ainsi Jean-Luc Mélenchon vite dénoncé, notamment par le parti des médias (selon l’heureuse expression de Brice Couturier) et par une poignée de résistants germanopratins, comme un rouge-brun pour ne pas avoir invité à voter pour Emmanuel Macron entre les deux tours de l’élection. Subiront le même sort tous les supposés idiots utiles du fascisme qui ont préféré aller à la pêche…


Diaboliser? Macron a fait mieux… pour l’instant


La condition de cette possibilité de traitement du FN, de ses électeurs, mais aussi et surtout de tous les autres, tient uniquement dans le fait de pouvoir qualifier le FN de parti fasciste, faisant ainsi appel à la vieille conscience historique de l’anti-fascisme des années 1930. On ne mesurera jamais assez le pouvoir (ah, les ressources du nominalisme !) de nommer, même mal, les choses. Peu importe que des spécialistes avisés de ces questions, qui ne peuvent pas être suspects de sympathie pour le FN (Jean-Yves Camus, Pascal Perrineau, Frédéric Lordon…), expliquent que le FN n’est pas un parti fasciste (même s’il compte dans ses rangs des militants qui le sont) mais un parti d’extrême droite populiste, nationaliste, tribunitien, volontiers xénophobe, et cependant… républicain (rien dans son programme ne permet d’envisager une dissolution en application de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure) . Il se situe certainement plus dans la tradition boulangiste que du côté de Hitler et de Mussolini. Mais rien n’y fait, c’est tellement plus simple : avec le diable et ses suppôts, on ne discute pas, comme l’avait théorisé Jacques Chirac en 2002.


Au moins Emmanuel Macron – peut-être un nouveau Guizot ? – aura-t-il choisi la voie la plus efficace (mais ne s’est-elle pas imposée à lui ?) : celle du débat, donc de l’argument et du combat politique. Les masques n’ayant mis que quelques minutes à tomber, Macron aura réussi ce que des années de diabolisation n’ont pas réussi à faire. Puisse cela servir d’exemple à ceux à qui l’hystérie tient lieu de discours et dont, au fond, le fascisme sert d’oxygène politique. Fascination du fascisme : car si demain le FN disparaissait, nul doute qu’ils s’empresseraient de fantasmer une nouvelle créature facho, nazie même, pour le simple plaisir d’endosser l’habit du Résistant tous les cinq ans, au printemps. Mais il n’aura échappé à personne que les héros sont frelatés. No pasaran!



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