Vendre la peau de l'ours...

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Élections d'octobre 2018 : il ne faut pas compter ni les libéraux ni les péquistes comme battus

Voilà à quoi j’ai pensé en prenant connaissance de « l’exclusivité » de Denis Lessard dans La Presse de ce matin. Vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, cinq mois avant les élections.


Si, effectivement, François Legault est en train de préparer la transition vers un premier gouvernement caquiste, sur la foi de sondages à cinq mois des élections, voilà qui soulèvera de nombreuses questions quant à sa capacité d’analyse de ce qui se passe au Canada et au Québec en période électorale depuis quelques années.


Suffit de s’informer auprès des plus fins connaisseurs de la science de l’enquête politique pour comprendre que les sondages à plusieurs mois des élections se concrétisent rarement.


Pour plusieurs raisons, parmi lesquelles la proportion toujours plus grande d’électeurs indécis ou prêts à changer leur allégeance jusqu’aux derniers moments d’une campagne électorale. Par exemple au fédéral en 2015, en Colombie-Britannique en 2017 et, nous le verrons plus loin, ce qui est en train de se passer en ce moment en Ontario...


Car la campagne électorale est importante, capitale désormais. Et l’histoire des derniers scrutins au Canada et au Québec le montre de façon indiscutable.


Et ce en dépit des tendances qui existent dans les sondages des mois avant ces élections. Les variations statistiques entre les partis sont parfois très surprenantes quand on procède à l’analyse des sondages a posteriori.


La dernière élection fédérale a vu les Libéraux de Justin Trudeau, que l’on donnait pour morts et enterrés depuis des mois, combler un déficit d’appuis assez impressionnant. Tout s’est joué en cours de campagne électorale.


Les sondages ont dû réjouir Thomas Mulcair à cinq mois des élections fédérales. Le NPD a commencé à figurer au sommet des enquêtes politiques pile à cinq mois du scrutin; un sondage EKOS du 19 mai 2015 qui donnait Mulcair légèrement en avance sur les Conservateurs et quatre points devant les Libéraux.


Pendant les semaines qui ont suivi, le NPD a caracolé en tête des sondages. De mai jusqu’à septembre de cette année électorale, le NPD a joui d’avance parfois de plus de dix points. Pensez que Mulcair « a commencé à préparer la transition »?


Non. Car tout s’est joué dans le dernier mois de la campagne électorale. Le NPD a fait une campagne épouvantable (ce qui n’est pas sans rappeler celle du Parti québécois en 2014; le PQ ayant récolté jusqu’à 40% des intentions de vote dans les sondages précampagne avant de s’effondrer) et le NPD a vu son avance s’effondrer. Littéralement.


Entre le 15 septembre et 19 octobre (jour du vote au fédéral en 2015), le NPD a vu ses appuis chuter de 14 points en moyenne. Colossale chute.


Chez nos voisins de l’Ontario, qui sont en campagne électorale présentement, on observe, encore, une variation impressionnante des intentions de vote entre ce qui se passe en campagne et ce que l’on prévoyait il y a plusieurs mois.


Le plus récent Ipsos du 14 mai dernier (réalisé à la suite du second débat des chefs de la campagne électorale en cours) montre une remontée spectaculaire de la cheffe du NPD Andrea Horwath.


À cinq mois des élections, le NPD ontarien vivotait à 20-24% dans les sondages en moyenne, la perspective d’une victoire de la cheffe Horwath paraissait impossible.


Pendant ce temps, les Conservateurs ont dû commencer à « préparer la transition » eux aussi. Ça fait des mois et des mois que les « analystes » annoncent que ce parti formera le prochain gouvernement.


Sauf que ça, c’était AVANT la campagne électorale.


Revenons au récent sondage Ipsos. Celui-ci accorde 35% des intentions de vote au NPD de l’Ontario, soit près de 13 points au-dessus de son score moyen d’il y a deux mois. La progression du NPD se produit exactement au meilleur moment.


Mais surtout, la cheffe du NPD, dont plusieurs doutaient des capacités de se démarquer dans les débats et en campagne électorale, est en train de faire mentir tous les « analystes ». Sa prestation lors des débats télévisés est solide, elle a attaqué le populiste Doug Ford et l’a déstabilisé sur certaines de ses promesses irréalisables.


Dans une élection où la volonté de « changement » des électeurs se chiffre à 75% qui veulent un changement de régime avant tout, Andrea Horwath est en train de fédérer le vote de remplacement du régime. Rien n’est joué, mais le phénomène est intéressant.


Surtout, il devrait servir de caution à ceux qui « préparent la transition de gouvernement » à cinq mois des élections.


À moins que ceux qui vendent la peau de l’ours à si longue échéance soient moins dans l’analyse sérieuse que dans une démarche qui vise à imposer une certaine rhétorique. Celle que la prochaine élection devrait se jouer entre deux partis fédéralistes de droite au Québec.


L’histoire politique récente au Québec et au Canada commanderait plus de retenue et surtout, de ne pas compter aucun des trois partis principaux pour battus.