Université d’Ottawa : le poisson pourrit par la tête

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« La liberté académique, l’auto-censure, le fanatisme idéologique, les abus de pouvoir, la lâcheté, l’opportunisme, le vrai et le faux racisme, l’ultra-susceptibilité, l’aveuglement bureaucratique, le poids de l’argent, le clientélisme, tous ces enjeux et d’autres encore sont en cause ici »


Les livres qui valent vraiment le détour sont rares. En voici un.


Auparavant, une brève mise en contexte.


Vous vous souvenez évidemment de l’affaire Verushka Lieutenant-Duval.


Tempête


Le 23 septembre 2020, lors d’un cours en ligne, la jeune chargée de cours prononce « le mot en N » pour illustrer la notion de resignification subversive : un groupe s’approprie une insulte le visant et la transforme en marqueur de fierté et d’autonomie.


Sur le coup, personne ne réagit. Le soir, une étudiante envoie un courriel à l’enseignante pour dire son malaise.


L’enseignante s’excuse et s’explique, et revient sur l’affaire lors du cours suivant.


Mais l’étudiante diffuse sur Twitter, sans consentement et hors contexte, des extraits du courriel de l’enseignante.


L’affaire devient nucléaire.


L’administration suspend l’enseignante sans établir les faits, prend parti pour les plus extrémistes des militants antiracistes, et s’enfonce dans un déni de justice.


Quelques jours plus tard, 34 professeurs publient une lettre pour appuyer leur jeune collègue.


Ils en mangent toute une, eux aussi.  






Plusieurs de ces 34 profs viennent de publier un livre sur l’affaire et ses ramifications, un passionnant mélange de témoignages, d’analyses et de propositions.


L’ouvrage est trop riche, explore trop de pistes pour qu’une chronique de 500 mots lui rende justice.


Si cette affaire – loin d’être terminée et loin d’être un cas unique – a eu un tel retentissement, c’est qu’elle est porteuse de multiples enjeux et révélatrice de notre époque.








La liberté académique, l’auto-censure, le fanatisme idéologique, les abus de pouvoir, la lâcheté, l’opportunisme, le vrai et le faux racisme, l’ultra-susceptibilité, l’aveuglement bureaucratique, le poids de l’argent, le clientélisme, tous ces enjeux et d’autres encore sont en cause ici.


À mon humble avis, deux fils rouges traversent l’ouvrage.


Le premier est l’incroyable mélange d’incompétence, de lâcheté, d’opportunisme et de fanatisme borné avec lequel le recteur Jacques Frémont et sa garde rapprochée agirent dès le début et jusqu’à aujourd’hui.


Cela tient lieu d’avertissement : quand une ligne idéologique convaincue d’avoir raison s’installe au pouvoir, elle peut broyer des êtres humains sans le moindre état d’âme et avec le sentiment satisfait de faire le bien.


Le second fil rouge est aussi un avertissement : nous avons oublié la mission fondamentale des universités et c’est toute la société qui en paie le prix.


Cette mission ne se limite pas à former des travailleurs ou à réparer des injustices. Les universités servent à cela, mais ne doivent pas servir qu’à cela.


Émotions


Sa mission fondamentale est de produire et de transmettre des connaissances.


Cela nécessite trois conditions énoncées jadis par Raymond Aron et rappelées dans la brillante préface d’Yves Gingras : pas de restriction dans la recherche, pas de restriction dans la discussion et pas de restriction au droit de déplaire.


Mais cela devient de plus en plus difficile quand des jeunes donnent toujours raison à leurs émotions et divisent le monde en bons et méchants.


Le poisson pourrit par la tête, et les institutions aussi, rappelle Yves Gingras.











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