À grands coups de dizaines de milliers de commentaires reçus, de sorties publiques d’ex-premiers ministres péquistes et de poitrines féminines dévêtues, le gouvernement Marois semble ébranlé dans son intention initiale de maintenir en place le crucifix de l’Assemblée nationale. Dans sa réflexion, le ministre Drainville devrait aussi tenir compte du fait que ce supposé « patrimoine » qu’est la présence religieuse au Parlement québécois est en fait un héritage profondément britannique et monarchiste.
En effet, en décembre 1982, Maurice Pellerin a publié une étude très fouillée intitulée « La lecture des prières au Parlement » dans le Bulletin de la bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec, là où il était agent de recherche à la division de la reconstitution des débats. Pellerin identifie l’origine de la prière aux Parlements du Québec et du Canada comme remontant à une coutume britannique datant du règne d’Elizabeth 1re (1558-1603). À l’époque et jusqu’en 1659, les députés anglais sont obligatoirement tenus d’assister, sous peine d’amende, à la récitation de la prière d’ouverture de chaque séance. On y demande notamment à « Dieu tout puissant » de maintenir « la sécurité, l’honneur et le bonheur de la Reine ». À la Chambre des lords, la prière fait aussi partie de la tradition parlementaire. Alors que, de nos jours, les débats à la Chambre de communes de Londres sont encore et toujours précédés d’une prière, cette pratique n’a jamais existé dans d’autres pays chrétiens d’Europe, comme la France ou la Belgique.
Dès le début du parlementarisme canadien, ce sont les conseils législatifs – des sénats provinciaux dont les membres sont nommés par Londres – qui emboîtent le pas à cette coutume britannique. La très longue prière de l’époque demande à Dieu « d’accorder telle sagesse et intégrité de cœur qui conviennent (…) aux sujet d’un roi bienfaisant (…) de nous faire la grâce que chacun de nous puisse travailler à montrer (…) un cœur loyal à notre roi et un amour chrétien (…) au bonheur commun de l’Empire britannique ». Alors que les Conseils législatifs, majoritairement anglophones et protestants, récitent pieusement ces prières à forte teneur loyaliste, jamais depuis 1792 la majoritairement francophone Chambre d’Assemblée du Bas-Canada (ancêtre du Québec) ne récite de prière. Notons également qu’il n’y a alors pas de crucifix au parlement du Bas-Canada. Jusqu’en 1831, les députés de la Chambre d’Assemblée du Haut-Canada (l’Ontario d’aujourd’hui) récitent aussi la même prière que les sénateurs. Par conséquent, dès les débuts du parlementarisme canadien, un net clivage linguistique caractérise la récitation de la prière aux parlements.
En 1877, Sir John A. McDonald fait adopter une motion instituant la lecture quotidienne de la prière aux députés de la Chambre des communes, afin que cesse l’exception que constitue le Parlement canadien à cet égard, parmi toutes les législatures de pays anglophones qu’il connaît. La prière des Communes est plus royaliste que jamais : « O Seigneur (…) nous Vous supplions de fond de nos cœurs de regarder avec faveur notre très gracieuse Dame Souveraine, la Reine Victoria, et de la remplir tellement de la grâce de Votre Saint-Esprit qu’elle fasse toujours Votre volonté et qu’elle marche dans vos voies; donnez-lui la santé et le bonheur d’une longue vie; fortifiez-la afin qu’elle triomphe de ton ses ennemis, et finalement après cette vie, qu’elle jouisse de la joie et de la félicité éternelle (…) Dieu tout puissant, (…) nous Vous prions humblement de bénir Albert-Édouard, Prince de Galles, la Princesse de Galles et toute la famille royale; remplissez-les de Votre Saint-Esprit, enrichissez-les de votre grâce céleste; favorisez-les de tout le bonheur possible, et introduisez-les dans votre royaume éternel (…) ». La prière toujours récitée au Parlement d’Ottawa en 2013 maintient une certaine teneur monarchiste : « Nous te prions pour notre Souveraine, la Reine Elizabeth, et le Gouverneur général. »
À l’Assemblée législative de Québec, ce n’est que le 6 décembre 1922 que le député libéral de Saint-Maurice, Nestor Picard, fait adopter une motion afin que chaque séance débute par la lecture d’une prière « comme cela se fait (…) dans toutes les législatures britanniques ». Quant au crucifix du Salon bleu, il n’y est apparu qu’en 1936, à l’initiative du Premier ministre Maurice Duplessis, chef du premier gouvernement québécois d’obédience conservatrice depuis 1897. C'est le Parti québécois qui a mis fin à la tradition de la prière d'ouverture de séance à l'Assemblée nationale. Le changement avait été fait en 1973, mais la pratique de la prière a été maintenue jusqu'au 15 décembre 1976, où le président Clément Richard avait demandé pour la première fois un moment de recueillement. Scandalisé, le chef créditiste Camil Samson avait alors protesté et déposé une motion réclamant le retour de la prière. « On n'est pas des païens, on n'a pas honte d'afficher notre foi et je pense que l'Assemblée nationale est l'endroit où nous nous devons, en tout premier lieu, de donner le bon exemple! », proteste-t-il. Le 8 juin 1977, ladite motion fait l'objet d’un vote libre et est battue: 37 péquistes votent contre alors que 31 députés — 22 libéraux, un unioniste, 7 créditistes et un péquiste — l’appuient. Dix députés s’abstiennent : neuf péquistes et un libéral. Notons que c’est aussi René Lévesque qui, le premier, a autorisé ses ministres qui le souhaitaient à prêter serment sur leur honneur et non sur la Bible. Quant au crucifix du Salon rouge, il a été retiré sans psychodrame en 1984, toujours sous le PQ.
De longue date, les souverainistes ont rejeté la définition ethnique canadienne-française dans laquelle Ottawa cherche encore à enfermer les Québécois francophones, compliquant d’autant l’intégration des immigrants du Québec à la majorité. De toute évidence, le maintien de symboles catholiques « canadiens-français » au sein de nos institutions démocratiques ne fait pas partie de la solution. Et si le ministre Drainville veut tant protéger nos racines, doit-il se référer aux 77 dernières années de présence du crucifix au Salon bleu ou aux 144 années précédentes où il n’y en eut pas? Manifestement, de la bouche d’un francophone – souverainiste de surcroît – l’argument de la « tradition » ne tient pas la route.
Christian Gagnon
Montréal
La religion au parlement
Une tradition britannique et monarchiste
Dehors, le crucfix!
Tribune libre
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CHRISTIAN GAGNON, ing.
_ L’auteur a été président régional du Parti Québécois de Montréal-Centre d’octobre 2002 à décembre 2005
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8 commentaires
Archives de Vigile Répondre
13 octobre 2013@ M. Gagnon, ou est la cohérence laïque quand nous ingurgitons de la nourriture religieuses au quotidien, mais que nous voulons enlever devant nos yeux des symboles religieux?
La différence entre un crucifix inerte, qui n'asservi plus personne et qui ne sert pas a faire nos lois, par contre manger religieux sans notre consentement nous asservi au quotidien, malgré nos libertés de choisir et sans notre consentement.
Christian Gagnon Répondre
13 octobre 2013@ Yvan et Lison "anonymes":
Je suis en faveur de l'interdiction du port des signes religieux ostentatoires pour l'ensemble de la fonction publique et parapublique. Il n'est donc pas question de "bien-pensants multiculturalistes" souhaitant la "bienvenue au voile islamiste". Il est plutôt question de laïcité et de cohérence, tout simplement.
Christian Gagnon
Gabriel Proulx Répondre
12 octobre 2013@Yvan
L'auteur du texte nous présente un exposé historique démontrant clairement que la religion dans les parlements est une tradition d'origine anglo-saxonne et monarchiste (nos véritables ennemis assimilateurs de notre culture, plus que les femmes voilées intégristes ne pourraient jamais en rêver).
Vous lui « répondez » en parlant, justement, de voile islamiste et de QS, sans aucun rapport avec le sujet de ce débat, qui n'a même pas encore commencé ici, faute d'argumentaire le moindrement sérieux contre les propos de M. Gagnon. À la place, on a des commentaires qui ne font que se moquer de l'auteur, ou qui changent complètement de sujet.
Cher anonyme Yvan, pourquoi intervenez-vous ici, si ce n'est que pour cracher sur la gauche et son imaginaire alliance avec les intégristes islamistes, même si le sujet principal de l'article n'a rien à voir avec la gauche ou les femmes musulmanes un peu trop pratiquantes ?
Les seuls ici que je vois du côté de l'intégrisme religieux, c'est ceux qui sont prêts à démolir la cause de l'indépendance au nom de leur sacro-saint crucifix catholique, symbole du régime fasciste de Maurice Duplessis. Ceux qui ont connu l'époque Duplessis et qui sont aujourd'hui à la retraite et à un âge fort avancé, forment la génération de francophones la plus solidement acquise aux libéraux fédéralistes.
Votre Parti conservateur du Québec élargi, attendez au moins l'indépendance et l'éclatement subséquent du PQ pour représenter ses idées avec un fanatisme qui révulse les progressistes. Vous aiderez mieux la cause en rongeant votre frein, comme la majorité des membres progressistes du PQ qui ne demandent qu'à atteindre l'objectif final, l'indépendance, pour pouvoir enfin passer à autre chose de leur vivant.
Nous au Parti communiste du Québec, nous appelons depuis des années à faire des alliances électorales pour atteindre l'indépendance au plus vite. Pour notre position de rejet du voile islamiste, allez voir sur notre site avant d'écrire n'importe quoi, comme les conservateurs le font d'habitude.
-Gabriel Proulx, Saint-Eustache, PCQ
Archives de Vigile Répondre
12 octobre 2013@Yvan
Très bon commentaire et tout a fait d'accord avec vous.
En plus, je rajoute que pour nos bien pensants MULTICULTURALISTES, accepter et se soumettre a la nourriture religieuse dans nos assiettes est surement pour eux aussi un GRAND PROGRET d'avancement pour notre société.
Pour nos MULTICULTURALISTES, la Charte des Valeurs Québécoises est dangereuse, cependant manger religieux, ils passent cela sous silence, pas un mot ne sort de leurs bouches, car il n'y a rien de dangereux, cela va nous faire un GRAND BIEN comme société de financer le terrorisme islamique planétaire, nos MULTICULTURALISTES appelle cela de la coopération humanitaire.
Quelle aberration; un crucifix que nous n'aurions jamais entendu parler s'il n'y avait pas eu cette immigration massive et désordonnée.
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
12 octobre 2013L'auteur conclut:" Manifestement, de la bouche d’un francophone – souverainiste de surcroît – l’argument de la « tradition » ne tient pas la route."
Or, le prétexte initial de cette position du ministre était que la majorité des Québécois y tenaient.
Et en bout de route, s'il veut jouer très "nationaliste" en réponse aux enragés d'équité, du donnant donnant en échange du foulard propagandiste, nous pourrions l'applaudir dans l'argument ferme du "maîtres chez-soi", comme société d'accueil: "Voilà comment est décorée la maison que nous avons construite, vous êtes les bienvenus si elle vous plaît"
Archives de Vigile Répondre
12 octobre 2013Je le sais monsieur Gagnon que pour avoir l’air progressiste et pseudo moderne qu’il faut au Québec voscifiérer dehors le crucifix et dire bienvenue au voile islamiste dans la fonction publique.
Car voyez vous pour les somnembules abscent de corps et d’esprit du Québec depuis 50 ans vosciférer dehors le crucifix et dire bienvenue au voile islamiste c’est supposé faire enter le Québec de plein pied dans la modernité et la tolérance.
le voile islamiste et les femmes voilés dans la fonction publique ..tout un progrès et vraiment un très grand signe de modernisme a comparer au crucifix inerte de l'Assemblée Nationale
C’est seulement que ces pseudos intellos qui hurlent dehors le crucifix ont du être abscent du Québec depuis très longtemps pour ne pas s’être encore rendu compte que le Québec est entrer et vit depuis des décennies dans la modernité et de surcroit avec le crucifix dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale qui n’as jamais empêcher le Québec d’entrer dans la modernité ce qui les contrarient d’autant plus que dans tout les sondages les québécois veulent le garder.
Mois je dit plutot dehors le voile islamiste dans la fonction publique pour continuer a vivre dans la modernité.
Le symbole religieux porte étendard par excellence de la doctrine politico religieuse de l’islam que Qs veut voir à tout les niveaux dans la fonction publique et qui est imposé aux femmes par l’islam ...c'est loin d’être de la modernité et encore moins de la tolérance.
Puis selon vous pour nous convaincre la prière serait plutot une tradition britannique..alors pourriez vous nous dire de quel tradition québécoise il s’agit a propos du voile islamiste que nous devrions autorizer dans les institutions d'enseignements et la fonction publique du Québec.
Quel en est la source historique pour notre nation ..a part les bobos multiculturalistes vendeurs de salades imprégner qu'ils sont de la doctrine multiculturaliste trudeauiste des années 60 qui nie l'existence du peuple Québécois et ne considère les Québécois tout au plus comme une ethnie quelconque au sein du Canada
Je répond aussi a ceux qui nous parle du crucifix pour le mettre en parrallèle avec la prétendu grande noirceur du méchant Duplessis ,dites vous bien que ce sont les libéraux d’Adélard Godbout qui s'opposait a l'électrifications rurale et que c’est Duplessis qui as mener a bien cet ambitieux programme de modernisme qui as sorti le monde agricole de la gande noirceur,la vraie grande noirceur celle la et qui a permis au monde agricole de faire un pas de géant dans la modernité et le progrès pourtant avec le crucifix sur le mur de l'Assemblée Nationale ce qui contredit l'affirmation de ceux qui radotent que le crucifix nous aurait empêcher comme nation d'entrer dans la modernité ...n’en déplaise aussi a tout ceux qui croit encore que le Québec est venu au monde instantanément en 1960 et qu’avant c’était le néant de la grande noirceur totale partout au Québec ou a les entendrent il n’y avait aucun progrès et aucune avancée scientifique.
@ Richard Le Hir Répondre
12 octobre 2013M. Gagnon,
Je vous suggère en toute cohérence de changer de prénom.
Richard Le Hir
Archives de Vigile Répondre
11 octobre 2013M. Gagnon,
Les Canadiens-Français forment une ethnie. Ce n'est pas une invention du fédéral.
De plus, ils descendent d'une poignée de Français venus s'installer en Nouvelle-France. Donc, il s'agit même d'une ethnie presque de cousinage.
J'ai déjà expliqué que n'eut-été du fait qu'au cours des trente dernières années, c'est dans les classes socio-économiques les plus défavorisées du Québec qu'il y a eu le moins d'enfants, on aurait eu moins besoin de l'immigration si ces gens avaient eu les moyens de se reproduire.
Peut-être avez-vous raison pour le point de vue de la prière comme tradition britannique. Sauf qu'il faut bien admettre que la religion catholique a eu un rôle dans l'histoire du Québec depuis les missionnaires Jésuites et Récollets qui y sont venus au début de la colonie française jusqu'aux religieuses Ursulines qui ont tenu les écoles et les hôpitaux.