Une supériorité désastreuse

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012




Sylvain Aubé - Avocat, l'auteur a été président de l'Association générale des étudiants du collège Édouard-Montpetit (AGECEM) en 2003-2004.

Pour plusieurs Québécois, l'organisation nationale des associations étudiantes est confuse. On entend parler de nombreux votes de grève et on voit toutes sortes de manifestations et de coups d'éclat, mais il est souvent difficile de discerner les acteurs à l'oeuvre.
Les porte-parole de la CLASSE et des fédérations étudiantes alternent au micro sans que leurs rapports ne soient clairement exposés. Pourtant, ces rapports constituent une donnée cruciale dans le bras de fer auquel s'adonnent les étudiants et le gouvernement.
Les étudiants sont, depuis de nombreuses années, séparés en deux camps bien définis: les modérés et les radicaux. Les modérés sont représentés par la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), alors que les radicaux sont ligués sous la bannière de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ).
Chaque cégep et chaque département ou programme universitaire est représenté par une association locale; chaque association locale choisit si elle s'affilie à la FECQ/FEUQ, à l'ASSÉ ou reste indépendante.
Les affiliations et désaffiliations des associations locales constituent l'objet de luttes vigoureuses entre les grandes organisations étudiantes qui ne sont pas sans rappeler les maraudages syndicaux.
Historiquement, ce sont les fédérations étudiantes qui ont dominé le mouvement étudiant. Les militants de l'ASSÉ sont plus zélés - ils déclenchent des grèves répétées toujours plus hâtives -, mais leur influence a généralement été limitée. Les fédérations étudiantes, par contraste, sont plus lentes et plus prudentes dans leurs moyens de pression, mais, quand elles s'y mettent, font flancher le gouvernement.
Ainsi, les grands mouvements de résistance étudiante ont été déclenchés par l'ASSÉ pour être avalés par la FECQ/FEUQ et devenir de véritables mouvements nationaux.
Le dernier exemple: la grève contre les compressions de 103 millions dans le programme de prêts et bourses en 2005. L'ASSÉ avait initié un mouvement de grève générale illimitée qui, lorsque les fédérations étudiantes lui ont emboité le pas, a finalement entraîné des milliers d'étudiants dans les rues. À la suite de négociations avec la FECQ/FEUQ, le gouvernement a accepté de rétablir le statu quo en réinvestissant les millions manquants de façon non rétroactive. Les fédérations étudiantes ont consenti à ce compromis alors que la CASSÉE, la coalition ponctuelle de l'ASSÉ pour cette grève, l'a dénoncé comme une trahison de la cause étudiante.
Aujourd'hui, la situation est bien différente. L'ASSÉ semble avoir pris le dessus du mouvement étudiant avec sa nouvelle coalition ponctuelle: la CLASSE. Bien que la grève de 2012 paraisse similaire à celle de 2005 pour ce qui est de son ampleur, la prééminence médiatique de l'ASSÉ fait en sorte que la position étudiante est teintée par son idéologie anticapitaliste et révolutionnaire.
Ainsi, lorsque la porte-parole de la CLASSE s'est fait questionner la semaine dernière au sujet des sondages défavorables à la position étudiante, elle a affirmé compter sur un rapport de force fondé, entre autres, sur des perturbations économiques plutôt que sur les sondages d'opinion populaire. Par contraste, le président de la FECQ s'est montré soucieux de l'opinion populaire et a formulé des arguments afin de rallier la majorité à la cause étudiante.
Il est véritablement tragique que les fédérations étudiantes, héritières d'une tradition de militantisme rassembleur et démocratique, soient présentement éclipsées par le militantisme violent et séditieux de l'ASSÉ.
D'un côté, la population est beaucoup moins susceptible de se rallier à une position étudiante dont l'idéologie est radicale et intransigeante. Là où les fédérations étudiantes réussissaient jadis à conquérir l'opinion populaire, l'ASSÉ galvanise ses militants révolutionnaires en s'aliénant la majorité silencieuse.
D'un autre côté, le gouvernement refuse et refusera toujours de négocier avec l'ASSÉ. S'asseoir à la table de négociation avec des interlocuteurs qui s'interdisent de reconsidérer leur idéal de gratuité scolaire et qui souhaitent ouvertement renverser l'ordre établi ne peut qu'affaiblir la crédibilité du gouvernement sans procurer d'opportunité pour faire avancer les choses.
Il s'agit du premier grand mouvement étudiant mené par l'ASSÉ, et il s'agira peut-être de la première grande défaite étudiante depuis de nombreuses années. Si l'ensemble des étudiants prend conscience de l'inefficacité et de l'irresponsabilité du militantisme de l'ASSÉ et se rallie promptement derrière les fédérations étudiantes, on pourra espérer un réalignement de toute cette conjoncture défavorable et une victoire étudiante au final.
Si l'ASSÉ maintient sa supériorité au sein du mouvement étudiant, il y a matière à craindre que l'on se dirige vers une première annulation de l'année académique - désastreuse pour tous les acteurs sociaux - sans pour autant procurer quelque gain que ce soit pour la cause étudiante.


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