Une firme au passé trouble

Corruption politique

Michèle Ouimet - Le président de la firme de sécurité privée qui surveille le quartier général de la police à Montréal a de nombreuses poursuites civiles et pénales sur le dos. Il a aussi fait faillite deux fois. Hier, c'est son entreprise qui s'est placée sous la protection de la Loi sur la faillite.
L'homme s'appelle Luigi Coretti. Sa firme, le Bureau canadien d'investigations et d'ajustements (B.C.I.A.), offre des services de sécurité dans plusieurs organismes publics, comme la Société d'assurance automobile, l'Agence métropolitaine des transports, la Commission scolaire de Montréal, l'arrondissement de Saint-Léonard, la station d'épuration des eaux usées de la Ville de Montréal.

B.C.I.A. a connu une croissance phénoménale depuis sa fondation en 1998. Elle emploie 1013 employés au Québec et en Ontario.
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a accordé à B.C.I.A. non seulement le contrat de surveillance de son quartier général, rue Saint-Urbain, mais aussi celui de son centre de communications, sur le boulevard Saint-Joseph, un endroit stratégique qui regroupe des «équipements informatiques vitaux». B.C.I.A. est également à la cour municipale, au 750, rue de Bonsecours. Un agent accueille et escorte les détenus.
Le service des affaires internes de la police a enquêté sur M. Coretti avant de lui attribuer le contrat. «Il n'y a rien qui nous empêchait de donner le contrat à B.C.I.A.», affirme Alain Legault, chef de cabinet du patron de la police, Yvan Delorme.
Un président d'entreprise qui a de nombreuses poursuites contre lui et deux faillites à son actif peut-il surveiller le quartier général de la police ainsi que son centre informatique?
M. Delorme n'a pas voulu répondre à nos questions.
De nombreuses poursuites
La liste des poursuites est longue. M. Coretti est poursuivi par sept ex-employés et par le Comité paritaire des agents de sécurité (huit poursuites et une demande d'injonction auxquelles s'ajoutent 12 poursuites civiles pour des congés de maladie, des jours fériés et des heures supplémentaires non payés).
Ce n'est pas la première fois que M. Coretti se retrouve devant les tribunaux. En 1997, la Commission des normes du travail l'a poursuivi au nom de sept employés pour salaires et congés annuels non payés, alors qu'il était l'administrateur de deux sociétés, les Vêtements Wonderland et 3 279 138 Canada inc.
L'affaire s'est terminée en 2000 par une entente à l'amiable.
Sans oublier ses deux faillites, de 25 000$ en 1990 et de 400 000$ en 1997.
«M. Coretti a déjà fait faillite en 1990 et n'a été libéré qu'en 1997, peut-on lire dans le rapport du syndic déposé en Cour supérieure. Durant la période de sa faillite, il a encouru des dettes et il ne s'est pas présenté à l'assemblée des créanciers tel que requis par la loi.»
M. Coretti a refusé de parler à La Presse. Il a envoyé deux mises en demeure. C'est l'ancien journaliste de Radio-Canada Alexandre Dumas qui s'occupe de ses relations avec les médias.
Un employeur délinquant
Les conditions de travail des agents de sécurité sont régies par un décret. Le comité paritaire des agents de sécurité est le chien de garde du décret.
De 2005 à 2008, le Comité paritaire a envoyé 89 lettres à Luigi Coretti lui demandant de respecter le décret, sans oublier de nombreuses visites d'inspecteurs. B.C.I.A. a été condamnée à payer des amendes.
En 2008, le Comité paritaire a finalement décidé de demander une injonction. «C'est le seul remède approprié pour forcer les défendeurs (M. Coretti et B.C.I.A.) à respecter la loi», peut-on lire dans la requête déposée en cour.
L'injonction n'a jamais été ordonnée. Les deux parties négocient. La majorité des dossiers sont en train de se régler.
Sept ex-employés poursuivent aussi B.C.I.A. La cause n'est toujours pas réglée. Parmi eux figurent quatre policiers à la retraite du SPVM.
Luigi Coretti a d'abord embauché Antoine Bastien, ex-lieutenant-détective aux homicides à la police de Montréal. Ce sont deux policiers cadres du SPVM, Jimmy Cacchione et Giovanni Diféo, qui ont présenté Luigi Coretti à M. Bastien. Ce dernier travaillait depuis une trentaine d'années dans la police et il songeait à la retraite.
Il a rencontré Luigi Coretti à quelques reprises avant de prendre sa retraite et de se joindre à B.C.I.A. comme directeur des enquêtes.
Est-ce normal que deux cadres du SPVM, MM. Cacchione et Diféo, travaillent comme démarcheurs pour Luigi Coretti?
MM. Cacchione et Diféo n'ont pas voulu accorder d'entrevue.
Enquête du vérificateur
Des délais administratifs troublants entourent l'attribution du contrat de surveillance de la police à B.C.I.A. Le vérificateur général de la Ville, Jacques Bergeron, a d'ailleurs déclenché une enquête.
C'est le service des immeubles de la Ville de Montréal qui a piloté le dossier.
En 2003, la Ville a accordé le contrat de surveillance à la firme Sécurité Unique. Un contrat de quatre ans d'une valeur totale de 2,3 millions. En 2006, Sécurité Unique a vendu certains actifs à B.C.I.A., dont son contrat avec le SPVM.
Le contrat se terminait en décembre 2007. La Ville a décidé de le prolonger d'un an, jusqu'en décembre 2008. Elle avait donc amplement le temps de préparer un nouvel appel d'offres pour couvrir les années 2009-2010.
Sauf que l'appel d'offres a été lancé avec beaucoup de retard, en avril 2009, et le contrat n'a été accordé que cinq mois plus tard, en septembre. Et ce n'est pas B.C.I.A. qui l'a obtenu, mais un concurrent, la firme Cartier, le plus bas soumissionnaire.
Pourtant, B.C.I.A. a continué le travail de surveillance. Cartier s'est finalement désistée. En décembre 2009, elle s'est placée sous la protection de la Loi sur la faillite. En janvier, Garda l'a achetée.
Aujourd'hui, c'est toujours B.C.I.A. qui surveille les immeubles de la police. C'était le soumissionnaire le plus bas après Cartier. Le comité exécutif de la Ville n'a toujours pas approuvé le contrat, ce qui est contraire aux règles.
«Il y a eu quelques cafouillages, admet le chef de cabinet du chef de police, Alain Legault. Il y a eu beaucoup de questions. On se serait cru dans un téléroman, ça n'a pas de bon sens... Mais ça s'explique.»
Un donateur du Parti libéral
B.C.I.A. a reçu des millions provenant des FIER, les fonds de développement économique en région. C'est le député de l'ADQ, François Bonnardel, qui a dénoncé l'argent reçu par Luigi Coretti, important donateur du Parti libéral du Québec.
«Depuis 2004, affirme Bonnardel, Coretti a versé 7900$ à la caisse du parti.»
Ironiquement, B.C.I.A. a travaillé pour l'ADQ en 2007-2008. Elle a vérifié les antécédents criminels et le statut de bonne réputation d'une centaine de candidats et collaborateurs du parti.


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