Une camomille, M. Bouchard?

Laïcité — débat québécois

Ce soir, au Téléjournal, Gérard Bouchard a fait des déclarations, disons, plutôt étonnantes.
Du moins, dans la mesure où, après tout, ces questions se discutent et se débattent ailleurs sur cette planète sans pour autant que l'on sorte l'épouvantail de la «désobéissance civile» et des «traités internationaux».
Et cela dit, en tout respect pour M. Bouchard. (Puisqu'au Québec, il est habituellement préférable de spécifier qu'un différend au niveau des idées ne constitue PAS une attaque contre la PERSONNE qui les émet... Un autre trait spécifique à notre «société distincte»...)
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2010/03/17/006-bouchard-pq.shtml
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Avant de jeter un coup d'oeil sur ses propos, force est tout de même de constater que s'il «critique le PQ», dans les faits, il s'inscrit tout autant en faux - et c'est bien son droit -, contre la [«Déclaration pour un Québec laïque et pluraliste»->26291], parue dans Le Devoir du 16 mars, et instiguée par deux intellectuels respectés: Guy Rocher et Daniel Baril.
(En passant, pourquoi , a-t-on senti le besoin de spécifier qu'il est un souverainiste «affiché»? Ne peut-on plus, au Québec, s'exprimer sur une question politique controversée sans que l'étiquette «souverainiste» soit apposée sur un front, comme pour dire: Regardez! Même un souverainiste «affiché» pense ceci ou cela et ce, de surcroît, par opposé au PQ? Primo: être «souverainiste» ne veut pas nécessairement dire être «péquiste». Secundo: à quand le même étiquetage dès qu'un intellectuel fédéraliste s'exprime ou écrit sur une question politique délicate?...
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Bon... Revenons à M. Bouchard.
Donc, au Téléjournal, Gérard Bouchard dénonce toute proposition visant à «interdire le port des signes religieux dans l'ensemble de la fonction publique»
La journaliste présente le topo en rapportant que M. Bouchard a affirmé qu'une telle «loi» serait «ingérable, irréaliste, scandaleuse, qu'elle mènerait à la désobéissance civile, qu'elle ferait sauter l'ordre social et que, finalement, le Québec serait montré du doigt partout à l'étranger»...
Ouf... Une petite camomille avec ça, Monsieur Bouchard?
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M. Bouchard d'avancer cette hypothèse: «C'est les Américains qui diraient à côté, là, eh!, qu'est-ce qui vous prend là, vous autres là, les petits minables, là?» (verbatim...)
Et d'ajouter: «Il y aurait de la désobéissance civile, madame. De la désobéissance civile. Le Québec se retrouverait avec une crise énorme à l'intérieur. En plus d'un problème considérable à l'échelle internationale.»
Pourtant, on peut facilement imaginer que la «communauté internationale» a bien d'autres chats nettement plus dangereux à fouetter que celui-là. ..
D'autant plus que le sujet en question, décliné sous diverses formes, est également débattu dans d'autres contrées de ce monde, en Occident, de même qu'au Proche et au Moyen Orient.
Ici, on croirait presque entendre le même argument d'une supposée réprobation «internationale», qui fut longtemps servi ici contre le principe même de la Loi 101....
Un peu plus, et on nous dirait que si le Québec devait un jour interdire le port de signes religieux dans la fonction publique par souci d'établir la laïcité de l'État et de ses agents, qu'on ne pourrait plus, collectivement, se «regarder dans le miroir»...
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Et Gérard Bouchard de prédire également ceci:
«On aurait tous les tribunaux à dos. Puis, pas seulement la Cour suprême, là. À commencer par nos tribunaux à nous. Notre Charte. Tous les traités internationaux. Le Québec serait pointé du doigt partout.»
Encore une fois, on croirait entendre les mêmes arguments autrefois et encore utilisés par certains contre la Loi 101 elle-même et/ou son renforcement.
Et pour ce qui serait de «nos» tribunaux «à nous» et «notre Charte», est-il encore besoin de rappeler que, de toute façon, «notre» charte des droits est dans les faits soumise à la Constitution canadienne?
On peut approuver ou désapprouver la chose, mais on ne peut nier ce simple fait.
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Mais le Parti Québécois, du moins en se basant sur ce qu'on rapportait des propos de Louise Beaudoin, interviewée dans le même topo, semble également un tant soit peu confus.
Ainsi, pour reprendre les termes de la journaliste rapportant les propos de Mme Beaudoin: le crucifix devrait rester au «Salon bleu et les députés qui portent la kippa lors de leur assermentation est aussi acceptable, mais l'employé de l'État ne devrait porter aucun signe religieux».
Si tel était bien son propos: une autre petite camomille avec ça?
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Bref, à en juger par la rhétorique un brin catastrophiste de M. Bouchard; la position d'apparence un tant soit peu confuse de Mme Beaudoin; les décisions souvent incohérentes de la Commission des droits de la personne; les jugements à géométrie variable de la Cour suprême; l'inaction du gouvernement Charest et, en réaction à cette inaction, la multiplication du syndrome du «moi, personnellement, je crois qu'on devrait faire ceci ou cela», il est ÉVIDENT que le VRAI débat sur ces questions reste encore à faire au Québec.
Comme ailleurs...
Surtout qu'ici, la société québécoise semble être en manque d'un gouvernement capable d'exercer un leadership politique éclairé, informé et déterminé à agir avec sagesse pour le bien commun.
Vaste programme, en effet...
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Et pourtant. Et pourtant...
Le 3 mars dernier, à l'Université McGill, M. Bouchard se sentait nettement moins «accommodant» ou impressionné par la «réaction» des tribunaux. Et je le cite:

«It is often said that Quebec values are threatened by the Canadian Supreme Court because this court operates in accordance with the Canadian multiculturalism. In keeping with the article 27 of the Canadian Charter of Rights. I have something to say about that. If it ever comes to a point where the Supreme Court of Canada, through its judgements, repeatedly and almost systematically violates and imperils the most fundamental values of Québec such as gender equality, French language, institutional separation of the State and the Church.
If it ever comes to that, I think that Québec should be fully entitled to resort to the notwithstanding clause of the Canadian constitution. And, in doing so again, it would not detract from the spririt of pluralism or interculturalism. I truly think so. Now, don't misquote me on this. Every word matters. But this is exactly what I think.»
Traduction libre: «Il est souvent dit que les valeurs québécoises sont menacées par la Cour suprême parce qu'elle opère en fonction du principe du multiculturalisme canadien. De l'article 27 de la Charte canadienne des droits. J'ai quelque chose à dire sur cette question. Si nous devions en arriver au point où la Cour suprême, de par ses jugements, de manière répétée et presque systématiquement, violait et mettait en danger les valeurs les plus fondamentales du Québec telles que l'égalité entre les sexes, la langue française, la séparation de l'État et de l'Église. Si jamais nous devions en arriver là, je crois que le Québec aurait pleinement droit de se prévaloir de la clause dérogatoire de la Constitution canadienne. Et ce faisant encore une fois, ceci ne s'éloignerait aucunement de l'esprit du pluralisme et de l'interculturalisme. Je le pense vraiment. Maintenant, ne me citez pas incorrectement là-dessus. Chaque mot compte. Mais c'est exactement ce que je pense.»)
Voir: http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/03/04/g-233-rard-bouchard-est-de-retour.aspx
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Bref, en l'absence d'un leadership politique éclairé, au moins, que le débat continue!
Mais pourrions-nous, tout au moins, de grâce, que l'on soit pour ou contre le port de signes religieux dans la fonction publique, prendre part au débat sans avoir à verser dans les arguments de peur sur un courroux «international» tout aussi exagéré qu'imaginaire?
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@ Photo: http://www.radio-canada.ca/images/2008/06/10/180x135/PC_080610gerard_bouchard_commission_n.jpg


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