Une autre crise, un autre ministre éjecté

"L'affaire Maxime Bernier"


On a beaucoup parlé depuis quelques mois, avec raison d'ailleurs, des problèmes d'organisation du Parti libéral de Stéphane Dion, mais la crise qui secoue le gouvernement Harper depuis trois semaines démontre que tout ne baigne pas dans l'huile non plus chez les conservateurs.
Ça devient une fâcheuse habitude de ce gouvernement: chaque fois qu'une controverse éclate dans un dossier X ou Y, cela provoque une crise aux Communes et, immanquablement, l'éjection d'un ministre.
Ce fut le cas avec Rona Ambrose à l'Environnement, avec Gordon O'Connor à la Défense, avec Bev Oda au Patrimoine et, dans une moindre mesure, Vic Toews à la Justice.
Le scénario se répète avec Maxime Bernier, ex-ministre des Affaires étrangères. Le scénario a le hoquet, même, dans le cas de M. Bernier. Il ne faut pas oublier que si celui-ci s'est retrouvé propulsé aux Affaires étrangères en août dernier, c'est en grande partie parce que le premier ministre voulait le sortir du ministère de l'Industrie. Insatisfait de la performance de son jeune ministre dans ce poste-clé, notamment parce que M. Bernier faisait une fixation sur la déréglementation, M. Harper lui avait donné une "démotion verticale".
En l'envoyant aux Affaires étrangères, tout le monde sauvait la face: M. Bernier accédait à un poste techniquement plus prestigieux et M. Harper pouvait alors le contrôler beaucoup plus facilement puisque le vrai ministre des Affaires étrangères au Canada, c'est le premier ministre lui-même. Bon, on connaît la suite, le plan a déraillé, mais, au départ, l'idée était de déplacer le problème pour le neutraliser, pas pour l'amplifier.
Pour être charitables, certains diront que c'est le métier qui entre. Après tout, les conservateurs ont été exclus du pouvoir pendant 13 ans, Stephen Harper n'a jamais occupé aucune fonction de pouvoir, ce qui est vrai aussi pour une partie importante de son cabinet. Des gaffes devaient donc se produire, c'était inévitable.
Mais pour un premier ministre qui aime tant contrôler son environnement, son message et son entourage, on ne peut pas dire que le bilan de M. Harper comme chef de l'équipe ministérielle soit très impressionnant.
Le départ de Maxime Bernier annonce un remaniement, peut-être léger, à court terme. Ce sera le troisième remaniement en 30 mois ou, si vous préférez, le quatrième cabinet. En 30 mois, ça fait beaucoup de roulement de personnel, et à des postes-clés qui plus est, comme la Défense, l'Industrie, les Affaires étrangères ou l'Environnement (au fait, parlant d'Environnement, quelqu'un a-t-il vu John Baird récemment ou verra-t-on bientôt sa photo sur un litre de lait?)
Un gouvernement, surtout un nouveau gouvernement qui arrive au pouvoir après un long purgatoire dans l'opposition, ne peut imposer son rythme, son programme et ses réformes à une machine aussi lourde que celle du gouvernement fédéral. En fait, un gouvernement forcé de rebrasser sans cesse ses cartes ne peut imposer son autorité, point.
L'"affaire Couillard" et ses répercussions politiques font du bruit, évidemment, mais M. Harper a aussi des problèmes ailleurs dans son équipe. Le premier ministre a ainsi perdu son chef de cabinet, Ian Brodie, dans la controverse cette semaine, une nouvelle qui est passée relativement inaperçue au Québec.
Dans la tourmente, M. Harper ne peut faire autrement que de se tourner vers des collaborateurs d'expérience, ce qui explique la présence d'anciens du gouvernement conservateur ontarien de Mike Harris. Son nouveau chef de cabinet, Guy Giorno, notamment, a déjà occupé les mêmes fonctions auprès de M. Harris.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que de crise en crise, le Québec ne gagne pas en poids, ni au Conseil des ministres ni au bureau du premier ministre.
Les déboires de Maxime Bernier déclencheront aussi un inévitable rééquilibrage des forces en présence au sein du cabinet. M. Bernier parti, la ministre du Patrimoine, Josée Verner, se retrouve seule représentante de l'aile adéquiste devant deux poids lourds de la mouvance libérale provinciale, Lawrence Cannon et Michael Fortier.
Dans les rangs conservateurs, on dit en privé que "c'est le temps d'acheter du Cannon, ses actions sont à la hausse" auprès du premier ministre après quelques mois difficiles.
Quant à Michael Fortier, des rumeurs annoncent son départ imminent, mais le principal intéressé ne bronche pas. Le sénateur-ministre des Travaux publics ferait un candidat idéal pour Commerce international (occupé en ce moment par David Emerson, nommé ministre des Affaires étrangères par intérim) et un choix raisonnable pour les Affaires étrangères, mais comme il n'est pas élu, le premier ministre s'interdit de le muter.
Au-delà des petits jeux de coulisses et des intrigues de palais, les conservateurs craignent surtout que leurs malheurs répétés ne finissent par se refléter dans les intentions de vote. Il est encore trop tôt pour le dire. Chose certaine, les libéraux et les bloquistes ne lâcheront pas le morceau. À ce jour, les conservateurs n'ont pas trop souffert de l'affaire Cadman ou de leurs démêlés avec Élections Canada, notamment parce que les libéraux sont incapables d'en tirer profit.
Parlant des libéraux, leur chef, Stéphane Dion, est bien discret depuis quelques jours. De toute évidence, il a décidé de laisser les gros canons de son caucus (Michael Ignatieff, Bob Rae et Denis Coderre) faire le boulot salissant. Il est vrai que ça n'a jamais été le genre de M. Dion, plus porté sur l'intellect que sur le pugilat.
M. Dion fait bien de ne pas trop s'en mêler. Les malheurs de Maxime Bernier auront permis de constater, pour la première fois depuis que M. Dion est chef, une certaine cohésion, une certaine unité dans les rangs libéraux. Du moins sur la première ligne d'attaque.
Quant à Stephen Harper, l'été (et l'ajournement des Communes, dans trois semaines) n'arrivera jamais assez vite. Les conservateurs espèrent ensuite que trois ou quatre mois de pause parlementaire effaceront définitivement l'"affaire Couillard".
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca


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