Un putsch nécessaire ?

Géopolitique - Conflit israélo-palestinien


Par BEN HARTMAN 7.11.10 - "C'est une prise de pouvoir hostile", affirme une participante de Turin à la sortie de la conférence du Conseil européen des communautés juives (ECJC) qui se tenait à Berlin. Le 23 octobre dernier, l'organisation fait une annonce surprise : le milliardaire ukrainien Igor Kolomoisky est choisi comme nouveau président, sans élection ni consultation du conseil d'administration. Le mari de la participante italienne, Arturo Tedeschi, ajoute : "C'est comme ça que les choses se passent en Europe de l'Est."

La nomination de Kolomoisky choque et consterne bon nombre de membres, qui pensaient pourtant que la conférence ne serait rien d'autre qu'une réunion de routine du conseil. Autre innovation : habituellement, l'organisation se concentre sur les questions sociales qui affectent les communautés d'Europe. Cette année, elle a curieusement mis l'accent sur Israël et le nucléaire iranien, et accueilli un certain nombre d'ambassadeurs israéliens et de politiques. Parmi eux, le Grand Rabbin ashkénaze Yona Metzger, le ministre de l'Education Gideon Saar, ou encore Malcolm Hoenlein, vice-président exécutif de la Conférence des présidents des grandes organisations juives américaines.
Dans un communiqué publié le lendemain de la rencontre, Tedeschi écrit : "Un nouveau président pour l'organisation a été nommé au cours d'une procédure à la fois non démocratique et illégale. De plus, un changement profond dans la stratégie de l'organisation est annoncé sans en informer le conseil d'administration, intentionnellement exclu de toute décision." Tedeschi ajoute que lui et les autres membres de la délégation italienne de l'organisation ont l'intention de démissionner, tout comme un membre néerlandais et Gabrielle Rosenstein, de la section allemande. Pour Tedeschi, même si les membres regrettent de se retirer après des années d'adhésion, "nous pensons que nous ne pouvons continuer notre travail dans ces conditions".
Un président muet
Kolomoisky est l'un des citoyens les plus riches d'Ukraine, à la tête d'une fortune estimée entre 3 et 6 milliards de dollars. Cet actionnaire majoritaire de PrivatBank et Ukrnafta, la plus grande compagnie pétrolière et de gaz naturel du pays, est aussi l'un des grands bienfaiteurs de la communauté juive de Dniepopetrovsk, sa ville et celle d'origine du célèbre Rabbi de Loubavitch, Menachem Mendel Schneerson. Là, le centre Menora ouvrira prochainement ses portes, financé par Kolomoisky et quelques autres hommes d'affaires juifs ukrainiens à hauteur de
80 millions de dollars.
Ce complexe est prévu pour être le plus grand centre Juif du monde : 42 000 m2 sur sept tours, le tout formant une immense Menora. Les plans incluent également un musée de la Shoah et un hôtel de 76 chambres. Après sa nomination, Kolomoisky n'a pas fait d'annonce formelle. Il n'a donné qu'une seule interview, à une équipe de la TV ukrainienne Channel 1+1 News, dont il est actionnaire majoritaire depuis 2006. On ne l'a pas vu au banquet de la conférence le lendemain, pas plus qu'au déjeuner-discussion au Musée Juif de Berlin le jour suivant. Son unique déclaration : un laconique communiqué de presse envoyé par l'ECJC où il est cité : "Je suis honoré d'être nommé en tant que président du Conseil européen des communautés juives. Nous travaillerons dur pour unir toutes ces communautés."
Le vice-président exécutif de l'organisation, Tomer Orni, explique la discrétion du nouveau nommé : "C'est un homme d'action, il n'est pas là pour faire de grands discours. Il préfère agir que parler."
L'émergence de l'Europe de l'Est
Président de la communauté juive d'Ukraine, Kolomoisky prendra le contrôle de cette organisation non gouvernementale (ONG) qui fonctionne depuis 1968, focalisée principalement sur les programmes sociaux, culturels ou éducatifs. Pendant la Guerre froide, l'ECJC fait beaucoup d'efforts pour aider les démunis des communautés juives d'URSS. Aujourd'hui, un rapide coup d'œil aux participants et orateurs de la conférence montre que le visage du leadership de l'organisation s'est déplacé à l'Est.
Pour Orni, c'est la reconnaissance de l'importance des pays émergents d'Europe de l'Est. "L'ECJC n'est pas un club de vieux pays de l'Ouest. Nous osons changer de modèle et envoyons un message clair : les Juifs européens modifient leur vieille façon de faire", affirme-t-il. Et pour certains, cette nouvelle situation explique une partie du ressentiment lors de l'annonce. Elle fait voler en éclat la façon dont les habitants de l'Europe de l'Ouest se sont habitués à voir leurs relations avec les communautés juives de l'ex-Union soviétique. "Ce ne sont plus les nebbish (pauvres en yiddish, ndlr) de l'Est qui demandent la charité. C'est un vrai changement de paradigme. Maintenant ce sont bien souvent les Juifs de l'Est qui aident et subventionnent, et pour certains c'est difficile à accepter", ajoute-t-il.
Sentiment partagé par le président sortant, l'Anglais Jonathan Joseph, qui décrit l'importance des nouvelles sources de financement, et les bouleversements au sein de l'ECJC : "La réalité pour les Juifs d'Europe de l'Est a considérablement changé au cours des 20 dernières années." Joseph évoque les donateurs aux Etats-Unis, durement touchés par le déclin économique mondial. "Il est temps de changer de modèle pour penser une realpolitik et réunir l'Est, le Centre et l'Europe de l'Ouest et faire progresser nos intérêts", conclut-il.
Outre Kolomoisky, d'autres éminents Juifs d'Europe de l'Est ont participé à la conférence : le magnat kazakh de l'exploitation minière et des minéraux Alexander Machkevich et l'oligarque ukrainien et président du Congrès juif ukrainien Vadim Rabinovich. Machkevich a proposé "d'aider la vie juive à travers le monde. Nous devons trouver des moyens créatifs et actifs de faire des choses auxquelles nos ennemis ne penseraient jamais. Nous devons être capables de protéger les Juifs. Il ne suffit pas d'être un bon Juif, mais aussi un Juif fort."
Quand l'ECJC se concentre sur Israël
Rabinovich, vice-président de l'ECJC, s'est adressé aux membres de la conférence lors du banquet de la deuxième nuit, à l'hôtel Adlon de Berlin. Un discours en faveur d'"une guerre contre l'antisémitisme" : il a en outre proposé de lever une armée d'avocats pour poursuivre les contrevenants. Autre suggestion : faire venir des journalistes dans les bunkers d'Ashkelon sous le feu des roquettes Kassam "pour leur apprendre la tolérance".

Puis Rabinovich a rejoint plusieurs rabbins pour accueillir le ministre de l'Education Gideon Saar, à la maison Habad de Berlin. A son arrivée, Sa'ar est présenté comme "le futur Premier ministre d'Israël", lors d'une cérémonie festive. Plus tard, dans son discours, il évoquera le sens de participer à une telle conférence "de grande importance stratégique" dans la ville qui un jour a été la capitale de l'Allemagne nazie. Il déplorera aussi la possibilité d'une course moyen-orientale à l'armement, la paix "dépendant de la balance du pouvoir dans la région ; si l'axe radical mené par l'Iran est fort, alors les perspectives de paix sont faibles".
L'accent mis sur Israël n'a pas échappé à Evan J. Lazar, éminent avocat européen, membre du conseil d'administration pendant 6 ans avant de décider de démissionner de l'ECJC suite à la nomination de Kolomoisky. "L'ECJC a toujours été une organisation pour l'Europe sur l'Europe, pas forcément une organisation sioniste. Il y a toujours un ou deux Israéliens de la communauté locale, mais l'Etat hébreu n'est jamais le point central. Le nombre d'Israéliens ici, du grand Rabbin jusqu'au ministre de l'Education, sort vraiment de l'ordinaire."
Et de poursuivre : "La crise économique a durement touché l'ECJC, comme d'autres organisations de ce type", mais pour qu'un nouveau président soit choisi, même avec les poches remplies comme celles de Kolomoisky, "il doit y avoir une élection, et il n'y en a pas eu. Aucun membre du conseil n'était au courant de cette réorganisation, mais les Israéliens avaient l'air de savoir." Vu la discorde causée par la nomination de Kolomoisky, Orni était tout sourires lorsque la conférence a pris fin. "Quand il y a un changement, il y a toujours des mécontents", explique Orni. L'organisation "est très enthousiaste car avec Kolomoisky à bord nous aurons les moyens financiers pour nos initiatives, et il ouvrira la voie à des leaders de l'Est et de l'Ouest".


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