UNIVERSITÉ YORK

Un prof réclame une charte pour le Canada

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Y'a des p'tits futés qui commencent à comprendre

Ottawa — Un professeur de l’Université York qui s’est fait reprocher par sa direction de ne pas avoir accommodé un étudiant refusant de travailler avec des femmes estime que le Canada devrait s’inspirer du Québec et exclure le religieux de la sphère publique. Selon Paul Grayson, en aucun cas les croyances des uns ne devraient être imposées aux autres et en ce sens, la charte des valeurs du ministre Bernard Drainville, y compris l’interdiction du port de signes religieux, est une bonne idée.
« Tout ceci indique qu’il y a un certain besoin pour le genre de choses qui sont débattues au Québec, lance Paul Grayson en entrevue téléphonique avec Le Devoir. Nous avons des universités publiques. Elles doivent être laïques. On ne peut pas avoir des droits religieux qui ont préséance sur les droits laïques des étudiantes. »

« Tout ceci » fait référence à un incident survenu cet automne dans la classe du professeur de sociologie à l’université ontarienne. M. Grayson donne à l’Université York un cours par Internet. Cependant, les étudiants sont appelés à se rencontrer pour simuler des « focus groups ». Un de ses étudiants réclame alors d’être exempté de l’exercice, car la classe est composée à majorité d’étudiantes et qu’il ne veut pas interagir avec des femmes pour des motifs religieux.

« Ma profonde croyance religieuse [qui s’applique à] l’interaction entre les hommes et les femmes constitue une des raisons principales pour laquelle j’ai choisi de suivre mon baccalauréat par des cours Internet », écrit cet étudiant dont le nom et la religion n’ont pas été dévoilés pour des raisons de vie privée. « Il ne me sera pas possible de rencontrer en public un groupe de femmes (elles composent la majorité de ma classe) pour accomplir ces tâches. »

Le professeur Grayson refuse la demande, car elle donnerait « un appui tacite à une vision négative des femmes ». Mais par précaution, il sollicite aussi l’avis du doyen. À sa grande surprise, il se fait répondre qu’il doit au contraire y accéder. On lui explique que trois critères doivent être remplis pour accorder un accommodement : la croyance de l’étudiant doit être sincère, l’accommodement ne doit pas « interférer avec l’expérience des autres étudiants dans la classe » et l’intégrité scolaire du cours doit être assurée. Selon la direction, ces trois critères sont remplis.

Le doyen de la Faculté des arts libéraux et des études professionnelles, Martin Singer, lui écrit « pour exiger que vous respectiez l’obligation légale de la faculté d’accommoder la pratique religieuse de X. […] La non-participation de X dans le groupe n’aura d’aucune manière un “ impact substantiel ” sur l’expérience ou les droits de la personne des autres étudiants de la classe ». En entrevue, M. Grayson raconte s’être fait demander par le doyen de ne pas alerter le reste de la classe de cette demande. Ainsi, si elle ignore la requête, elle ne peut pas savoir qu’il manque quelqu’un et que cette absence est motivée par un refus de côtoyer des femmes…

Vive Drainville

Selon M. Grayson, le Québec a raison de vouloir se doter d’un mécanisme de règlement des demandes d’accommodement, comme le prévoit le projet du ministre Drainville, ainsi que d’interdire le port des signes religieux. « Je vois le besoin d’une très, très stricte séparation entre l’État et l’Église. Il ne devrait pas y avoir une intrusion du sacré dans le laïque. »

Quand on lui soumet que l’initiative de Québec a parfois été présentée dans le reste du Canada comme une velléité à caractère raciste, M. Grayson estime qu’il y a plus d’appuis qu’on le croit. « Ce sont les élites qui parlent. Beaucoup de gens à qui je parle pensent que les Québécois ont de bonnes idées quand ils voient les excès. Le prix à payer pour restreindre l’intrusion des croyances religieuses dans la sphère publique est peut-être qu’il faut interdire le port du crucifix. Si c’est le prix à payer pour que tout le monde soit traité également, soit. Je ne vois pas le problème. »

Le Département de sociologie avait donné son entier appui à M. Grayson en adoptant une motion stipulant que « les accommodements académiques aux étudiants ne seront pas accordés s’ils contribuent à la marginalisation objective ou symbolique d’autres étudiants, de professeurs ou d’assistants ». Sur son site Internet, le Globe and Mail a invité les lecteurs à indiquer si l’accommodement aurait dû être accordé. 94 % des gens ont répondu « non » (4824 personnes) à ce sondage non scientifique.

« J’ai reçu une quantité incroyable d’appuis, soutient M. Grayson. Des courriels d’Europe, des États-Unis, du Canada, d’étudiantes qui me disent merci et d’étudiantes musulmanes qui me disent que ce sexisme doit cesser. Alors la réponse est très positive. »

Il raconte avoir soumis ce cas, sous forme hypothétique, à une autre de ses classes pour connaître la réaction des étudiantes. Elles étaient outrées et se sentaient rabaissées. Selon M. Grayson, dire oui une fois ouvrirait la porte à d’autres demandes. « L’Université York deviendrait un refuge d’étudiants fondamentalistes. Je n’y enverrais pas ma fille. » Il lance : « La logique mise de l’avant par l’administration est telle que si un étudiant refusait d’avoir un professeur féminin et qu’il était possible de l’accommoder, on le ferait. Ou s’il y avait trop de Juifs dans la classe et que l’étudiant ne voulait pas interagir avec des Juifs à cause de sa religion, s’il y a une place ailleurs, on le mettrait là ! Les implications sont absolument épouvantables. »

Dans une déclaration envoyée hier soir, l’Université York a rappelé que « la commission Taylor-Bouchard de 2007-2008 a recommandé l’accommodement comme principe directeur tout en reconnaissant que l’obligation d’accommoder n’est pas sans limites ». L’Université explique que dans ce cas-ci, « le facteur décisif est qu’il s’agit d’un cours en ligne et qu’un autre étudiant s’était fait accorder la permission dans le passé de suivre le cours hors campus ». C’était parce que cet étudiant habitait à l’étranger. L’Université se dit heureuse que le débat « sur l’accommodement des croyances religieuses » se fasse sur la place publique. La direction avait plus tôt évoqué la nécessité de se plier au Code des droits de la personne de l’Ontario. La Commission ontarienne des droits de la personne, qui met en oeuvre ce Code, a fait une déclaration officielle jeudi, rappelant que « la même considération » doit être accordée à tous les droits. En cas de droits contradictoires, des solutions « au cas par cas » doivent être trouvées.

La première ministre ontarienne, Kathleen Wynn, qui avait dans le passé critiqué le projet de Bernard Drainville, n’a pas commenté l’affaire hier. C’est plutôt le bureau du ministre de la Formation, des Collèges et Universités, Brad Duguid, qui a fourni une déclaration laconique. « L’Université York a eu raison de prendre des mesures pour consulter le département des droits de la personne, l’étudiant et d’autres membres de la faculté pour en arriver à sa décision. »

À Ottawa, la position de l’université était généralement désapprouvée. Le ministre fédéral de la Justice, Peter MacKay, a ainsi déclaré que la mixité hommes-femmes dans les établissements scolaires était au coeur du combat mené par les soldats canadiens en Afghanistan. Pour le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair, une université ne devrait pas faire d’accommodements pour une telle demande. La députée libérale Judy Sgro, qui représente la circonscription où se trouve l’établissement universitaire, a quant à elle qualifié la requête de ridicule, et a estimé que le professeur Grayson avait pris la bonne décision à l’origine.

Pour la petite histoire, l’étudiant X a finalement accepté de participer à l’activité.

Avec La Presse canadienne


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