Un exemple de malhonnêteté journalistique : le cas de Causette

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La médiacrassie de la gauche manipulatrice


Qu’on me permette ici de raconter une petite mésaventure qui en dit long sur ce qu’on pourrait appeler la malhonnêteté d’un certain journalisme militant en croisade au service de l'empire du Bien qui n'hésite pas à déformer la réalité pour imposer sa vision du monde.


Le 8 janvier, Aurélia Blanc, journaliste chez Causette (ne pas confondre avec Causeur!), un magazine français qui se réclame du féminisme le plus militant, m’écrivait pour m’interviewer sur la question de la bienpensance. 


Je la cite :


«Bonjour Monsieur,

Je suis journaliste pour le magazine Causette, et je vous contacte car nous préparons un dossier sur la bien-pensance, pour lequel j’aimerais beaucoup vous interviewer.

J’aimerais notamment revenir avec vous sur l’hégémonie du politiquement correct et sur la perte de terrain – réelle ou supposée – du « camp du Bien ».

Accepteriez-vous de répondre à mes questions par téléphone d’ici le lundi 13 janvier?

En vous remerciant par avance pour votre réponse,

Cordialement,

Aurélia Blanc»


J’accepte. Je lui demande de m’envoyer ses questions et j’y répondrai par courriel, ce qu’elle fait, et ce que je fais. Je ne m’attends évidemment pas à ce qu’elle reprenne l’intégralité de mon propos – je m’attends même à ce qu’elle en sélectionne un tout petit extrait, c’est la règle du jeu. Mais je m’attends à ce qu’elle le rapporte honnêtement, même si je devine que le tout sera quelque peu biaisé - je ne suis pas un lecteur de Causette même si je sais à peu près où le magazine loge.


Vendredi, j’ai lu le dossier. Je me suis demandé si j’avais la berlue. Dans l’article où j’apparais, Aurélia Blanc ne cite qu’une phrase de tout l’entretien que je lui ai accordé (ce qui peut toujours s'expliquer)... avant de la commenter de telle manière qu’elle en déforme absolument le sens (ce qui est évidemment inacceptable). 


Je cite ce passage de son article pour qu'on me comprenne bien. 


«Serait-ce parce qu’elle semble se draper dans une forme de supériorité morale que la bien-pensance a si mauvaise presse ? Une chose est sûre : rares sont celles et ceux qui assument aujourd’hui d’y être associé·es (il n’y a qu’à voir le nombre de refus d’interviews qu’a essuyé Causette de la part de personnalités pourtant estampillées « bien-pensantes »). Peut-être parce que, au final, comme l’écrit Nicolas Truong, journaliste au Monde, « l’antipolitiquement correct est devenu la norme », à droite comme à gauche. Pas vraiment l’avis du sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, nouvelle coqueluche des sphères conservatrices, qui publiait l’an dernier L’Empire du politiquement correct. « Certes, on trouve des “conservateurs” déclarés dans les médias, mais ils sont constamment obligés de justifier leur existence. Le conservatisme s’est fait une place dans les médias, mais il demeure structurellement minoritaire – même si les grands thèmes qui sont les siens sont majoritaires dans la population », nous explique-t-il. Nous y voilà. Si les réacs, les racistes et les sexistes de tout poil fustigent la bien-pensance, c’est parce qu’ils·elles oseraient dire tout haut ce que le peuple pense tout bas. Et il va de soi que le bon peuple est forcément hostile à l’accueil des réfugié·es, à la reconnaissance des minorités ou aux revendications féministes (car, c’est bien connu, les minorités, pas plus que les féministes, ne peuvent faire partie des classes populaires)».


Vous avouerez que ce n’est pas mal! C’est ce que j’appelle la théorie du masque : le conservatisme ne serait rien d’autre que le masque de l’abject – mon propos est assimilé à celui des «réacs, racistes et sexistes de tout poil». Non seulement la journaliste déforme mon propos, mais elle va jusqu'à me faire dire ce que je n'ai même jamais suggéré.


***


Hier, je lui ai envoyé ce courriel.


Chère Madame,


je n'ai pas l'habitude de revenir sur les entretiens que j'accorde, mais je viens de voir le traitement que vous m'avez réservé dans votre article et l'interprétation que vous donnez de mes propos.


Je les cite : «Pas vraiment l’avis du sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, nouvelle coqueluche des sphères conservatrices, qui publiait l’an dernier L’Empire du politiquement correct. « Certes, on trouve des “conservateurs” déclarés dans les médias, mais ils sont constamment obligés de justifier leur existence. Le conservatisme s’est fait une place dans les médias, mais il demeure structurellement minoritaire – même si les grands thèmes qui sont les siens sont majoritaires dans la population », nous explique-t-il. Nous y voilà. Si les réacs, les racistes et les sexistes de tout poil fustigent la bien-pensance, c’est parce qu’ils·elles oseraient dire tout haut ce que le peuple pense tout bas. Et il va de soi que le bon peuple est forcément hostile à l’accueil des réfugié·es, à la reconnaissance des minorités ou aux revendications féministes (car, c’est bien connu, les minorités, pas plus que les féministes, ne peuvent faire partie des classes populaires)». Est-ce que j'ai même suggéré ce que vous cherchez à me faire dire? Cela fait plus de 15 ans que j'évolue dans les médias et jamais, mais jamais, je tiens à vous le dire, ce traitement n'a été aussi malhonnête et malintentionné. De ce point de vue, vous vous démarquez. Était-il vraiment nécessaire de me faire perdre mon temps à m'interviewer?


Bien à vous,


MBC


Je me permets de reproduire ici les questions qu’elle m’a envoyé et mes réponses. On verra que cela a bien peu à voir avec ce qu’elle prétend rapporter. 


Gardons aussi en tête que ces basses méthodes, hélas, ne me sont pas réservées. Combien de fois les propos d’un intellectuel ou d’un homme politique sont-ils ainsi déformés dans une année? La journaliste de Causette est-elle-même minimalement consciente de fabriquer une fausse nouvelle? Et pourquoi se donne-t-elle tant de mal à interviewer des gens, si c’est seulement pour leur faire jouer un rôle prédéterminé, auquel ils seront assignés, quelles que soient leurs réponses? 


Quoi qu'il en soit, voici l'interview.


***


Causette: Comment définissez-vous la bien-pensance ? Est-elle synonyme de «politiquement correct»?


MBC: Le terme «bienpensance» est un terme polémique, évidemment, mais on pourrait le définir correctement en parlant de cette frange des élites intellectuelles, culturelles et médiatiques qui cultive le sentiment de sa supériorité morale en se voulant toujours à l’avant-garde du progressisme et qui se réfugie dans ses bonnes intentions pour ne pas avoir à tenir compte des conséquences de ses idées. Plus encore, elle se mire dans son discours et s’admire de se savoir si généreuse. Méchamment, on pourrait la définir comme ce travers idéologique qui consiste à se convertir immédiatement à la dernière cause à la mode dans les milieux de la gauche mondaine. 


La référence au politiquement correct me semble plus rigoureuse, pour peu qu’on prenne la peine de la définir adéquatement – car ce terme a été terriblement galvaudé au fil du temps. Le politiquement correct est ce dispositif idéologique inhibiteur qui disqualifie moralement, pathologise, psychiatrise ou criminalise même la critique de l’héritage des radical sixties et de la dynamique diversitaire qui l’incarne aujourd’hui. En son cœur, on trouve une manipulation du langage qui n’est pas sans faire penser à la novlangue orwellienne. C’est le système de défense idéologico-médiatique du régime diversitaire qui transforme ses adversaires en infréquentables et en paria. Ceux qui embrassent l’esprit de l’époque et la grande marche de la «diversité heureuse» sont considérés comme des citoyens exemplaires: ceux qui expriment des réserves sont transformés au moins en suspects, souvent en parias, quand ce n’est pas en monstres. Il rend certaines pensées non seulement irrecevables et inavouables, mais inexprimables et en vient même à criminaliser toute remise en question du régime diversitaire. Il nous interdit de douter de la marche du temps: la nostalgie devient un péché impardonnable. 


Le politiquement correct a tendance, aujourd’hui, à se judiciariser. Pour en faire une histoire adéquate, il faut remonter aux années 1960-70, suivre le chemin de son institutionnalisation académique américaine dans les années 1980 et sa normalisation médiatique et administrative à partir des années 1990, où il a gagné une position hégémonique qu’il n’a pas perdu depuis. 


Causette : Être progressiste, est-ce forcément être politiquement correct ? Pourquoi ?


MBC: Théoriquement non, mais pratiquement, ce l’est trop souvent – le progressisme est tenté par ce que j’appelle le fondamentalisme de la modernité. Le politiquement correct ne se révèle pas dans le progressisme en lui-même (il ne s’agit pas ici, par exemple, de remettre en question son désir d’une plus grande redistribution sociale ou son attachement pour la question environnementale, parmi tant d’autres exemples) mais dans son incapacité souvent confirmée à admettre la légitimité de son contradicteur de son espace public à reconnaître un noyau rationnel à son argumentation. Le politiquement correct surgit lorsque le progressiste sent le besoin d’infréquentabiliser son adversaire, de le diaboliser, en l’accusant de racisme, de sexisme, de xénophobie, d’islamophobie, de transphobie et ainsi de suite. Le progressisme devrait être capable de considérer ses adversaires non pas comme les résidus toxiques du monde d’hier, mais comme des êtres raisonnables, qui portent leur propre vision du bien commun, même si ce n’est pas la même que la leur. Il ne s’agit pas de leur donner raison, mais de ne pas les diaboliser. Il s’agit aussi de ne pas transformer tout affrontement politique en campagne contre l’extrême-droite – l’extension immodérée de la définition de celle-ci participe au politiquement correct. Sur quoi repose cette idée étrange, par exemple, que la question de l’identité nationale serait une thématique «d’extrême-droite»? Voilà pourquoi je crois que l’extrême-droitisation de l’adversaire est un procédé rhétorique caractéristique du politiquement correct.


Causette: Les ressorts - et les impacts - du politiquement correct sont-ils les mêmes dans toutes les sociétés occidentales, de la France à aux Etats-Unis, ou diffèrent-ils selon les pays ?


MBC: Il s’adapte évidemment à chaque pays (chaque pays porte ses propres tabous, ses propres interdits, sa propre configuration mentale, si je puis dire), mais il a une tendance homogénéisante indéniable : partout, il impose la même grille d’analyse d’une pauvreté intellectuelle terrifiante, partout, il désigne les mêmes méchants, et ainsi de suite. On constate, par exemple, qu’il racialise partout les rapports sociaux. De même, il contribue à un éparpillement infini de la subjectivité au nom de la reconnaissance de la diversité: à la fin, c’est la possibilité même d’un monde commun qui est compromise, puisqu’on ne veut voir dans ce dernier que la manifestation de la tyrannie de la majorité. Il faut alors déconstruire, tout déconstruire! On pense ainsi jeter par terre des dominations incrustées dans l’ordre social depuis toujours. 


Une chose est certaine, plus le politiquement correct se diffuse, et plus il tend à écraser la spécificité de chaque société, pour les rendre interchangeables – à tout le moins, dans la grille de lecture qu’il impose médiatiquement et intellectuellement. Je note toutefois que c’est en puisant dans leurs mœurs et plus largement, leur identité nationale, que les peuples y résistent. 


Causette: Selon la journaliste Elisabeth Lévy ou le sociologue Jean-Pierre Le Goff, le « camp du Bien » aurait déjà perdu la bataille des idées. Partagez-vous ce constat ? Pourquoi ?


MBC: J’ai beaucoup d’estime avec Elisabeth Lévy et Jean-Pierre Le Goff mais je ne suis pas d’accord avec eux. Permettez-moi de résumer mon analyse d’une formule: le progressisme a été si longtemps dominant qu’il lui suffit d’être contesté pour se croire assiégé, alors que le conservatisme a été si longtemps dominé qu’il lui suffit d’être entendu pour se croire dominant. Évidemment, nous ne réduirons pas toute cette querelle à la gauche et à la droite, mais vous comprenez l’image! Sur le fond des choses, la sociologie victimaire, par exemple, domine encore le langage médiatique, l’université se montre plus intolérante que jamais envers ceux qui n’adhèrent pas aux dogmes diversitaires. Par exemple, un soupçon général domine le système médiatique dès lors qu’il est question d’enracinement ou de souveraineté nationale. Certes, on trouve des «conservateurs» déclarés dans les médias, mais ils sont constamment obligés de justifier leur existence. On les questionne moins sur ce qu’ils pensent qu’on ne leur inflige sans cesse un procès en forme de questionnaire pour voir s’ils transgressent les codes de la respectabilité médiatique. Si tel est le cas, les contrôleurs de la circulation idéologique les accusent de dérapage. Ils deviendront controversés, peut-être même très controversés, à moins de devenir tout simplement sulfureux ou nauséabonds – leurs dénonciateurs pensent du nez, comme j’aime dire. Régulièrement, on se demandera si tel ou tel intellectuel ne devrait pas être privé de ses tribunes, comme si la simple expression d’une pensée dissidente devenait un scandale. En d’autres mots, le conservatisme s’est fait une place dans les médias, mais il demeure structurellement minoritaire – même si les grands thèmes qui sont les siens sont majoritaires dans la population. Mais ces préférences populaires sont jugées symptomatiques d’une contamination du commun des mortels par les préjugés et stéréotypes venus du monde d’hier, qu’il nous faudrait justement condamner.


Causette: Si défaite idéologique du « camp du Bien » il y a, quand a-t-elle commencé et à quoi tient-elle, selon vous ?


MBC: Comme je vous disais, je n’y crois pas. Mais pas du tout. Cela dit, le progressisme se croit en déroute simplement parce qu’il trouve désormais devant lui des contradicteurs qui ne s’aplatissent pas au moindre coup de semonce rhétorique. Il panique à l’idée qu’on puisse ne pas voir le monde comme lui. Il envisage le désaccord à la manière d’un scandale. Cela dit, ce qui fragilise le progressisme, surtout, c’est qu’on ne peut écraser le réel éternellement avec un discours idéologique qui lui est de plus en plus étranger. L’immigration massive, par exemple, contribue partout à la déstructuration des sociétés dont on ne respecte ni l’identité, ni les capacités d’intégration. Le multiculturalisme, de même, contribue à l’aliénation identitaire des peuples occidentaux en inversant le devoir d’intégration. Le rétrécissement de l’espace public et la diabolisation de la parole dissidente finit par exaspérer le commun des mortels, qui a tendance à se révolter. Le populisme est la traduction politique de cette révolte, mais on continue de le fasciser, de l’extrême-droitiser, de l’infréquentabiliser. D’ailleurs, le politiquement correct devient de plus en plus punitif: il cherche à tout prix à maintenir son emprise en conservant le monopole du récit médiatique légitime. 


Causette: Comme d’autres pourfendeurs de la bien-pensance, vous affirmez que le politiquement correct est l’une des causes, sinon la cause, du malaise des démocraties occidentales. Pourtant, si l’on regarde par exemple, en France le mouvement populaire des Gilets Jaunes, on constate que, globalement, leurs revendications ne portent pas sur la fin de l’immigration, sur la PMA ou l’écriture inclusive, mais bien sur des enjeux économiques et citoyens. Cela ne vient-il pas remettre en cause l’idée selon laquelle le peuple serait forcément « politiquement incorrect » et qu’il chercherait avant tout à en finir avec la bien-pensance?


MBC : Je ne suis pas certain de partager votre analyse du mouvement des Gilets jaunes, qui se laisse difficilement définir, et dont les revendications ont oscillé au fil des semaines et des mois. J’y ai vu quant à moi, à tout le moins dans sa première impulsion, une protestation vitale de la France périphérique dans un pays où, par ailleurs, ce qu’on appelle le populisme est contenu dans la fonction tribunicienne. Les catégories sociales jugées condamnées par la mondialisation se sont révoltées en refusant d’être considérées comme le bois mort de l’humanité. Un monde que l’on disait congédié a rappelé son existence. Une fois cela dit, partout ailleurs en Occident, ce qu’on appelle le populisme a surgi essentiellement autour de la question identitaire et de la remise en question du multiculturalisme et de l’immigration massive. Par ailleurs, il s’exprime avec d’autant plus de vigueur que les aspirations qu’il relaie ont longtemps été disqualifiées par un antifascisme aussi loufoque qu’anachronique qui assimilait à l’extrême-droite toute forme d’opposition résolue au mouvement de l’époque et à la déconstruction des nations. On ne saurait non plus le dissocier d’une critique plus large de la mondialisation qui transforme les peuples en populations interchangeables et qui les dépossède démocratiquement et socialement. 


Causette : Que gagneraient les sociétés occidentales à en finir avec le politiquement correct ?


MBC: Elles retrouveraient la possibilité d’un débat intellectuel et politique civilisé, acceptant au cœur de la conversation démocratique la diversité des aspirations et passions humaines. Une société a besoin de conservatisme et du progressisme, d’enracinement et de cosmopolitisme, de liberté et d’égalité, d’autorité et de dissidence. Elle n’a aucun avantage à diaboliser la moitié de ces aspirations, car sinon, elles renaîtront, pas nécessairement de la plus belle manière – c’est le fameux retour du refoulé. En d’autres termes, la démocratie s’enrichirait d’être capable de mettre en scène les contradictions potentiellement fécondes qui traversent nos sociétés plutôt que d’imposer à celles-ci une définition idéologiquement monolithiques d’elles-mêmes, sous le signe d’une conception falsifiée et étouffante du «progrès». 





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