Un épouvantail usé

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La nation a écarté le référendisme ; les deux partis qui s’y accrochent n’ont pas encore compris le message


Peut-être connaissez-vous le principe de charité.


C’est une innovation de la philosophie anglo-saxonne qui stipule que dans le doute, mieux vaut présumer que son vis-à-vis est rationnel.


Mais il arrive que des propos soient si fantasques qu’on ne sait plus comment les interpréter. Par exemple, comment les libéraux ont-ils sérieusement pu prétendre jeudi que François Legault préparait un référendum sur l’indépendance ?


Par charité, on peut soupçonner qu’un peu de cannabis a été échappé dans les chocolats de Pâques des libéraux. Un déplorable accident hallucinatoire.


L’hypothèse est tentante. Quoique d’un autre côté, elle contreviendrait à un autre principe, celui du rasoir de Guillaume d’Ockham. Selon ce franciscain du 14siècle, la meilleure explication est la plus simple. Il faudrait donc conclure ceci : les libéraux pensent vraiment ce qu’ils ont dit.





C’est à la fois possible et inquiétant.




Ce serait une triste façon de souligner les 40 ans du rapatriement de la Constitution canadienne sans l’appui du Québec.


Jeudi, le Parti libéral du Québec (PLQ) a refusé de consentir à une motion qui dénonçait cette manœuvre de Trudeau père. La cheffe Dominique Anglade voulait en noyer le sens avec cet ajout : « le fédéralisme canadien a permis au Québec de réussir son projet de construction nationale ».


Cela renie la position défendue à l’époque par le PLQ. Et achève ce qu’il restait d’autonomisme dans le parti.


En 1982, le PLQ avait des réserves face à ce rapatriement unilatéral. Son chef Claude Ryan a appuyé une des quatre motions critiques des péquistes.


Quelques années plus tard, avec Robert Bourassa, il essayait de réparer cet affront avec les accords du lac Meech et de Charlottetown. Si le PLQ menait ces batailles, c’est parce qu’il reconnaissait que la Constitution ne permettait pas au Québec de s’épanouir.


Même les très fédéralistes Jean Charest et Philippe Couillard avaient de modestes demandes.


En 2008, M. Charest déterrait le concept de « souveraineté culturelle » de Robert Bourassa pour que le Québec contrôle les investissements fédéraux en culture sur son territoire. Il ne réclamait pas d’amendement constitutionnel – ce qui aurait été risqué, car le Québec reçoit un financement supérieur à son poids démographique. N’empêche que c’était un aveu que le Canada ne donne pas au Québec tous les pouvoirs pour se développer. D’ailleurs, il n’osait pas signer la Constitution.


En 2017, le gouvernement Couillard déposait sa « politique d’affirmation ». Le titre : Québécois, c’est notre façon d’être Canadiens. « Tous conviennent, avec le recul, que la non-adhésion du Québec au rapatriement a eu et a toujours des conséquences importantes pour la Nation québécoise et pour le Canada », y lisait-on.


Les libéraux soutenaient que « l’essentiel des conditions » du lac Meech demeurait d’actualité. M. Couillard s’empressait de préciser que ces demandes pourraient se régler sans rouvrir la Constitution. Mais il souhaitait tout de même, sans trop y croire, que le texte soit modifié pour y intégrer le Québec et les Premières Nations.


Le message derrière toutes ces démarches : sans être un goulag, la fédération ne permet pas au Québec de réaliser son « projet de construction nationale ».


Malgré tout, le député libéral Marc Tanguay a accusé M. Legault de ne pas voir « les succès du Québec au sein de la fédération canadienne ». Tellement qu’il a conclu par cette question inquisitrice : « Est-il en train de nous préparer un référendum, François Legault ? »


Cette stratégie se résume en un mot : « bouh ! ». Malheureusement pour le PLQ, elle n’effraie même plus les enfants.


L’indépendantisme relève plus de la pratique que de la foi.


Réconcilions donc le principe de charité avec le rasoir d’Okham grâce à une définition toute simple : un indépendantiste est une personne qui dit souhaiter l’indépendance du Québec et qui travaille à la faire advenir.


Selon tous les critères terrestres, cela ne correspond plus à M. Legault. Certes, si on permettait au chef caquiste de transformer le Québec en pays d’un coup de baguette magique, peut-être qu’il le ferait. Peut-être aussi qu’il érigerait un quatrième lien à Lévis. Tout cela est hypothétique. Chose certaine, dans sa vie éveillée, il est rendu ailleurs.


Cette étrange attaque prouve la panique des libéraux. Ils ne savent pas comment combattre leur nouvel adversaire fédéraliste.


La CAQ poursuit une tendance qui a déjà existé chez les libéraux. Elle gouverne en réclamant à Ottawa des pouvoirs et en se doutant qu’elle ne les obtiendra pas, et sans dire ce qu’elle fera en cas de défaite. Si c’est cela, de la lèse-majesté canadienne, alors le nationalisme agonise.


Ironiquement, le dernier gain de la CAQ est inspiré par une proposition de M. Couillard sur les juges de la Cour suprême. Selon l’entente conclue en 2019, le Québec peut nommer deux des huit membres du comité de sélection, puis transmettre son choix final au fédéral, qui peut l’ignorer.


Rien de radical. Au contraire, cela va en deçà de Meech.


Malgré la taille extralarge de ses drapeaux du Québec et sa prétention de parler au nom de la nation tout entière, M. Legault a choisi de s’accommoder du Canada.


Que les libéraux prétendent le contraire montre toute l’étendue de leur désespoir.




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