Des blessés arrivent, à bord d'un camion, à l'hôpital de Peshawar vendredi, après avoir été victime de l'attentat suicide de Shabqadar.
Photo Reuters
Mardi, l'Assemblée nationale du Québec a voté quasi unanimement pour une motion qui salue l'assassinat d'Oussama ben Laden comme un événement positif, susceptible de rendre la planète moins dangereuse.
Bien sûr, ce n'était pas écrit comme ça. Le mot «assassinat», en particulier, ne figure pas dans le texte de la motion. On n'y parle pas non plus directement de «victoire contre le terrorisme», terme utilisé dans la première version du texte, mais rejeté pour ses allures «Rambo».
Mais ces précautions langagières ne changent rien au fond des choses. À l'exception de la voix discordante d'Amir Khadir, les députés québécois ont applaudi la mort de l'ennemi numéro 1 des États-Unis comme s'il s'agissait d'un geste légal, moralement acceptable et porteur de retombées favorables.
Vraiment? Un double attentat a fait au moins 80 victimes, hier, au Pakistan. Il a été revendiqué par une organisation de talibans pakistanais qui dit avoir voulu venger la mort du chef d'Al-Qaïda.
En moins de quatre ans, la même organisation, Tehrik-i-Taliban, a commis quelque 450 attentats. Elle n'avait pas besoin d'une nouvelle raison pour continuer à tuer. Mais la mort de ben Laden ne l'en empêchera pas non plus. Même qu'elle dispose maintenant d'un nouveau slogan pour trouver des recrues. La mort de ben Laden a rendu le monde plus sûr? Douteux.
La question de la légalité de l'intervention soulève tout autant de doutes. On sait aujourd'hui que ben Laden n'était pas armé. Et que le supercommando américain ne s'est pas trop cassé la tête pour l'arrêter vivant.
Légalement, c'est acceptable en situation de guerre. «En vertu du droit de la guerre, on n'a pas besoin de frapper avant d'entrer pour tirer», résume Andrea Pasow, de Human Rights Watch.
Mais pour pouvoir se draper dans ce droit-là, les États-Unis auraient dû s'assurer que ben Laden «participait directement aux hostilités, qu'il avait un rôle opérationnel, et pas seulement symbolique», dit Mme Pasow. Ce qui n'a pas été démontré. Et ce n'est pas parce qu'il fantasmait sur un nouvel attentat, comme l'indiquent les extraits publiés de son journal, qu'il était en train d'en organiser un.
Le terme même de «guerre» pour qualifier la lutte entre les terroristes et les pays qu'ils ciblent est remis en question. «L'organisation relâchée et décentralisée d'un réseau terroriste ne permet pas de le classer comme une partie à un conflit», écrit le juriste Kai Ambos dans l'hebdomadaire Spiegel.
«Les terroristes, y compris Oussama ben Laden, sont des humains et, comme tels, ils ont des droits», ajoute-t-il. L'Allemagne a traduit en justice les membres de sa Fraction armée rouge. Les alliés ont jugé les nazis à Nuremberg. «Pourquoi les criminels d'Al-Qaïda devraient-ils être traités autrement?»
Toutes sortes de raisons ont été invoquées pour justifier l'exécution sommaire de ben Laden. Un procès peut facilement se transformer en cirque, a-t-on dit, citant l'exemple de celui de Saddam Hussein. Mais un procès qui dérape devrait conduire à une réforme du système judiciaire. Pas à son abolition!
Enfin, à supposer même que, en tuant ben Laden, le commando américain a agi légalement (les juristes sont divisés à ce sujet) et que la planète s'en portera mieux, il reste la question morale.
«La supériorité morale et politique d'une société libre et démocratique nous incite à traiter nos ennemis comme des personnes qui jouissent de droits minimaux et à ne pas agir comme eux - soit en barbares qui méprisent l'humanité», écrit Kai Ambos.
Quelques autres voix critiques se sont élevées dans le brouhaha des célébrations de la «victoire» contre ben Laden. Elles ne sont pas très nombreuses. Mais elles incitent, à tout le moins, à réfléchir. Dommage qu'elles n'aient pas été entendues à Québec.
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