Trudeau blâmé sévèrement par la commissaire à l’éthique

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15 millions de dollars de subventions pour l'Aga Khan par Pee Wee Trudeau

Non, Justin Trudeau et l’Aga Khan ne sont pas de véritables amis. Et pour cette raison, la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique conclut que le premier ministre s’est placé en situation de conflit d’intérêts en acceptant de séjourner sur l’île privée du philanthrope l’hiver dernier.



Le rapport tant attendu de la commissaire Mary Dawson a été déposé à Ottawa alors que la Chambre des communes a levé le camp il y a une semaine déjà pour le congé de Noël. Le rapport est accablant en ce qu’il conclut que le premier ministre a enfreint quatre articles de la Loi sur les conflits d’intérêts :




  • avoir accepté un cadeau qui pourrait raisonnablement donner à penser qu’il a été donné pour l’influencer (les voyages, car il y en a eu plus d’un) ;

     

  • ne pas s’être récusé de discussions concernant l’Aga Khan ;

     

  • ne pas avoir géré ses affaires personnelles de manière à éviter de se trouver en conflit d’intérêts ;

     

  • avoir utilisé un transport interdit (l’hélicoptère privé de l’Aga Khan).



Dès que son voyage familial à Bells Cay a commencé à faire les manchettes, le premier ministre a plaidé que sa famille entretenait une amitié avec l’Aga Khan depuis l’époque où son propre père était premier ministre. Comme la loi prévoit une exception pour les cadeaux provenant d’amis, M. Trudeau se défendait de l’avoir enfreinte.



Or, la commissaire Mary Dawson fait voler en éclats cette thèse. « M. Trudeau n’a eu aucun rapport privé ou personnel avec l’Aga Khan entre 1983 et 2013, une période de 30 ans », note-t-elle. Lorsque le philanthrope est venu au Canada, il n’a pas tenté de contacter M. Trudeau, même entre 2008 et 2013 lorsque ce dernier était député. « Rien n’indique non plus que la mère ou le frère de M. Trudeau ont eu des rapports personnels avec l’Aga Kahn après 1983, sauf lors des funérailles du père de M. Trudeau [en 2000] », continue la commissaire.



La commissaire conclut que la fameuse amitié entre les deux hommes ne s’est développée que lorsque Justin Trudeau est devenu important. « Tout porte à croire que l’amitié entre celui-ci et l’Aga Khan découle de l’élection de M. Trudeau au poste de chef du Parti libéral du Canada et, plus tard, de son accession au poste de premier ministre. » M. Trudeau conteste cette conclusion. « Elle a conclu qu’il ne s’agit pas d’un ami de la famille. Je le considère toujours comme un ami de la famille », a-t-il dit au cours d’un point de presse organisé pour réagir au rapport. « Je suis en désaccord avec cette conclusion-là de la commissaire. »



Trois fois plutôt qu’une



On apprend dans ce rapport que les Trudeau se sont rendus trois fois sur l’île privée de l’Aga Khan. La première fois fut pendant la période des Fêtes de 2014-2015 alors que M. Trudeau était encore seulement chef du PLC. La commissaire conclut que ce premier voyage ne contrevient pas au code régissant les conflits d’intérêts des députés.



Mais l’Aga Khan avait lancé une « invitation ouverte » à venir séjourner sur son île et la conjointe de M. Trudeau, Sophie Grégoire, a pris l’invitation au mot. En février 2016, alors que son mari est premier ministre, elle a contacté la fille de l’Aga Khan pour lui demander si elle pouvait séjourner sur l’île au mois de mars avec une de ses amies et leurs enfants. La demande a été acceptée. Justin Trudeau n’était pas de la partie, ni d’ailleurs aucun membre de la famille de l’Aga Khan. C’est encore Mme Grégoire qui a demandé en juillet 2016 si sa famille pouvait retourner sur l’île pour les vacances de Noël.



En 2016, un représentant de l’Aga Khan a demandé la tenue d’une réunion bilatérale officielle avec le premier ministre pour y discuter notamment d’une subvention de 15 millions de dollars que cherchait à obtenir le philanthrope pour un de ses projets en sol canadien. Le précédent gouvernement conservateur avait approuvé la subvention en 2015, mais son versement avait été retardé. L’Aga Khan a aussi joué l’intermédiaire diplomatique entre M. Trudeau et un pays qui se plaignait d’une société minière canadienne.



La commissaire conclut que M. Trudeau n’a pas « géré ses affaires personnelles » de manière appropriée. « Il pouvait prévoir — avant l’un ou l’autre des deux séjours — que l’Aga Khan et lui continueraient d’avoir des rapports officiels […]. Ni M. Trudeau ni sa famille n’auraient dû passer des vacances sur l’île privée de l’Aga Khan. »



De même, Mary Dawson estime que M. Trudeau aurait dû se récuser des discussions portant sur la subvention de 15 millions de dollars.



Le quatrième blâme de Mary Dawson est lié à l’utilisation par la famille Trudeau de l’hélicoptère privé de l’Aga Khan pour se rendre des Bahamas à Bells Cay, où aucun vol commercial ne peut se rendre. L’entourage de M. Trudeau avait plaidé que l’isolement de l’île constituait une « circonstance exceptionnelle » exemptant le voyage de l’application de la Loi, qui interdit aux titulaires de charge publique « les déplacements à bord d’un appareil privé ».



Il existait une autre solution, note la commissaire. Certes, elle aurait été compliquée — noliser un vol auprès de Flamingo Air pour se rendre sur l’île voisine, puis organiser un voyage par bateau pour terminer le trajet. Mais Mary Dawson estime que le voyage familial « n’avait rien d’inhabituel, d’imprévisible ou d’inévitable qui puisse permettre de conclure à l’existence de circonstances exceptionnelles ».



Pas de pénalité



Les quatre constats d’infraction n’entraînent aucune pénalité. Justin Trudeau a promis de ne plus récidiver. « Le rapport de la commissaire de ce matin indique clairement que j’aurais dû prendre des précautions et faire approuver à l’avance mes vacances en famille et mes interactions avec l’Aga Khan. Je suis désolé de ne pas l’avoir fait et, à l’avenir, je vais faire approuver toutes mes vacances en famille par le bureau du commissaire. […] Si j’avais à refaire ça, on aurait fait ça différemment. »



Les chefs de l’opposition ont vertement critiqué le premier ministre, rappelant que Justin Trudeau est le premier premier ministre de l’histoire à être déclaré officiellement en contravention de la Loi sur les conflits d’intérêts.



« Ce n’est pas comme si un ami du secondaire lui avait acheté un dîner ou un cadeau pour Noël. C’est une grande chose », a raillé en français le chef conservateur Andrew Scheer. M. Scheer déplore que M. Trudeau n’ait pas été plus prompt à répondre aux questions.



« C’est cela qui ébranle la confiance des gens, quand on dirait qu’ils cachent quelque chose. Et la meilleure façon de prouver que vous ne cachez rien, c’est de fournir tous les détails dès le départ et ne pas obliger les médias, l’opposition ou la commissaire à l’éthique à vous tirer les vers du nez. »



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