Travail des enfants dans la chaîne d’approvisionnement de LafargeHolcim

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Le cauchemar de l'Empire Desmarais


LafargeHolcim, le géant suisse du ciment, à nouveau plongé dans la tourmente? Un rapport rendu public le 3 mai 2017, accuse le leader mondial des matériaux de construction d’avoir produit pendant plus de dix ans son ciment avec un minerai extrait par des enfants en Ouganda [voir les articles sur LafargeHolcim publiés sur le site alencontre.org en date des 25 avril 2017 et du 8 mai 2017].


Le rapport fait suite à la publication d’une enquête publiée par Le Monde en mars 2016. Il est le fruit d’une longue enquête de terrain, menée pendant six mois dans l’ouest de l’Ouganda par l’ONG locale Twerwaneho Listeners’Club (TLC) et la fondation caritative suisse Pain pour le prochain (PPP).


Les deux organisations ont rapporté les témoignages de 54 personnes (dont 20 enfants), vivant dans la région de Fort Portal, où est située la cimenterie de la société Hima, filiale du groupe LafargeHolcim dans le pays. Celle-ci est alimentée quotidiennement en pouzzolane (roche volcanique utilisée dans la fabrication du ciment bon marché) par les multiples mines artisanales présentes dans la région, opérant à ciel ouvert et sans aucune forme de régulation.


Le rapport relève que «durant plus de dix ans, LafargeHolcim et ses fournisseurs ont profité du travail des enfants auprès des mineurs artisanaux» de l’ouest ougandais et estime à environ 150 le nombre d’enfants travaillant dans les mines artisanales de la région. TLC et PPP dressent un constat sévère, décrivant un travail des enfants pratiqué de manière «extensive» dans des conditions désastreuses: la majorité des mineurs a abandonné l’école, ils portent des blocs de rochers pesant plus de 15 kg sur les épaules, sont exposés à une poussière toxique, leurs corps sont couverts de plaies et de blessures. Les témoignages recueillis sont accablants et pointent l’irresponsabilité et la négligence du groupe industriel.


«A Hima, personne ne nous demande jamais où est-ce qu’on a trouvé le minerai», explique ainsi le chauffeur d’un camion, livrant la pouzzolane depuis les mines de Fort Portal jusqu’à la cimenterie d’Hima, dont la capacité de production est de 850 000 tonnes par an.


Les auteurs du rapport rappellent aussi que la situation observée à Fort Portal est malheureusement loin d’être exceptionnelle. Plus de la moitié des enfants ougandais de 5 à 17 ans travaillent, dont un quart dans des tâches considérées comme dangereuses.


L’Ouganda, pays enclavé et fortement dépendant des investissements extérieurs, a depuis trente ans ouvert grand ses portes aux entreprises étrangères, quitte à ne pas respecter les règles les plus élémentaires du droit du travail. Et ce alors que le pays a ratifié la plupart des conventions internationales sur la protection des enfants.


Contacté par Le Monde, LafargeHolcim assure au contraire «avoir pris les choses très au sérieux». Depuis un an, le géant industriel dit avoir lancé 49 audits, «menés à l’improviste» par des «auditeurs indépendants et qualifiés» dans les carrières fournissant Hima en pouzzolane. «Aucune de ces visites n’a montré d’exploitation minière artisanale effectuée par des enfants», soutient Saâd Sebbar, responsable de la région Moyen-Orient et Afrique chez LafargeHolcim.


«Bien contrôlée»


Pourtant, si la filiale Hima nie toujours avoir utilisé de la main-d’œuvre infantile, elle a malgré tout annoncé en janvier sa décision de cesser totalement d’acheter sa pouzzolane auprès des mines artisanales.


«En Ouganda, l’ensemble de notre pouzzolane vient maintenant exclusivement d’une seule mine. Celle-ci totalement mécanisée et bien contrôlée et il n’y existe aucun risque qu’un enfant y soit employé», affirme-t-on aujourd’hui chez LafargeHolcim, qui dit avoir également équipé les camions livrant la pouzzolane d’outils GPS. «Ainsi on peut surveiller leur parcours et on est certain qu’ils ne vont pas se fournir auprès d’une carrière non habilitée et non contrôlée par LafargeHolcim», explique M. Sebbar.


Une avancée qui ne satisfait pas les auteurs du rapport. «Par cette décision, LafargeHolcim réduit simplement ses risques de réputation sans mettre en œuvre des mesures pour garantir un avenir décent aux enfants qui travaillaient dans les carrières», soulignent TLC et PPP.


La décision de Hima, décidée sans suivi ni concertation, aurait déjà des répercussions graves selon le rapport: «Les enfants qui avaient abandonné l’école pour travailler dans les mines ont perdu leurs sources de revenus. Avec l’augmentation du chômage, la criminalité (…) a augmenté. Sans revenu, de nombreux parents ne peuvent plus payer la scolarité des enfants et les décrochages scolaires ont augmenté», explique-t-il.


Une attitude qui provoque la colère des mineurs ougandais de Fort Portal. En septembre 2016, une manifestation contre une première décision d’Hima de réduire son approvisionnement en pouzzolane en provenance des mines artisanales avait déjà dégénéré. Plusieurs camions avaient alors été attaqués. La police antiémeute avait dû être déployée.


Du côté de LafargeHolcim, on rejette en bloc les accusations. «Au contraire: énormément de choses ont été faites par LafargeHolcim dans la région de Fort Portal, comme la rénovation de 30 écoles, des bourses accordées aux étudiants, des programmes de sensibilisation contre la malaria et au sida, des aides pour la construction d’un réservoir d’eau potable… et ce, depuis 2008» énumère M. Sebbar.


L’affaire est donc loin d’être terminée pour LafargeHolcim. Le géant mondial du ciment, qui emploie 90 000 personnes dans 80 pays, plongé dans une série de scandales, doit faire face à plusieurs fronts. Début mars, suite à des révélations du Monde, LafargeHolcim avait reconnu avoir conclu des arrangements «inacceptables» afin d’assurer la sécurité d’une cimenterie en Syrie, entre 2012 et 2014. Des arrangements qui auraient profité à l’Etat islamique (EI). (Article publié dans Le Monde daté du dimanche 14 et lundi 15 mai, page 5, Economie & Entreprises; titre emprunté au «Résumé rapport» de PPP en date du mai 2017)


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Le rapport de Pain pour le prochain (PPP) peut être consulté en cliquant sur le lien suivant :




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