Chantiers simultanés

Superhôpitaux: un projet qui inquiète

CHUM

par Sara Champagne
À l’approche de la première pelletée de terre, de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que la construction simultanée de deux grands hôpitaux est une opération casse-gueule.
Ces gens, qui proviennent de différents milieux professionnels, osent affirmer que le Québec a des idées de grandeur qu’il n’a pas les moyens de se payer. Et plusieurs soutiennent qu’ils ne font que dire tout haut ce que la majorité silencieuse pense tout bas.
Le président de l’Ordre des architectes du Québec, André Bourassa, a été le dernier à jeter un pavé dans la mare, à la mi-novembre. Il a déclaré que la notion de développement durable serait sérieusement malmenée afin de ne pas dépasser les coûts de construction du vaisseau amiral du CHUM. «Ça n’a pas de sens de construire deux mégahôpitaux à Montréal en même temps», a-t-il servi comme avertissement aux participants à la consultation publique municipale sur l’implantation du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), au centre-ville.
La déclaration a donné du tonus à la coalition «Un seul CHU», formée en octobre dernier, par une poignée de nationalistes. À ce jour, plus de 2000 personnes – gens d’affaires, universitaires et entrepreneurs – ont signé la pétition du groupe, qui réclame des audiences publiques sur la pertinence de bâtir deux hôpitaux de pointe à Montréal.
À la tête de cette coalition, le psychiatre Denis Lazure, qui a été ministre des Affaires sociales sous René Lévesque, prédit que les deux bastions de la santé auront coûté au moins 5 milliards le jour de leur inauguration officielle.
«C’est complètement dément, c’est de la mégalomanie de la part du gouvernement, dit M. Lazure. Ce n’est pas la structure qui fait la qualité des soins.
On a laissé se dégrader les structures de l’hôpital Saint-Luc et de Notre-Dame, alors qu’on aurait pu les rénover et construire des nouveaux pavillons. Il est temps d’avoir un débat sur la question.»
Longtemps patron de la SICHUM, organisme responsable de la construction du
CHUM au 6000, rue Saint-Denis, Claude Béland s’inquiète pour sa part de voir deux immenses chantiers en même temps dans la métropole. «Lancer deux mégahôpitaux en même temps, c’est trop demander… On devrait les faire un après l’autre», soutient M. Béland, ancien président du Mouvement Desjardins.
M. Béland avait claqué la porte de la SICHUM, inquiet du laxisme administratif de la Corporation d’hébergement du Québec, qui pouvait engager des fonds de son organisme. Au moment de son départ, quelque 25 millions de dollars avaient été engloutis dans un projet condamné par le gouvernement libéral.
«M. Couillard dit vrai, ajoute M. Béland. Il ne sait pas quand le chantier va commencer ni quand cela va finir. Et il ne sait pas combien cela va coûter. Québec a beau chercher des entrepreneurs qui s’engagent à construire à un prix prédéterminé, je ne sais pas qui va s’embarquer là-dedans», dit-il.
Parole aux infirmières
L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), qui ne s’était pas vraiment prononcé publiquement sur la question, explique aujourd’hui à La Presse que les craintes sont nombreuses dans le milieu hospitalier. «Je crains des demi-mesures», résume la présidente de l’ordre professionnelle, Gyslaine Desrosiers.
Tout en précisant que le domaine de la santé a grandement besoin d’un milieu physique «propice aux soins» à Montréal, Mme Desrosiers se demande s’il restera de l’argent pour les budgets de fonctionnement une fois les milliards investis «dans le béton».
«On fonctionne déjà avec un plan de compression de 10 % du personnel infirmier, dit-elle. Est-ce que politiquement on va vraiment investir ? Je pense qu’il y a lieu de se questionner. Jusqu’à maintenant, les débats ont porté sur l’emplacement des centres hospitaliers, mais il n’y a jamais eu de réelles consultations sur les besoins en matière de soins», déplore-t-elle.
La Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ), abonde dans le même sens et déplore l’attitude «évasive» du ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, à ce sujet. «On souhaite des consultations sur les besoins fonctionnels, dit la présidente de la Fédération, Lina Bonamie. J’ai déjà vu une unité de soins intensifs avec une seule toilette au bout du corridor, et des portes trop étroites pour les fauteuils roulants ou pour sortir des lits. Construire un bâtiment est une chose, le faire pour des besoins hospitaliers en est une autre.»
Le président-directeur général du Collège des médecins, Yves Lamontage, croit que ceux qui veulent rouvrir le débat tergiversent et qu’on a le don, au Québec, «de faire un pas en avant pour un pas en arrière».
Le Dr Lamontagne ne renie cependant pas ce qu’il avait dit l’an dernier, alors qu’il remettait en doute l’idée d’avoir deux grands hôpitaux dans l’île. «On n’a pas d’argent. On n’est pas riches, mais on a des goûts de riches et on s’imagine que l’État doit tout payer tout le temps», avait-il dit.
«J’ai de toute façon prédit à l’un des mes confrères qu’on allait manger les pissenlits par la racine quand les CHU verraient le jour à Montréal. On a un problème de société, ici, qui consiste à gérer par consensus. Sauf qu’avec le consensus, on n’avance pas», ajoute-t-il aujourd’hui.
Avec la collaboration de Denis Lessard


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé