Débat des chefs

Stérile affrontement

Débat des chefs - Québec 2012


Pier-André Doyon - Étudiant en philosophie et littérature à l’Université Laval

Les gens sont las du débat des chefs, qui s’apparente à un match de lutte.
Nos politiciens, en période électorale, se gargarisent avec le mot changement. On l’entend partout sans trop savoir sa signification, et, surtout, si ce changement sera positif. Lors du débat des chefs de dimanche soir, Françoise David est celle qui a incarné effectivement le changement. Plutôt que de tomber dans le traditionnel combat de coqs auxquels nos trois politiciens de carrière étaient habitués, Madame David nous a proposé une nouvelle approche, celle qui devrait pourtant être la plus naturelle dans une société civilisée et celle qui est, sans l’ombre d’un doute, la plus efficace et respectueuse de l’électorat.
Pendant que les autres candidats se surveillaient pour voir où ils pouvaient faire le prochain croc-en-jambe à un adversaire, Françoise David écoutait. Elle posait des questions, écoutait les réponses et accordait même des points à ses collègues. N’est-ce pas là la manière la plus appropriée pour réellement bâtir quelque chose ? La coopération ?
Mme David a d’ailleurs utilisé l’approche mise en oeuvre par Québec solidaire dans les cercles citoyens. Elle n’agit donc pas seule, mais représente le mode de fonctionnement de son parti, qui est foncièrement différent de ce qui est offert dans le reste des partis traditionnels. Elle représente, tout comme son poste de porte-parole plutôt que de chef, un changement véritable et radical de la manière de faire de la politique.
Qu’on soit d’un avis ou d’un autre, bâtir le Québec se fera à plusieurs, et si les députés en chambre s’écoutaient plutôt que de se démolir, nous serions peut-être bien plus loin que nous le sommes aujourd’hui. Les gens sont las du débat des chefs, qui s’apparente à un match de lutte.
Pourquoi tolérons-nous chez nos chefs ce que nous ne tolérerions nulle part ailleurs ? En effet, imaginez pour un instant un remue-méninges de compagnie, ou encore, un collectif artistique qui échangerait sur les modalités d’un débat des chefs ou d’une session parlementaire. La dispute ferait tourner en rond les échanges et, bientôt, le projet serait abandonné. De plus en plus, dans les cours de philosophie pour les enfants, on apprend à nos jeunes à s’écouter, à comprendre les arguments des autres et à déceler les sophismes et erreurs de logique qu’ils pourraient commettre. Pas pour les remettre au nez des collègues, mais bien pour faire avancer. Un jour, nos jeunes seront plus aptes à diriger que nos politiciens, j’en tire beaucoup de réconfort.
Pas un concours de popularité
L’affrontement est stérile. J’aurais espéré d’un débat des chefs des politiciens qui exposent leurs solutions à des problèmes selon leur plateforme. Une discussion autour des solutions plutôt qu’une lutte à propos d’un pourcentage, d’une contradiction dans la vie d’un candidat ou d’un salissage.
On a soif de politique autrement, ce qui ne se passe pas tant dans les projets que dans la manière de la faire. La démocratie, ce n’est pas cette bouillie perfide qu’on nous sert au Québec. Ce n’est pas un concours de popularité, où le grand chef est choisi comme on choisit le grand gagnant d’un festival de lucha libre. La démocratie, c’est le pouvoir au peuple.
Dans le cas d’une démocratie représentative, il s’agit d’un peuple qui choisit des représentants selon leurs idées. Ces idées sont, au possible, tirées d’une volonté exprimée par ce peuple. Le débat des chefs devrait mettre en jeu des idées plutôt que des personnalités, et c’est ce que Françoise David a essayé de faire et qu’elle aurait pu bien mieux faire si ses adversaires n’avaient pas été si occupés à se taper dessus et à l’ignorer, elle qui les désarçonnait en sortant du mode de débat traditionnel.
Cette manière de faire de la politique, la manière qui accueille plutôt que de piéger, est enthousiasmante. On la voit dans les plus petits partis qui ont la chance de ne pas s’être fait prendre par l’establishment et les réflexes électoraux. C’est une manière de faire qui accueille le peuple dans l’ensemble de ses décisions plutôt que de le prendre pour un jury de concours. C’est une manière qui n’a pas peur d’aborder des sujets plus sensibles, comme l’éducation. Rappelons-nous que l’enjeu a été amené par madame David. M. Charest s’est empressé de lever le bouclier de l’intimidation et de la violence ; M. Legault et Mme Marois, visiblement mal à l’aise à l’idée de perdre des électeurs divisés sur la question, sont restés muets.
Le débat de fond sur cette question - et sur tant d’autres - n’a donc pas pu avoir lieu. Dans la nouvelle politique, il faudra aborder tous les sujets, et non seulement ceux qui nous font gagner des votes. Plutôt que de s’adresser à l’affectif du peuple, la nouvelle politique proposée par les nouveaux partis s’adresse à son intelligence et lui demande de faire sa part pour nous aider à pousser une idée qui pourrait faire grandir le Québec.
Cette manière de faire, c’est la manière d’expliquer pourquoi on croit que notre idée est bonne plutôt que d’expliquer pourquoi l’idée de notre adversaire est moins bonne que la nôtre. Je la vois dans mon implication à Option nationale et je la vois chez mes amis militants à Québec solidaire. Les militants de ces deux partis sont fiers de leurs programmes et non pas seulement de la personnalité de leurs chefs.
Ils cherchent aussi de nouveaux moyens de rejoindre l’électorat, pas pour les convaincre d’un vote, mais pour leur exposer un projet et son bien-fondé. Nous l’avons vu dimanche avec la campagne de déploiement ONdébat sur Twitter et les capsules vidéo des candidats d’Option nationale. Cette manière d’agir est beaucoup plus respectueuse des électeurs, mais aussi plus lucrative pour les partis, qui ne gagnent pas seulement des votes, mais bien souvent des militants. […]


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