Souveraineté : pour un pays solidaire

Discours prononcé par Françoise David le 9 novembre dernier lors d'un colloque sur l'avenir du souverainisme.

À la conquête de soi


« J’écoute Pierre Lapointe, ces temps-ci et j’aime particulièrement la chanson « deux par deux rassemblés ». Il dit ceci :
« Une fois deux par deux rassemblés

Nous partirons le poing levé

Jamais la peur d’être blessés

N’empêchera nos cœurs de crier

Non, ce n’est sûrement pas de briller

Qui nous empêchera de tomber

Non ce n’est sûrement pas de tomber

Qui nous empêchera de rêver »
Je ne veux pas faire dire à Lapointe ce qu’il ne voudrait pas dire mais ces mots-là expriment ce qu’est aujourd’hui, pour moi, le projet souverainiste.
La souveraineté, si on veut qu’un jour elle se réalise, il faut y croire et y travailler maintenant. Même si elle est à 40% dans les sondages. Même si une bonne partie de la population n’a pas tellement envie d’en reparler et d’être divisée sur ce sujet. Même si plusieurs croient désormais, bien à tort, qu’il n’y a plus de frontières entre les pays et donc, que la souveraineté, c’est dépassé. Même si une partie trop importante de nos concitoyens-nes songent à voter pour les conservateurs aux prochaines élections fédérales.
Y croire, pourquoi ?
Les souverainistes l’ont souvent dit : pour que le peuple québécois décide lui-même, complètement, de l’avenir du Québec. Pour protéger et développer le fait français en Amérique. Pour éviter les dédoublements inutiles avec Ottawa, les disputes stériles, les négociations interminables. Pour décider nous-mêmes de nos objectifs et de nos stratégies en matière de commerce et de relations internationales. Pour ne pas être soumis à des décisions fédérales que nous désapprouvons : la guerre en Afghanistan, le retrait canadien de Kyoto, la répression accrue de la délinquance, les certificats de sécurité, etc. Bref, il y a vraiment de bonnes raisons pour désirer se donner un pays.
Mais pour Québec solidaire, il y en a une autre. Nous voulons un pays parce que nous voulons nous donner les moyens de vivre dans une société plus juste, plus égalitaire, plus écologiste, pacifiste, altermondialiste. Ce ne sont pas que des mots.
Le Québec est aujourd’hui et plus que jamais, à la croisée des chemins. Des forces inégales s’opposent vigoureusement : d’un côté du ring, ceux (rarement celles !) qui dirigent, gouvernent, décident, choisissent, organisent…une société de plus en plus inégalitaire. Une société où sont valorisés la compétition débridée, l’individualisme, la course aux profits y compris par les guerres, un développement qui fait fi de l’environnement, la surconsommation, l’endettement individuel sans limite, et un État minimal qui se prive lui-même des moyens d’agir en baissant les impôts à répétition.

Et tout ça, ça donne quoi ?
- des promoteurs aux portes de Montréal qui rêvent de transformer l’île Charron en complexe immobilier de luxe ;
- une autoroute 25 dont les Montréalais ne veulent pas mais qui leur est imposée par décret gouvernemental ;
- deux ports méthaniers alors que le Québec a ce qu’il faut pour développer des énergies vertes ;
- une guerre en Afghanistan rejetée par la population québécoise mais où meurent quand même de jeunes soldats québécois;
- la pauvreté accrue des personnes à l’aide sociale ou au salaire minimum et le recours de plus en plus notable aux œuvres de charité pour compenser l’insensibilité de l’État ;
- des milieux de travail où l’on parle anglais parce que, que voulez-vous, « mondialisation oblige » !
- la privatisation annoncée de grands pans d’un système de santé qui, malgré ses problèmes, pourrait faire l’envie de bien des peuples dans le monde.
Formidable, non ?

De l’autre côté du ring, on retrouve celles et ceux qui se sentent comme des grappes de saumon en train de travailler fort pour remonter le courant d’une rivière. Celles et ceux que l’on taxe d’utopistes parce qu’ils parlent simplement avec lucidité et bon sens. Que disent ces gens-là ?

-Que le développement durable n’est pas qu’un concept. C’est la seule issue pour une planète malade de guerres absurdes et meurtrières, de pillages insensés de ressources bientôt épuisées, de mers changées en nappes de sel, de l’illusion de la croissance à tout prix, d’ inégalités aussi scandaleuses que parfaitement évitables.

-Que l’État doit être ce lieu démocratique où sont votées des politiques visant le bien commun, où sont redistribuées les richesses, où les droits et libertés sont défendus âprement, où des services publics sont dispensés pour que les jeunes, les familles, les aînés, aient un accès égal et équitable à la santé, à l’éducation, au logement, etc.

-Que la richesse qui existe au Québec, quoiqu’en disent certains, doit être partagée. Puisque les « êtres humains naissent libres et égaux et dignité et en droits », pourrait-on m’expliquer comment il se fait que nous acceptions aussi facilement que certains accumulent des richesses colossales pendant que d’autres, la majorité, tentent d’arriver à la fin du mois ou encore font face régulièrement à la précarité ? Pourquoi les riches paient-ils de moins en moins d’impôt pendant que c’est tout le contraire pour les personnes aux revenus modestes ?

Et ces indécrottables idéalistes dont je suis, parlent d’une société où les droits des minorités sont protégés contre des majorités parfois injustes, inconscientes ou frileuses. Ces temps-ci il faut rappeler ce devoir de l’État et de toute la société.

Québec solidaire est donc souverainiste. Souverainiste parce que nous avons besoin d’un pays pour réaliser nos objectifs dans toute leur complexité. La souveraineté ne garantit pas que le Québec vivra à gauche, et écologiquement. Mais elle permet qu’un peuple décide entièrement par lui-même dans quel monde il veut évoluer. Elle donne à ce peuple et à ses gouvernements les moyens d’agir en toute légitimité.

Comment y arriver dans un contexte où de larges pans de la population, y compris chez les francophones, hésitent à se relancer dans un débat référendaire ?

D’abord, en décidant qu’il nous faut reprendre la discussion avec nos concitoyennes et concitoyens sur l’avenir politique du Québec. Pas dans 5 ou 10 ans, mais dès maintenant sans nous égarer sur des chemins de traverse comme une loi sur l’identité québécoise. Parlons de souveraineté, parlons-en clairement et franchement !

Reprendre la discussion non seulement sur le projet de pays mais sur les valeurs associées à ce projet. Car à quoi bon un pays où nous sommes les porteurs de gaz des autres ? À quoi bon un pays où des alliances militaires nous obligeraient à travailler main dans la main avec des gouvernements étatsuniens conservateurs ? À quoi bon un pays si c’est pour permettre aux pilleurs institutionnalisés de ce monde de se servir chez-nous et de garder les richesses pour eux ?

Comment reprendre le débat sur le pays ?
Québec solidaire propose de redonner au peuple québécois l’initiative d’organiser un débat collectif. Les partis souverainistes ne sont pas les seuls ni les premiers dépositaires de ce grand projet mobilisateur : décider de l’avenir politique du Québec et des valeurs qui y seront associées.

Nous proposons donc la mise en place d’une assemblée citoyenne, une assemblée constituante, qui aurait le mandat d’organiser partout au Québec des débats sur deux questions : le statut politique du Québec et la constitution dont le Québec devrait être doté.

Cette assemblée citoyenne serait élue au suffrage universel et comprendrait des personnes de toutes les régions, de milieux diversifiés et de divers courants politiques. La parité entre les hommes et les femmes devrait être obligatoire. L’assemblée serait indépendante des partis politiques mais disposerait de ressources fournies par le gouvernement du Québec afin de réaliser son mandat. Elle devrait comprendre des représentants-es des Premières nations, de la nation inuite et de la communauté anglophone de même que des personnes appartenant à diverses minorités culturelles. Elle disposerait aussi du temps nécessaire pour mener à bien son travail. Car l’avenir d’un peuple exige du temps pour que tous et toutes s’approprient un débat complexe et émotif.

Au terme de ce débat, viendrait un référendum à deux volets : une question portant sur l’avenir politique du Québec, l’autre, sur un projet de constitution.

Pourquoi cette avenue nous paraît-elle prometteuse ?
D’abord, parce que le fait de lier avenir politique du Québec et constitution peut avoir un effet très mobilisant sur la population. Car qu’est-ce qu’une constitution sinon de retrouver noir sur blanc la liste prioritaire des valeurs, droits et libertés auxquels nous sommes attachés et les institutions politiques dont nous voulons nous doter ? Lorsque nous discutons de l’avenir du Québec, il est bien plus stimulant de dessiner les contours du pays que nous voulons que de donner un chèque en blanc à un parti politique quel qu’il soit.

Il serait extrêmement intéressant pour la société québécoise d’exercer son droit démocratique à la prise de parole sur ces questions. Les Québécoises et les Québécois participent généreusement aux consultations populaires lorsqu’elles existent et surtout lorsqu’elles sont disponibles dans toutes les régions.

Ensuite, l’avantage d’une assemblée constituante est de répondre à la lassitude de nombreux citoyens et citoyennes qui sont de moins en moins enclins à faire confiance au parti politique qui a été par le passé le principal porteur du projet souverainiste. Le Parti québécois, a posé des gestes contestés largement lorsqu’il était au pouvoir. On n’a qu’à penser à la précipitation avec laquelle le gouvernement de Lucien Bouchard a voulu arriver à l’équilibre budgétaire. Les conséquences pour le système de santé ont été dramatiques et nous en payons le prix encore aujourd’hui. Beaucoup de gens associent le projet souverainiste au seul Parti québécois et cela ne leur donne pas le goût de dire oui au pays.

Nous avons, avec l’assemblée constituante, une belle occasion de dire à nos concitoyennes et concitoyens que nous leur faisons confiance. Comme partis politiques, nous pouvons, avec modestie, soutenir des personnes de milieux très diversifiés pour qu’elles prennent en main la discussion sur l’avenir du Québec. C’est aussi une belle manière de rompre avec un sentiment d’impuissance trop répandu « de toute façon, tout est décidé d’avance ». Eh bien non, car les souverainistes s’exprimeront vigoureusement dans ce débat…mais les autres aussi : fédéralistes, autonomistes, hésitants, désabusés… Et je suis, nous sommes convaincus à Québec solidaire, qu’au terme d’une discussion sérieuse, documentée, inclusive, la population du Québec fera un choix éclairé et sans doute mobilisant !

Certains nous disent que le risque associé à une telle démarche est trop élevé pour les souverainistes : s’il fallait que la population décide de demeurer au sein d’une fédération canadienne renouvelée et décentralisée ! Évidemment, ce risque existe. Mais nous croyons que, de toute façon, la méthode habituelle, une campagne intensive suivie d’un référendum a montré sa limite. À Québec solidaire, nous sommes partisans d’une démocratie vraiment participative. Nous ne voulons pas « vendre » la souveraineté comme une marque de savon mais plutôt débattre avec nos concitoyens et nos concitoyennes des obstacles à l’épanouissement du Québec et des façons de les surmonter. Parmi lesquels la souveraineté. Une souveraineté populaire, un pays dont tous et toutes sont les membres à part entière.

Ce qui m’amène à réfléchir sur les soubresauts qui agitent la population québécoise ces jours-ci.

Le débat sur les accommodements raisonnables a fait surgir au cœur de la société québécoise des démons dont nous nous serions bien passés. Oui, il y a eu des demandes déraisonnables et des réponses qui l’ont été tout autant. Mais fallait-il, partant de quelques faits isolés monter de toute pièce une tragédie nationale ? Fallait-il faire des immigrants les boucs émissaires des malaises et des insécurités de la majorité de souche canadienne-française ? Fallait-il vraiment, en voulant faire vibrer la corde d’un « nous »identitaire, (lequel ?) déposer un projet de loi qui envoie le message que le problème pour la survie du fait français, ce sont les 9% d’immigrants que nous trouvons au Québec?

À toutes ces questions, Québec solidaire répond fermement non. Un non souverainiste et de gauche.

J’ai visité récemment, dans ma circonscription, une école de français pour immigrants. Cent cinquante personnes, de 20 à 70 ans qui, quatre matins par semaine, apprennent le français. Il y en a autant qui attendent une place. Le problème ? un manque de fonds criant. C’est à cela qu’il faut s’attaquer de toute urgence. À cela mais aussi à la non-reconnaissance des diplômes des immigrants, au racisme qui s’exprime dans l’embauche et dans l’accès au logement, aux préjugés et à l’ignorance. L’intégration des nouveaux arrivants passe par ces mesures bien plus que par un contrat moral que plusieurs québécois dits « de souche » auraient de la difficulté à signer !

Bien sûr, la société québécoise ne reculera pas sur les valeurs qu’elle a adoptées dans une lente évolution sur plusieurs siècles. Bien sûr, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas négociable. Il faudra le dire à tous, pas seulement aux immigrants. Oui à la laïcité…mais s’il y a une leçon que nous pouvons retenir de la commission Bouchard-Taylor, c’est que l’intégrisme ne sévit pas que chez une minorité musulmane, c’est plutôt une attitude répartie équitablement entre toutes les religions. Et c’est inquiétant !

Il faut par ailleurs refranciser les entreprises, y compris celles qui comprennent moins de 50 employés. Soutenir tous les enfants du Québec dans l’apprentissage du français. Il n’y a pas que les personnes immigrantes qui ont des difficultés avec le français écrit, n’est-ce pas ?

Le projet souverainiste que nous choisissons, à Québec solidaire, c’est celui d’un pays accueillant et ouvert aux différences. Un pays où la langue commune est le français. Un pays aux valeurs affirmées vigoureusement dans une constitution adoptée suite à un grand débat populaire. Un pays où l’on apprend les uns des autres. Un pays ouvert aux peuples du monde avec qui nous avons en partage le combat pour que notre planète guérisse des maux qui l’accablent. Un pays où toutes les femmes, tous les hommes, vivent dignement et sont invités à participer pleinement à l’épanouissement social et culturel de toute la société.
- source


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé