Signes religieux: la Charte se bute à un écueil

«Immense avancée pour le Québec» selon Bernard Drainville, le projet suscite pourtant une kyrielle de critiques

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Le Devoir a choisi son camp

Québec — Le ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, Bernard Drainville, a présenté la Charte des valeurs québécoises comme « un progrès exceptionnel, une immense avancée pour le Québec ». Mais le projet n’a pas manqué de susciter une kyrielle de critiques en raison surtout de la prohibition des signes religieux imposée afin d’assurer la neutralité de l’État.
« La neutralité de l’État, ce n’est pas une espèce de patente qui flotte dans les airs. La neutralité, elle doit s’incarner à travers les personnes », a affirmé Bernard Drainville en rendant public mardi un document d’orientation de 21 pages « en matière d’encadrement des demandes d’accommodement religieux, d’affirmation des valeurs de la société québécoise ainsi que du caractère laïque des institutions de l’État ».

« Le temps est venu de nous rassembler autour de règles claires et de valeurs communes qui mettront un terme aux tensions et aux malentendus, des règles et des valeurs qui seront source de bonne entente, d’harmonie, de cohésion », a fait valoir le ministre.

Mais de la bonne entente, il n’y en avait pas à Québec, où les trois partis d’opposition se sont prononcés contre l’interdiction faite aux employés de l’État de porter un signe religieux dit ostentatoire. Réprobation unanime aussi à Ottawa, où même le Bloc québécois exprimait des réserves au regard d’une interdiction générale tandis que le gouvernement Harper menaçait de contester la future loi québécoise devant les tribunaux.

La Charte s’appuie sur quatre valeurs, dont la première est l’égalité entre les hommes et les femmes, « un acquis fragile », selon Bernard Drainville. Suivent l’égalité de tous, la neutralité religieuse de l’État et le respect du patrimoine culturel québécois, un concept qui permet de conserver le crucifix à l’Assemblée nationale, malgré la neutralité que doit afficher l’institution, de même que les sapins de Noël dans les officines étatiques.

Les signes religieux

Le projet du gouvernement Marois contient cinq propositions. Il comprend l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires par l’ensemble des employés du secteur public et parapublic, y compris les enseignants du primaire et du secondaire, ainsi que le personnel des centres de la petite enfance (CPE) et les garderies privées subventionnées. La garde en milieu familial n’est pas visée, ni les écoles et collèges privés.

Bernard Drainville a expliqué la « hiérarchisation » que le gouvernement a appliquée : d’abord, les agents contraignants de l’État, comme les juges et les policiers, puis l’ensemble des fonctionnaires, parce qu’ils sont « le bras agissant de l’État ». Enfin, les enseignants et le personnel des CPE et des garderies privées. « On a décidé de protéger les enfants, qui sont une clientèle influençable et plus vulnérable, a signalé le ministre. On ne souhaite pas que les enfants soient exposés à quelque influence religieuse que ce soit. On pense que ce choix-là, cette décision-là, appartient aux parents. »

L’interdiction s’étend aux employés des municipalités, du réseau de la santé et des services sociaux, des cégeps et des universités. Mais ces entités pourront se prévaloir d’un droit de retrait pour une période de cinq ans renouvelable. Or, si cette exemption est renouvelable, elle est perçue par le gouvernement Marois comme étant temporaire. « La clause de retrait, pour nous, c’est une mesure de transition », a indiqué Bernard Drainville. « On veut leur donner le temps de s’ajuster, mais on ne veut pas que cette clause devienne une façon de se sortir systématiquement du cadre. » Le gouvernement se croise les doigts pour que « le plus petit nombre d’organisations possible aient recours à cette exception ».

Le port de signes religieux qui ne sont pas jugés ostentatoires comme une petite croix chrétienne, une bague avec l’étoile de David ou une boucle d’oreille avec le croissant et l’étoile islamiques - ce sont des exemples illustrés dans un dépliant gouvernemental - sera toutefois permis. En revanche, le port d’une croix plus volumineuse, du hidjab, du turban, de la burka et de la kippa est proscrit. « Le gros bon sens » guidera les responsables des ressources humaines de l’État pour déterminer la taille des signes acceptables, croit le ministre.

Les élus, qu’ils soient de l’Assemblée nationale, des municipalités ou des commissions scolaires, pourront, eux, arborer sans contrainte des signes religieux. Les élus sont soumis au test démocratique, à la volonté populaire, a argué le ministre. « La population québécoise décidera si elle veut avoir une première ministre voilée ou pas. »

Pression de l’opinion publique

Pour infléchir l’opposition manifestée par ses adversaires politiques, le gouvernement Marois compte sur la pression de l’opinion publique. « J’en appelle aux Québécois et je leur dis : mettez-vous sur votre téléphone, appelez vos députés, a dit Bernard Drainville. On veut, justement parce qu’on est minoritaire, arriver avec le meilleur rapport de force possible. »

Dans cette optique, le gouvernement Marois dépensera 1,9 million au cours de l’automne en publicités et pour un site Web où les citoyens seront appelés à donner leur opinion. Un dépliant sur le thème de « Parce que nos valeurs, on y croit » sera distribué dans tous les foyers. La véritable consultation aura lieu après le dépôt d’un projet de loi, dépôt qui aura lieu avant la fin de la session d’automne.

En plus de l’interdiction des signes religieux, le gouvernement propose de modifier la Charte des droits et libertés de la personne pour y inscrire la neutralité religieuse de l’État ainsi que des balises pour encadrer les demandes d’accommodements. Ces demandes devront passer quatre tests : l’accommodement devra mettre fin à une pratique discriminatoire, il devra respecter l’égalité hommes-femmes, il devra être raisonnable (ne pas imposer de contraintes excessives à l’organisation ou à l’entreprise), et dans le secteur public, il ne devra pas remettre en cause la neutralité religieuse de l’État.

Tout service public devra être reçu à visage découvert, comme le prévoyait le projet de loi 94 auquel le gouvernement libéral n’a pas donné suite. Enfin, on compte instaurer une politique gouvernementale afin d’assurer la neutralité de l’État.


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