Siemens-Alstom : le train sifflera drei fois

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Grande braderie à la française (1)

La fusion entre les géants français et allemands dans le secteur du rail est censé donner naissance à un “airbus du ferroviaire”. Mais l'accord paraît en réalité plus bénéfique à la partie allemande.


Le TGV et l’ICE (train rapide allemand) sous un même toit. Mais dans quelle maison : européenne ou allemande ? Le mariage dans le rail entre le Français Alstom (constructeur des TGV) et l’Allemand Siemens (concepteur des ICE), annoncé mardi 26 septembre, a été présenté comme l’acte de naissance d’un "Airbus du ferroviaire" par le gouvernement français. Mais les détracteurs du projet critiquent un accord qui laisse au partenaire allemand les clés du groupe.


Sur le papier, ce rapprochement ressemble à ce que Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du ministère de l’Économie, appelle à un "mariage entre égaux". Le PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, prendra la tête du nouveau groupe, le siège restera en région parisienne, tout comme les centres de recherche et développement. L’Allemagne hérite, pour sa part, du siège de la "Mobility solutions business" – qui s’occupe des projets les plus innovants –, et Jochen Eickholt, le directeur de Siemens mobility, conservera “une responsabilité importante" au sein du nouvel ensemble.


Siemens détiendra 50,5 % du nouvel ensemble


Mais, en pratique, le train sifflera plutôt "drei" que trois fois. L’accord entre les deux groupes prévoit que Siemens deviendra actionnaire principal de l’ensemble avec 50,5 % des parts du groupe. Le conglomérat bavarois pourra, en outre, désigner six membres sur les onze du futur conseil d’administration, dont le président. Ce n’est pas pour rien que le groupe s’appellera Siemens-Alstom et pas l’inverse. "C'est l'Allemagne qui rachète la France et Monsieur Macron nous brade", a déploré Laurent Wauquiez, vice-président LR.


L’État français est aussi accusé de se désintéresser de l’avenir d’Alstom. Le gouvernement aurait, en effet, pu devenir actionnaire du nouvel attelage franco-allemand. Il avait un droit de rachat prioritaire sur les actions Alstom détenus par Bouygues… qu’il n’a pas exercé.


Autant pour la comparaison avec Airbus, dont une partie du capital est détenu par l’État français. “L'État n'a pas vocation à être assis sur un strapontin dans les conseils d'administration (…) sans pouvoir intervenir", a justifié le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire. Comprendre : il ne servirait à rien de dépenser de l’argent pour acquérir une participation qui ne permet pas de peser sur les décisions du futur groupe.


Le gouvernement français estime, en outre, que les garanties obtenues pour Alstom (rôle du PDG Henri Poupart-Lafarge, localisation du siège) suffisent pour préserver les intérêts de la partie française. À court terme peut-être, rétorquent les détracteurs de cette fusion. L’accord prévoit, en effet, qu’après une période de quatre ans, Siemens pourra accroître son contrôle sur ce nouveau numéro 1 européen du rail (et numéro 2 mondial). Le groupe allemand pourra même avaler purement et simplement le TGV.


Sus au CRRC chinois


Mais Bruno Le Maire juge qu’il s’agit malgré tout du meilleur accord possible dans les circonstances actuelles. "Que n'aurait-on dit si un accord (était) conclu entre Bombardier et Siemens ?", a-t-il dit. "Nous aurions été fragilisés." Car pour les partisans du rapprochement franco-allemand, il s’agit d'un mariage de raison face à la concurrence chinoise. Siemens-Alstom existerait pour faire barrage à la CRRC (China Railway Rolling Stock Corporation). Le géant public chinois pèse presque deux fois plus que le nouveau mastodonte européen (28 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour la CRRC contre 15,3 milliards pour l’ensemble Siemens-Alstom) et semble avoir des appétits d’Europe. Après s’être imposés en Chine, les trains et métros du groupe chinois sont partis à la conquête de l’Amérique du Sud (notamment au Brésil) et de plusieurs villes américaines (Chicago et Boston). L’Europe serait la prochaine étape. Le concurrent chinois d’Alstom et Siemens est près de 30 % moins cher, sans pour autant proposer une offre technologiquement low-cost.


L’union entre Siemens et Alstom permettra à l’Europe de présenter un front uni contre le géant chinois. Encore faut-il que l’Allemand considère le ferroviaire comme une priorité. Le géant bavarois a de multiples cordes à son arc industriel – la santé, l'énergie, les télécom – et essaie actuellement de se réorganiser. En 2014, il était déjà prêt à céder ses trains à… Alstom contre l’activité énergie du Français. Depuis quelques années déjà, le groupe mise de plus en plus sur le numérique dans l’industrie. Le TGV et l’ICE auront-il une place dans le Siemens du futur ? Rien n’est moins sûr, d’après Le Monde, qui évoque un scénario socialement catastrophe : Siemens peut avoir accepté ce mariage dans l’optique de faire un profit en revendant, dans un futur plus ou moins proche, les activités ferroviaires à un concurrent. Dans cette hypothèse, rien ne garantira plus le maintien de l’emploi dans les usines françaises d’Alstom.