Séisme géopolitique

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Renversement d'alliances en cours. Le double jeu des États-Unis

Le 10 juin 2014, avec la perte de Mossoul — seconde ville d’Irak, voisine de la Syrie —, l’armée de Bagdad subissait une humiliation aux mains des djihadistes de l’État islamique (EI), cette organisation qui prétend instaurer le « califat », et qui applique à la lettre son interprétation des textes musulmans, coupant des têtes et des mains, attaquant les minorités religieuses, réduisant les femmes à l’esclavage.

Cette prise de Mossoul fut un énorme signal d’alarme pour les capitales occidentales. Elles découvraient soudain les affres d’un nouveau djihad conquérant, médiéval par sa pensée mais ultramoderne par certaines de ses méthodes, capable de contrôler des territoires importants.

Depuis neuf mois, les Occidentaux sont obsédés par les histoires de décapitations d’otages, de jeunes qui partent en « terre de missions » ou qui choisissent de frapper chez eux (à Paris, à Copenhague ou à Saint-Jean-sur Richelieu…) en s’inspirant de la communication efficace de ces nouveaux marchands de mort. Sans oublier la destruction d’artefacts et de sites archéologiques inestimables, à Mossoul et aux alentours. Adieu Assyrie et Nabuchodonosor…

Après la chute de Mossoul — précédée de Falloudja, suivie de Tikrit et d’autres villes —, les Occidentaux ont remobilisé, dans cette Babylone qu’ils croyaient avoir laissée à tout jamais en 2011, après les cauchemars du fils Bush. Une opération militaire a vite suivi, à l’été 2014, avec la mise en place d’une « coalition » arabo-occidentale censée, du haut des airs, aider le gouvernement irakien et les rebelles non islamistes de Syrie à reconquérir le terrain perdu. Avec quelques succès, comme la victoire de Kobané, au nord de la Syrie, où les Kurdes ont retrouvé leur ville… à l’état de ruines.


S’il est un pays directement concerné qui n’a pas perdu son temps, c’est l’autre grand voisin de l’Irak, sur son flanc est : l’Iran, ex-ennemi à l’époque de Saddam Hussein… devenu l’omniprésent Grand Frère chiite, grâce à l’invasion américaine qui a ouvert un boulevard à l’influence des ayatollahs en Irak.

On découvre aujourd’hui, non sans effarement, que les Iraniens tirent de plus en plus de ficelles en Irak : économiques, politiques… mais aussi militaires. D’ailleurs, à Tikrit, où une offensive en règle est en cours depuis huit jours, ce sont littéralement des Gardiens de la révolution iraniens — autant sinon plus que l’armée d’Irak proprement dite — qui mènent le bal contre l’État islamique.

Voilà où on en est : le grand pays chiite iranien guerroie en Irak (mais aussi à l’ouest et au sud de la Syrie) contre les extrémistes sunnites.

C’est donc une guerre chiite-sunnite, mais aussi une guerre de projection, par Téhéran, de sa puissance nouvelle, sans doute avec l’idée de consolider un « pays chiite » irakien. Quitte à laisser partir, à l’ouest, des lambeaux de « pays sunnite » (mais le moins possible) ainsi qu’un « pays kurde », au nord, dont les contours, au fait, existent déjà.

Que font les Américains, à nouveau présents en Irak avec avions et conseillers ? Curieusement, à Tikrit, ils s’abstiennent de fournir un soutien aérien contre l’EI, comme ils l’avaient pourtant fait en d’autres lieux à l’automne. Soit qu’ils sont mal à l’aise devant la spectaculaire démonstration de force iranienne. Soit, au contraire, qu’ils s’en accommodent très bien et font confiance aux troupes de la Force al-Qods de Téhéran pour faire reculer des djihadistes sunnites devenus l’ennemi principal.

Sur le terrain en Irak, depuis six mois, Washington a toujours nié quelque coordination que ce soit avec l’Iran. Mais c’est un secret de Polichinelle que, par le biais d’officiers irakiens, une telle coordination existe de facto : aux Iraniens l’appui au sol avec fantassins et généraux, aux Américains le soutien aérien…


Tout cela se déroule en Irak, alors même que — malgré l’intervention sans précédent de Benjamin Nétanyahou, la semaine dernière à Washington pour dénoncer le « danger nucléaire iranien » — une entente historique se dessine entre l’Iran et ses interlocuteurs de la communauté internationale. Tout particulièrement, Barack Obama et John Kerry semblent de plus en plus clairement désirer, d’ici la fin mars, la signature d’un protocole avec Téhéran sur le contrôle de son programme nucléaire.

Printemps arabe avorté. Explosion du djihad sunnite. Rapprochement irano-américain. Refroidissement avec Israël et l’Arabie saoudite. Fractionnement de la Syrie et de l’Irak… Nous assistons à un véritable séisme géopolitique au ralenti, dont le Moyen-Orient sortira bouleversé.


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