"Le rêve de Champlain"

Samuel de Champlain, l'humaniste

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire



Champlain le navigateur est passé des dizaines de fois près de l'«Isle Percée» qui comptait à l'époque deux arches.
Illustration tirée du livre Le rêve de Champlain


Daniel Lemay La Presse - Le rêve de Champlain, de l'historien américain David Hackett Fischer, est un ouvrage magistral qui nous fait découvrir des facette nouvelles du fondateur de «Quebecq» et père de la Nouvelle-France.
Il y a 400 ans, le 28 mai 1611, Samuel de Champlain arriva au grand sault du Saint-Laurent, à la recherche d'un «lieu propre pour la situation d'une habitation». À une lieue (5 km) des rapides, il trouva bientôt une clairière en friche où les «sauvages» avaient jadis cultivé du maïs, la nomma «Place Royalle» et y fit construire une maison «pour voir comment elle se conserverait durant l'hiver».
Comme à son habitude, le commandant de la Nouvelle France cartographia ensuite les rives du grand fleuve et ses îles. Sur la rive nord, il écrivit «Montréal» -du nom donné 85 ans plus tôt par Jacques Cartier (mont Réal) à la montagne s'élevant non loin de là- et baptisa du nom de Sainte-Hélène la grande île entre les deux rives, peut-être en l'honneur d'Hélène Boullé, sa nouvelle épouse âgée de 12 ans.
Le grand roi Henri IV, ami et protecteur de Champlain, était mort assassiné l'année précédente et la régente, à l'instar de ses ministres, ne croyait pas à la Nouvelle-France. L'habitation de Montréal mettra 30 ans avant de devenir le troisième établissement français permanent en terre d'Amérique, après «Quebecq», fondé par Champlain en 1608, et Trois-Rivières, établi en 1634 par le même infatigable colonisateur, un an avant sa mort, toujours en bonne entente avec les nations autochtones des environs.
L'historien américain David Hackett Fischer -lauréat du Pulitzer d'histoire de 2004 pour un ouvrage sur la guerre de Sécession- connaissait l'explorateur, la cartographe, le navigateur et le militaire avant d'écrire Le rêve de Champlain, un ouvrage magistral, magnifiquement traduit par Daniel Poliquin, qui nous fait découvrir d'autres dimensions du personnage à qui l'auteur est revenu «par hasard».
«J'avais été invité à prononcer une conférence sur Champlain au College of the Atlantic de Bar Harbor, Maine», nous a raconté la semaine dernière le professeur émérite de la Brandeis University, en banlieue de Boston. «Tout le monde connaît Champlain à Bar Harbor, qui est situé juste en face de l'île des Monts Déserts, baptisée par Champlain lors de ses explorations de la côte atlantique en 1604.» Ces voyages mèneront à une tentative (ratée) d'établissement d'une colonie française à l'île Sainte-Croix dans «la Cadie» du temps et, plus tard, à Port-Royal (dans la Nouvelle-Écosse moderne).
Ses recherches mettent M. Fischer en contact avec de nouvelles sources documentaires découvertes notamment par l'archiviste français Robert LeBlant, sources qui viennent s'ajouter à la centaine d'articles écrits dans la foulée d'ouvrages comme Champlain-La naissance de l'Amérique française (Éd. du Septentrion, 2004), dirigé par les historiens québécois Raymonde Litalien et Denis Vaugeois. L'auteur cite souvent aussi «l'immense érudit» que fut l'historien Marcel Trudel, disparu en janvier dernier.
«Après des années de rectitude politique et de multiculturalisme», l'historiographie revenait à la méthode préconisée il y a 25 siècles par Hérodote, «le père de l'Histoire». «Cette approche commande de poser librement les questions, explique David Hackett Fischer. Sans théorie préalable, sans préjugé idéologique et, surtout, sans réponses toutes faites.» Qui était vraiment Champlain? Dans quels milieux a-t-il vécu et travaillé?
Et en quoi ce Champlain nouveau diffère-t-il du classique? «Le personnage qu'on nous a toujours présenté n'est pas différent, dira M. Fischer. Il était juste incomplet car il manquait cette dimension d'humanité sur laquelle s'est échafaudé l'idéal de Champlain, son rêve d'une société française en Amérique où tous vivraient en paix.» Cette humanité, lit-on, avait grandi chez Champlain en réaction aux horreurs des guerres de religion qui avaient vu catholiques et protestants français s'entretuer pendant 40 ans avant qu'Henri IV ne promulgue l'édit de Nantes qui assurait la liberté de culte.
En Amérique française, continue l'historien, cette ouverture d'esprit fondée sur la croyance que tous les hommes sont égaux devant Dieu s'est d'abord manifestée dans les relations cordiales de Champlain avec les «sauvages» - terme toujours employé par Champlain dans son acception première de «gens vivant dans les bois» - de la vallée du Saint-Laurent: Hurons, Montagnais, Algonquins, etc.
Cette approche a marqué toute l'histoire depuis. «Le rêve américain en est un d'indépendance et de liberté: nous divergeons d'opinion sur tout mais ce point fait l'unanimité.» Champlain n'a jamais été un défenseur de la liberté, souligne M. Fischer, rappelant que le leader de la colonie reprochait aux Indiens d'être «sans foi ni loi ni roi». «En Nouvelle-Zélande, où j'ai enseigné, le rêve des colons s'articulait autour de la notion d'équité, et l'apparition du mot fairness dans la langue anglaise, vers 1840, coïncide d'ailleurs avec l'émergence du pays. Au Québec, le rêve humaniste de Champlain a toujours marqué l'évolution de la communauté, comme au Canada d'ailleurs où Champlain apparaît toujours comme une figure paternelle.»
David Hackett Fischer a lu et relu le texte original en ancien français des ouvrages de Champlain, comme Des Sauvages ou Voyage de Samuel Champlain, de Brouage, fait en la France Nouvelle, l'an mil six cens trois. L'érudit francophile en a retenu des mots qui n'ont pas d'équivalence réelle en anglais, truchement et d'autres. «Champlain, dans son Traité de la Marine entre autres, prônait la prévoyance. Or cette notion va beaucoup plus loin que l'anglais foresight: le leader prévoyant, militaire ou autre, doit se préparer à l'imprévu, faute d'informations complètes, et il doit savoir prendre du recul pour voir le long terme. Pendant 35 ans, Champlain, le soldat et le fondateur, a fait tout ça avec panache, un autre mot que les Anglais ont emprunté.»
***
Le rêve de Champlain
David Hackett Fischer
Traduit par Daniel Poliquin
Boréal, 999 pages


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé