Recherche médicale : nous prend-on pour des im-Becels ?

Tribune libre

Ce n’est sans doute pas assez de savoir qu’au Québec, les soins de santé et de services sociaux pour femmes sont onze fois plus financés que ceux pour hommes ni que, grâce au nouveau concept d’analyse différenciée des problématiques selon le sexe, contenue dans la plus récent plan d’action du gouvernement québécois sur l’« égalité » homme femme, l’écart continuera de se creuser. Encore fallait-il que la Fondation des maladies du cœur du Québec enfonce le clou – de cercueil – avec une campagne ayant pour thème Femmes de cœur. Ce triste moment de sollicitude à sens unique, commandité par Becel, a été orchestré par Cartier communications. Faut-il préciser que les hommes sont de facto – à nouveau - exclus ? Sans doute n’ont-ils pas assez de cœur.
L’animatrice Patricia Paquin est la porte-parole de « l’événement ». La publicité, éloquente, ne passe pas inaperçue. On y apprend que cette année, plus de femmes mourront d’une maladie cardiovasculaire que de tout autre maladie au Canada. Mme Paquin renchérit : Prenez un moment pour penser aux femmes que vous aimez et imaginez que vous pourriez contribuer à sauver une seule d’entre elles. Suivent ensuite des instructions pour se rendre sur le site de la campagne afin d’organiser un souper à la santé de celles que vous aimez. N’invitez surtout pas de gars, vous auriez l’air d’avoir de bonnes manières !
http://www.infopresse.com/visuel.aspx?id=25761&idimg=1
Cette campagne discriminatoire implique sournoisement que seules les femmes méritent la considération afin de préserver leur santé. Je n’ai rien contre le fait qu’une initiative semblable soit mise sur pied, bien au contraire, à condition qu’autre autre d’importance égale soit consacrée aux hommes. Dans le cas présent, les hommes, la Fédération des maladie du cœur et Becel s’essuient avec ! Es-ce par ignorance ?
Improbable puisque, selon des chiffres provenant de ladite fondation même, les maladies cardiovasculaires étaient responsables de 30 % de tous les décès au Canada en 2006, soit 30 %, chez les hommes, et 31 % chez les femmes. Voilà un triste exemple où la parité homme femme est atteinte. Bien sûr on souhaiterait un contexte plus constructif. Il nous reste à conclure que, aux yeux de la Fondation des maladies du cœur, à risque égal, les femmes méritent qu’on s’occupe d’elles et les hommes, pas du tout.
À quand le ruban bleu ?
Cet incident regrettable me fait penser à un parti pris similaire, concernant cette fois le cancer du sein, le plus meurtrier chez la femme. Tout le monde connaît le ruban rose que l’on retrouve dans les épiceries, notamment sur les bouteilles de vin, initiative de la Fondation du cancer du sein du Québec. Encore là, je n’ai rien contre le fait qu’une telle campagne existe, ni contre la nécessité que des fonds soient consacrés à la recherche en vue d’enrayer cette terrible maladie. Pour y être opposé, il faudrait être sans cœur.
Là où – à nouveau – la bât blesse, c’est qu’il n’existe aucune initiative correspondante afin d’enrayer le cancer de la prostate, de loin le plus meurtrier chez les hommes. À quand une Fédération du cancer de la prostate du Québec, et la présence d’un ruban bleu sur les bouteilles de vin ? Une telle initiative est-elle si impensable dans un État sans Conseil du statut de l’homme, sans Secrétariat à la condition masculine, sans ministère de la Condition masculine ? Faudrait-il en arriver à s’encombrer de structures aussi inutiles et coûteuses que leurs contreparties féminines pour qu’enfin, les hommes soient considérés comme des être humains à part entière méritant la sollicitude et le respect ?
Il n’y a pas que les rubans roses. On apprenait, en octobre 2010, que, grâce à un partenariat privilégié avec Ultramar, la Fédération du cancer du sein avait pu récolter 1,5 millions en six ans, dont 235 505 $, cette année là. Pour la sixième année consécutive, un cent par litre d’essence Suprême vendu en octobre avait été recueilli. Faut-il le répéter, il n’est pas question ici de décrier pareille initiative. Mon questionnement demeure : comment se fait-il qu’aucune initiative comparable ne soit mise en oeuvre pour le cancer de la prostate ?
Si ce n’est pas par compassion, l’État devrait considérer l’économie de coûts sociaux que la recherche, associée à la prévention, pourrait permettre. Trop compliqué, sans doute. Pourtant, nos – très nombreux – bureaucrates en santé et services sociaux devraient y penser. Selon des données de 2010 de la Société canadienne du cancer, alors que 23 200 femmes recevront un diagnostic de cancer du sein et que 5 300 en mourront, ces sont 24 600 hommes qui recevront un diagnostic de cancer de la prostate et 4 300 qui en décèderont. Je souligne encore ici qu’hommes et femmes sont égaux devant la maladie. Pourquoi ne le sont-ils toujours pas devant la recherche ?
Un équilibre à rétablir
Il y a sept ans, le rapport Rondeau révélait des lacunes sérieuses dans la prestation des soins de santé et des services sociaux envers les hommes. On connaît – pas assez – la suite. La FFQ et quinze autres instances féministes devaient faire tabletter ce document en en condamnant les conclusions dans un mémoire intitulé Comment fabriquer un problème. Ces dames ne manquaient pas de culot, mais à coup sûr, de compassion, cette qualité soi-disant si féminine.
Les faits relevés plus haut sont pourtant éloquents; pas besoin de fabriquer de problèmes, ils sont là. Ajoutez à cela des réalités peu connues, qui conditionnent à la baisse la qualité de vie, à l’effet que le nombre de chômeurs, d’assistés sociaux et d’itinérants reste plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Quoi, vous ne saviez pas ?
Onze fois plus de budget pour les femmes que pour les hommes, à même nos taxes, et des problématiques d’importance comparable. Chez un gouvernement pour qui l’expression parité homme femme est devenue un mantra, il semble pourtant qu’il y ait loin de la coupe aux lèvres quand il s’agit de prendre les hommes en considération. À quand un parti politique avec dans son programme un rééquilibrage dans l’octroi des ressources en santé et services sociaux qui tienne autant compte des hommes que des femmes ? Il s’agit pourtant là d’un enjeu élémentaire d’équité et de respect. Ça aussi, c’est une question de lucidité…


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 mars 2011


    Merci Roger !
    Et felicitations pour avoir le courage de mettre le College des medecins devant cette ahurissante realite qui certainement arrange pas mal des gens.
    Merci !

  • Olivier Kaestlé Répondre

    2 mars 2011

    Bref, si je suis ton raisonnement et surtout, tes révélations, Roger, la bureaucratie et sa fâcheuse tendance à multiplier les structures a trouvé le moyen de s'immiscer jusque dans les fondations sur la santé. Au fond, la Santé étant ce que nous en savons, soit un domaine où les nouvelles dépenses ont été massivement investies en ronds de cuir, on ne devrait pas s'en surprendre.
    Le ralentissement des recherches qui résulte serait davantage imputable à ce phénomène qu'aux obstacles à la recherche sur le terrain à proprement parler. Toutefois, en encourageant les dons, de plus en plus faramineux, on prétend répondre à des ralentissements qui n'ont pas tant que ça à voir avec les chercheurs ou la maladie.
    J'imagine que tout nouveau projet de recherche, si valable soit-il, doit passer entre les mailles de bureaucrates aguerris, avec grilles exponentielles d'analyse et de suivi, tout ça, bien sûr, afin que les deniers publics soient employés judicieusement... Évidemment la recherche, pendant ces longs processus, n'avance pas. Bref, on n'arrête pas le progrès, mais on peut le ralentir... Si ce n'était pas si révoltant, je trouverais ça drôle.
    Merci, Roger, de partager ces informations très pertinentes sur une réalité méconnue.

  • Roger Kemp Répondre

    1 mars 2011

    Mon cher Olivier
    J'ai osé écrire, il y a quelque années un texte où je dénoncais le nombre incroyable de fondations vouées à la recherche médicale.
    En furetant sur internet, j'étais tombé sur un site où on avait toute la liste de ces fondations. Il n'y avait pas une seule partie du corps humain qui n'avait pas sa fondation pour la recherche spécifique. Je me suis donc interrogé sur la chose. Pourquoi chaque partie du corps humain avait sa fondation spécifique? Serait-il possible que se soit voulu comme telle?
    Avec ma recherche, j'avais remarqué que chacune d'elle avait un bureau dûment constitué avec du personnel payé à même nos deniers publics. Le gouvernement tant fédéral que provincial ont des programmes de financement facilitant la mise en forme de ces fondations. Systématiquement chacune des parties du corps humain revendique sa part de subventions. Cette structure nous coûtent à nous contribuables plusieurs dizaine de millions en subvention à chaque année. Or comme le Collège des Médecins du Québec est un organisme de protection contre les abus dans la santé j'avais donc écrit au président pour qu'il puisse faire la lumière sur le sujet. Mon intention était de suggérer d'avoir qu'un seul organisme de recherche médicale qui serait responsable de l'ensemble des parties du corps humain. Je prétends qu'il y aurait une économie d'échelle qui en découlerait et une meilleure concertation du savoir et des découvertes faites.
    Je fus rabroué par le président du Collège disant que la multiplication des fondations n'était pas de son ressort et que mon article était tendancieux laissant croire que le Collège des médecins ferme les yeux.
    Je persiste à croire que nous sommes surexploités en santé mais comme on connait tous une personne qui est décédée de telle ou telle maladie d'une des parties du corps humain, les montants récoltés par les campagnes de financement relatives à la recherche atteignent des sommets incroyables. Mais comme on ne canalise pas ces recherches sous un seul chapeau, les résultats sont lents à venir et ils nous diront toujours de donner plus si on veut trouver un remède.
    C'est un très grand dossier qui est pas facile à traiter. Il y a beaucoup de susceptibilités dans l'air.